Par Christophe Revelli, professeur et Directeur du MSc Sustainable Finance à KEDGE
La crise sanitaire du COVID-19 se traduira inexorablement par une crise financière, économique et sociale. Mais cette crise aura pour mérite de révéler la robustesse des entreprises et des investissements durables respectant les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) face aux géants boursiers enfermés dans le rendement actionnarial à court terme et déconnectés du bien commun.
Une occasion inédite de comprendre l’urgence de réorienter notre économie financiarisée vers l’économie réelle.
Parce que l’ESG est un gage de résilience aux crises…
Les entreprises performantes sur les critères Environnementaux, Sociaux et de Gouvernance (ESG) font partie de celles qui ont le moins chuté en Bourse. Les fonds durables et ISR résistent mieux à un choc de volatilité car les investisseurs considèrent qu’ils sont composés d’entreprises plus robustes. Les politiques d’engagement à long terme et la confiance accordée à ces entreprises au sein des portefeuilles boursiers permettent de mieux résister en temps de crise.
A l’inverse, les entreprises considérées jusqu’à maintenant comme des fleurons boursiers ne résistent pas ou sont très exposées. Apple a perdu 500 milliards de dollars de capitalisation en trois semaines ! Dans le monde, ce sont 30 000 milliards de dollars de capitalisation qui se sont évaporés, dont 1000 milliards uniquement pour trois des géants de la Tech, Apple, Amazon et Microsoft. Ces entreprises sont donc des colosses aux pieds d’argile parce qu’on se demande finalement ce que leurs produits et leurs stratégies font pour le bien commun. Le fait d’être entré dans une stratégie purement basée sur le rendement actionnarial fait que ces entreprises sont aujourd’hui contraintes de satisfaire leurs actionnaires à court terme. Le seul fait d’annoncer des résultats en légère baisse ou des chiffres qui ne sont plus dans des standards aussi élevés affolent les investisseurs et démontrent finalement la fragilité d’un modèle de croissance financière infinie.
La conséquence du « tout marché » est que nous n’avons pas aujourd’hui en Europe les moyens financiers et organisationnels de gérer ces crises sociales et sanitaires. Le coronavirus montre que les crises sont systémiques, que l’environnement et le social sont toujours imbriqués. Les politiques publiques et monétaires doivent financer massivement la transition écologique et le bien-être collectif et social, c’est-à-dire l’économie réelle d’aujourd’hui et de demain, plutôt que les politiques de quantitative easing qui nourrissent les spéculateurs et créent les bulles financières.
Il faut donc repartir de l’idée que la finance est juste un outil au service de l’économie réelle, qui sert elle-même l’objectif sociétal, comme le disait l’économiste Karl Polanyi dans sa théorie de l’encastrement.
… il faut réorienter notre économie financiarisée vers l’économie réelle et le bien commun
In fine, c’est l’ensemble du modèle financier qu’il faut repenser. Il faut surtout casser la logique court-termiste qui domine pour s’intéresser aux entreprises favorisant le bien commun, et investir massivement dans celles qui ont pour vocation de changer le monde dans les vingt ou trente prochaines années. La finance durable engage donc de la perspective et de la prospective, une captation de la résilience des entreprises.
L’analyse ESG est un excellent moyen de se réapproprier les marchés financiers, car elle permet de parler du long terme. Elle force l’investisseur à mettre son nez dans les entreprises, à connaître les dirigeants et les parties prenantes, et à mesurer les impacts de l’entreprise sur son écosystème. Beaucoup d’initiatives d’investisseurs vont dans ce sens. Mais la crise nous montre que l’on est encore loin du compte. Il faut espérer que les acteurs publics et économiques se rendent compte que notre modèle est à bout de souffle. À partir d’une crise sanitaire, il engendre une crise financière, une crise des systèmes de production, une crise sociale, et une crise politique avec une défiance de plus en plus grande envers les pouvoirs publics. Il faut sortir de cet état de crise systémique permanente en retrouvant du temps et surtout beaucoup d’humilité dans notre manière de voir le monde et de le maîtriser.
A propos de Christophe Revelli :
Christophe Revelli est professeur associé de finance responsable/durable, directeur du MSc Sustainable Finance et titulaire de la chaire de recherche CANDRIAM « Finance Reconsidered : Addressing Sustainable Economic Development ». Il est également administrateur au Forum de l’Investissement Responsable (FIR).
Il est diplômé de l’Université de Montpellier (doctorat en Sciences de Gestion).
Ses cours et sa recherche s’inscrivent dans le champ de la finance responsable/durable/verte, de l’approche critique de la théorie financière moderne et de l’impact investing. Il est co-fondateur et membre actif du réseau de recherche Post-Crisis Finance Network (PoCFin).
Christophe Revelli a reçu en 2012 lors de la conférence du RIODD (Réseau International de recherche sur les Organisations et le Développement Durable) le prix de recherche RIODD-VIGEO pour sa thèse intitulée « Performance financière de l’Investissement Socialement Responsable (ISR): approche méta-analytique » et le trophée SAB 2015 du meilleur article en finance durable pour son article « Should Islamic Investors consider SRI Criteria in their Investment Strategies? ». Il a également reçu le prix FIR-PRI Finance et Développement Durable 2018 de la meilleure innovation pédagogique européenne en finance durable (pour le MSc Sustainable Finance).
A propos de KEDGE :
KEDGE Business School est une Ecole de management française de référence présente sur 4 campus en France (Paris, Bordeaux, Marseille et Toulon), 3 à l’international (2 en Chine à Shanghai et Suzhou, et 1 en Afrique à Dakar) et 3 campus associés (Avignon, Bastia et Bayonne). La communauté KEDGE se compose de 14 800 étudiants (dont 25% d’étudiants étrangers), 192 professeurs permanents (dont 44% d’internationaux), 291 partenaires académiques internationaux et 70 000 diplômés à travers le monde. KEDGE propose une offre de 36 formations en management et en design pour étudiants et professionnels, et déploie des formations sur-mesure pour les entreprises au niveau national et international. Membre de la Conférence des Grandes Ecoles et accréditée AACSB, EQUIS et AMBA, KEDGE est une institution reconnue par l’Etat français, avec des programmes visés, et labellisée EESPIG. KEDGE est classée par le Financial Times 31ème meilleure Business School en Europe et 39ème mondiale pour son Executive MBA.