sam. Mai 4th, 2024

Bain & Company Après le record de 2022, le marché mondial du luxe a enregistré une croissance qui devrait se poursuivre malgré une dynamique ralentie par les premiers signaux d’alertes économiques.

  • Le rapport du printemps 2023 du cabinet Bain & Company et de la fondation Altagamma montre que le marché des biens de luxe personnels devrait enregistrer une croissance de 5 à 12 % en 2023, après une année record en 2022, en dépit d’un contexte économique incertain.
  • Le marché devrait atteindre 530 à 570 milliards d’euros d’ici 2030, soit plus du double qu’en 2020.
  • Les achats de luxe aux États-Unis ralentissent en raison des incertitudes économiques tandis qu’ils sont portés par le tourisme en Europe – même si cela pourrait changer au cours du second semestre 2023.
  • Les catégories de produits les plus performantes sont l’horlogerie et la joaillerie ; les clients préfèrent acheter “moins mais mieux”.
  • Les principaux défis du secteur à moyen terme sont liés aux pressions réglementaires liées au développement durable, ainsi qu’à l’impact de l’IA Générative et des nouvelles technologies sur toutes les étapes de la chaîne de valeur.

Le marché des biens de luxe personnels a enregistré une année record en 2022, avec une valeur de marché de 345 milliards d’euros, et ce malgré les tensions géopolitiques et l’incertitude macroéconomique. Cette dynamique s’est maintenue au premier trimestre 2023, qui a vu une croissance de 9 à 11 % par rapport à au premier trimestre 2022. Des nuances subsistent toutefois d’un pays à l’autre. Ce sont là quelques-unes des conclusions du rapport Luxury Goods Worldwide Market Study – Spring 2023 du cabinet Bain & Company, présentée aujourd’hui avec la fondation Altagamma, l’association professionnelle des marques de luxe italiennes. L’étude attribue la croissance au premier trimestre 2023 à un certain nombre de facteurs, notamment : la diminution progressive de l’hyperinflation, le rétablissement de la confiance des consommateurs en Europe, la réouverture de la Chine et la levée des restrictions de sa politique zéro Covid avant le Nouvel An chinois, ainsi que la dynamique positive au Japon et en Asie du Sud-Est, soutenue par le tourisme intrarégional. Il faut cependant nuancer la situation d’un pays à l’autre. Un ralentissement est attendu aux États-Unis en raison de la prudence des consommateurs face à une éventuelle récession.  

Perspectives régionales : les États-Unis connaissent un ralentissement alors que l’Europe progresse et que l’Asie se réorganise

Bien qu’ils disposent d’environ 900 milliards de dollars d’économies non utilisées, les consommateurs américains freinent leurs dépenses en raison des incertitudes économiques et de la suppression des stimuli à la consommation de la période Covid. Les clients américains les plus aisés résistent mais transfèrent partiellement leurs dépenses à l’étranger à mesure que les écarts de prix se creusent ; les clients aspirationnels dépensent moins. Dans ce contexte, les consommateurs américains de produits de luxe concentrent leurs achats sur des pièces de prestige toutes catégories confondues, et pour la mode, sur des pièces formelles ou très habillées. Par ailleurs, un rééquilibrage de la carte du luxe est en cours : les “géants”, comme New York et la Californie, reviennent sur le devant de la scène, tandis que les lieux de villégiature, Hawaï et Las Vegas par exemple, remontent doucement la pente sans encore atteindre les niveaux records de 2019.   L’Europe a commencé l’année en force, avec des performances soutenues au premier trimestre, notamment grâce aux plus gros clients. La région attend toutefois “l’heure de vérité” qui va mettre à l’épreuve sa capacité de résistance au cours de l’été, la longue file des touristes venus des Etats Unis et du Moyen Orient pendant le premier semestre devant maintenant diminuer peu à peu. Au cours des derniers mois, l’Europe a vu revenir ses premiers touristes chinois, et l’on s’attend à un retour soutenu plus tard dans l’année.  La Chine continentale, qui a crû au premier trimestre, devrait repartir à la hausse cette année, et certaines marques, mais pas toutes, devraient retrouver les niveaux de 2021.

Entre-temps, le marché asiatique connaît un remaniement, avec d’anciens et de nouveaux pôles du luxe. Nouvelles destinations principales du tourisme chinois depuis la réouverture du pays, Hong Kong et Macao ont enregistré une forte accélération, grâce aussi au soutien des politiques gouvernementales (env. 5 milliards d’euros de valeur de marché en 2022). L’Asie du Sud-Est a poursuivi sa brillante croissance, soutenue par un afflux de dépenses des touristes russes, l’arrivée des premiers consommateurs chinois et un appétit toujours plus soutenu pour la joaillerie et l’horlogerie (env. 12 milliards d’euros de valeur de marché en 2022). La Corée du Sud, en revanche, ralentit, avec une redirection des dépenses des clients coréens vers les achats à l’étranger, ainsi qu’une accélération du travel retail tiré par les dépenses de touristes d’Asie du Sud-Est, alors même que les touristes chinois n’ont pas encore fait leur retour (env. 21 milliards d’euros de valeur de marché en 2022). Le Japon est l’étoile montante de ce paysage : les clients locaux maintiennent leur rythme de dépenses ; la croissance provient aussi des touristes entrants, avides d’accessoires en vogue, et reflète les premiers signes de retour des touristes chinois (env. 24 milliards d’euros de valeur de marché en 2022).  

