ven. Mai 3rd, 2024

En 2023, la France a enregistré son cinquantième déficit public consécutif. Depuis une dizaine d’années, le déficit de la France est toujours supérieur à la moyenne de la zone euro. En 2023, l’écart est d’environ 3 points de PIB. Il s’est révélé 0,6 point au-dessus des prévisions du gouvernement. La France se distingue ainsi de pays comme le Portugal qui a enregistré un excédent budgétaire en 2023 ou de l’Espagne qui a fortement réduit le sien.

Est-ce que ce déficit est problématique ? Le cas échéant, quels sont les moyens dont le gouvernement dispose pour le réduire ?
Pour le moment, la France arrive à financer sa dette publique. Les taux d’intérêt sur les obligations d’État à 10 ans ont augmenté depuis la fin de la politique monétaire nonconventionnelle mais l’écart avec le taux allemand reste assez stable. Dans ce contexte, certains estiment qu’il est inopportun compte tenu des besoins en investissements (transition énergétique, défense, recherche, santé, éducation, etc.) d’assainir les comptes publics. Le ralentissement en cours de la croissance est un autre argument mis en avant pour ne pas réduire le déficit public, argument notamment soulevé notamment par l’OFCE. De toute façon, il y a toujours quelques bonnes raisons pour différer un rééquilibrage des comptes publics.

La France a largement profité des taux historiquement bas. Elle est une gagnante de de la monnaie commune, l’euro, en empruntant à des conditions relativement généreuses. Depuis 1999, la France ne connait plus de crise de changes, contrairement aux années 1980. Mais, l’euro est un bien commun dont la crédibilité suppose que les États membres respectent un minimum d’orthodoxie. L’euro risquerait d’être affecté si tous les États optaient pour des politiques budgétaires expansionnistes. Il y a une responsabilité collective face à la monnaie. L’endettement n’est pas sans limite même avec l’euro. La Grèce l’a prouvé en 2010. Si les investisseurs doutent à un moment donné de la capacité de la France à rembourser, ils exigeront des taux de plus en plus élevés. Or, avec la remontée des taux, le service de la dette, c’est à dire le paiement des intérêts, coûtera cher dans les prochaines années. Son montant serait de 70 milliards d’euros, soit les quatre cinquièmes de l’impôt sur le revenu. Il est fréquemment affirmé que l’endettement n’est pas à bannir car il permet de financer des dépenses d’investissement qui sont nécessaires pour la croissance de demain. Or, les déficits publics sont en France essentiellement occasionnés par les dépenses de fonctionnement et non pas les dépenses d’investissement qui ont tendance à se réduire ces vingt dernières années.

La réduction du déficit public a mauvaise presse car elle signifie la réalisation d’arbitrages sensibles dans les dépenses publiques. Des économistes comme ceux de l’OFCE ou Patrick Artus, mettent en avant que la diminution du déficit accentuerait le caractère récessif de l’actuelle politique monétaire de la BCE. Afin de relever le taux de la croissance potentielle, les pouvoirs publics auraient tout avantage à augmenter les dépenses d’investissement en faveur de la transition écologique, la réindustrialisation, la recherche ou la défense. En France, les dépenses publiques d’investissement, de Recherche & Développement et d’éducation sont passées de 18,5 à 16,5 % de 2010 à 2022. Leur augmentation serait susceptible d’endiguer la baisse de la productivité. Elle supposerait une réorientation des dépenses et la diminution de celles liées à la protection sociale ce qui, évidemment, est difficile compte tenu des attentes de la population.

L’autre solution serait le relèvement des prélèvements obligatoires. En France, ils dépassent 44 % du PIB et sont deux points au-dessus de leur niveau de 2010. Leur hausse aurait également un effet négatif sur la croissance. Une augmentation des impôts de production ou sur le capital entraînerait une diminution de l’investissement.
Un relèvement des taux de TVA jouerait contre la consommation des ménages. La TVA est l’impôt qui rapporte le plus, 200 milliards d’euros par an. Certains imaginent l’augmenter en baissant en contrepartie les cotisations sociales. Ce transfert ne change rien sur la ponction finale. A contrario, la hausse des cotisations sociales pénaliserait la compétitivité des entreprises.
Le gouvernement dispose de peu de marges de manœuvre en matière budgétaire, sachant qu’il est susceptible d’être censuré sur ce sujet sensible à l’Assemblée nationale. Il n’existe pas de majorité pour une rationalisation des dépenses sociales ou des dépenses des collectivités locales tout comme il n’y en a pas sur les questions fiscales.

États-Unis, France : des déficits mais des différences

La France a enregistré un déficit public de 5,5 % du PIB en 2023. La possibilité de ramener le déficit du pays à moins de 3 % d’ici 2027 s’est amoindrie comme l’a souligné le FMI. Dans le même temps, les États-Unis ont connu, un déficit de 7,5 % du PIB. De taille différente, les deux pays sont dans des situations assez comparables. Ni aux États-Unis ni en France, les investisseurs n’émettent, pour le moment, un avis négatif sur l’ampleur des déficits.
Le déficit élevé aux États-Unis a tiré vers le haut la croissance qui a atteint 2,5 % en 2023. Celle de la France a été de 0,9 %, supérieure à la moyenne de la zone euro (+0,5 %). En France, comme aux États-Unis, la croissance a été soutenue par les dépenses publiques. Les deux pays se caractérisent, notamment par leur politique économique de nature keynésienne, par leur important déficit commercial ainsi que par un déficit de la balance des paiements. Ce dernier est financé grâce à l’apport de capitaux extérieurs. Ces entrées de capitaux de non-résidents aux États-Unis et en France excluent le déclenchement d’une crise de balance des paiements. Les entrées de capitaux des deux pays représentent en moyenne 4 % du PIB ces dix dernières années.
Si des similitudes existent entre les États-Unis et la France concernant leur déficit, des différences importantes sont néanmoins à souligner. Le déficit américain est la conséquence de la réforme fiscale engagée par Donald Trump en 2017 qui s’est traduite par une diminution des taux d’imposition pour les ménages et les entreprises. Il est également provoqué par les mesures de soutien à l’investissement dans le cadre de la transition écologique (Inflation Reduction Act et Chips Act). Enfin, la hausse des taux d’intérêt a accru le service de la dette de l’État fédéral. Ces intérêts représentent 4 % du PIB en 2023, contre 3,5 % en 2020. Le déficit français résulte avant tout de la faiblesse de la croissance et du taux d’emploi. Le service de la dette a légèrement progressé ces deux dernières années mais reste faible : 1,7 % du PIB en 2023 contre 2,7 % en 2010. La croissance française avoisine en moyenne, a peine 1 % sur longue période. Elle est deux fois inférieure à celle des États-Unis. Le rôle des transferts publics aux ménages différencie les deux pays. En France, ces derniers pèsent 30 % du PIB, contre moins du quart aux États-Unis. Le déficit en France est en grande partie imputable aux dépenses de fonctionnement quand pour les seconds il est lié à celles d’investissement. Les États-Unis consacrent une part plus importante de leur budget à la recherche que la France. Par ailleurs, celle-ci est confrontée à une baisse de la productivité qui handicape sa croissance potentielle. De 2010 à 2023, la productivité par tête s’est accrue de 22 % aux États-Unis, contre 3 % en France. Chez cette dernière, elle a baissé de plus de 5 % entre 2019 et 2023.

La France est, avec l’Italie, le seul pays membre de l’Union européenne à avoir un déficit public supérieur à 5 % du PIB. Il est également un des rares pays de l’Union européenne à avoir enregistré une détérioration de ses comptes publics l’année dernière. À la différence des États-Unis, la France ne peut pas compter sur la croissance pour réduire son déficit. Tant que les capitaux étrangers accepteront d’investir en France, la situation est tenable mais elle pourrait rapidement se compliquer en cas de retournement des investisseurs.

 

Par Le Cercle de l’Epargne

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