Les plus gros clients toujours avides de tous les produits de luxe

L’étude montre une “quête d’élévation” toutes catégories confondues, tirée par les pièces iconiques et de super luxe, avec des clients qui cherchent à acheter “moins, mais mieux”. Les catégories les plus performantes sont l’horlogerie – croissance tirée par les modèles iconiques de quelques géants – et la joaillerie, notamment tirée par les pièces de haute-joaillerie. Les sacs iconiques sont un moteur indiscutable car de plus en plus perçus comme des actifs de valeur. Les ventes de souliers, qui sont en plein essor en Asie mais ralentissent dans le monde occidental, ne se limitent pas qu’aux baskets. Dans le domaine de la beauté, l’étude montre une croissance des parfums, stimulée par des offres de niche et la reprise du duty-free, tandis que le maquillage et les cosmétiques poursuivent sur des courbes positives et encourageantes. « Le luxe vit une nouvelle ère qu’on pourrait appeler celle du « littéralement moi » : les clients ne recherchent plus uniquement des articles statutaires et aspirationnels, ils veulent des produits uniques » , déclare Joëlle de Montgolfier, Directrice de la Recherche du Pôle luxe mondial de Bain. « Les pièces intemporelles les plus emblématiques restent cependant très convoitées en raison de leur rareté et de leur prix toujours plus élevé. Beaucoup de nouvelles marques surperforment, mais elles entrent en concurrence frontale avec les géants du luxe. Pour rester pertinentes à long-terme, ces marques vont devoir continuer à entretenir leur esprit rebelle, à déployer la vision de leur fondateur, à lancer des produits « stars », tout en outillant leur organisation pour soutenir la croissance à long-terme. »

En matière de canaux de distribution, les concepts expérientiels reprennent du poil de la bête, en s’étendant vers d’autres territoires du luxe. Le travel retail se redresse enfin après un rebond longtemps attendu, grâce au dynamisme de l’Asie du Sud-Est et du Japon. Les boutiques en propre ont poursuivi leur croissance soutenue depuis 2022, une croissance alimentée par un appétit toujours plus vif pour les expériences en magasin – à la fois la connexion avec le produit et la relation avec l’ambassadeur de vente- totalement intégrées dans un parcours omnicanal. Les autres canaux directs confirment également une croissance solide, de plus en plus stimulée par la montée en puissance d’une clientèle ultra connectée et des ventes omnicanales 3.0.  

Perspectives : attentes pour 2023 et au-delà

Le marché du luxe devrait atteindre 360 à 380 milliards d’euros en 2023, contre 345 milliards d’euros en 2022. L’analyse Bain-Altagamma présente deux scénarios : – Un scénario optimiste montre une croissance solide en 2023, tirée par la reprise de la Chine et la croissance soutenue de l’Europe et des Amériques, bien qu’elle se stabilise, avec une croissance des ventes sur le marché des biens personnels de luxe prévue entre 9 et 12 %, par rapport à 2022. – Un scénario réaliste montre une croissance globale plus sévèrement affectée par un ralentissement dans les marchés mûrs, ce qui pourrait avoir un impact négatif sur les dépenses des consommateurs de produits de luxe, ainsi qu’une reprise plus lente en Chine. Dans ce scénario, la croissance des ventes sur le marché des biens personnels de luxe devrait se situer entre 5 et 8 % par rapport à 2022. À l’horizon 2030, le marché des biens personnels de luxe devrait connaître une croissance soutenue, étayée par des fondamentaux solides, ce qui porterait sa valeur de 530 à 570 milliards d’euros, soit environ 2,5 fois la taille du marché du luxe en 2020.  

Principaux défis et opportunités à venir

Au cours des trois prochaines années et en réponse aux pressions réglementaires liées au développement durable, les marques de luxe se verront imposer une pression sur la décarbonisation de leur chaîne de valeur, connue sous le nom d’émissions de portée 3, ce qui les obligera à découpler la croissance attendue de l’activité de la croissance absolue des émissions. L’IA générative aura un impact sur toutes les étapes de la chaîne de valeur du luxe, de la distribution à la créativité – bien que seulement en partie – car elle révolutionne les compétences dans toutes les fonctions. Comme nous l’avons vu avec le virage du digital, les leaders de demain seront ceux capables de garder un pas d’avance et de créer un avantage concurrentiel grâce aux nouvelles technologies. « Le secteur du luxe entre dans une nouvelle phase, après la croissance consécutive à la pandémie. De nouveaux critères de performance et de résilience sépareront les gagnants et les perdants », déclare Mathilde Haemmerlé, associée de Bain en charge du pôle Luxe en France. « Les marques qui veulent réussir doivent développer une connaissance à 360° de leurs clients, équilibrer leur exposition aux différentes régions, et proposer aussi bien des pièces intemporelles et iconiques que des expériences inoubliables. »

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