Les conséquences de la hausse des importations agricoles depuis l’Ukraine sur les agriculteurs et les consommateurs européens sont difficiles à déterminer. Malgré la chute du PIB et des exportations ukrainiennes depuis le début de la guerre, les exportations agricoles de l’Ukraine ont augmenté vers l’Union Européenne. Les conséquences de cette évolution diffèrent selon qu’elles remplacent une production agricole européenne ou qu’elles n’entraînent qu’une simple réorganisation des flux commerciaux. L’analyse de la balance commerciale agricole de l’UE ne permet pas de conclure avec précision quant aux conséquences de cette hausse des importations.
Ukraine : Une capacité productive et exportatrice affaiblie par la guerre
L’économie et les exportations ukrainiennes ont été fortement impactées par la guerre. En 2022, le PIB du pays a plongé de 29 % et, en 2023, le rebond est estimé à 3,2 %1du fait de la poursuite du conflit et de l’occupation temporaire (pour reprendre la terminologie ukrainienne2) d’une partie du pays. En conséquence de cette chute de la production, les exportations ukrainiennes en dollar ont chuté de -47 %3entre 2021 et 2023. La baisse a été particulièrement forte les biens industriels (-64 %) et plus limitée pour les denrées agricoles (- 23 %) ou agro-alimentaires (-16 %).
1 World Economic Database
2 State Statistics Service of Ukraine
3 State Statistics Service of Ukraine, en considérant que les montants pour le mois de décembre 2023 ont été équivalents à la moyenne des 11 premiers mois de l’année
Importations agricoles de l’UE depuis l’Ukraine : en hausse depuis la guerre
Depuis le début de la guerre, les exportations agricoles ukrainiennes vers l’Union Européenne ont été en nette hausse. Bien que le conflit ait conduit à une baisse globale des exportations agricoles ukrainiennes (pertes de production, difficulté de commercer via la Mer Noire), les exportations agricoles de l’Ukraine vers l’UE ont fortement augmenté : en volume (une statistique permettant de neutraliser l’effet de la variation des prix) elles ont progressé de 176 % entre les onze premiers mois de 2021 et les onze premiers mois de 2023 (le chiffre de décembre 2023 n’est pas encore disponible)4. Certaines exportations ukrainiennes vers l’UE ont connu des hausses particulièrement fortes, comme les volumes de sucre et les sucreries qui ont été multipliés par dix ou les volumes de céréales qui ont plus que triplé5. Cette hausse des importations européennes depuis l’Ukraine peut s’expliquer par le blocage du commerce en mer Noire et par la suppression temporaire des droits de douane sur les importations ukrainiennes6.
Impact économique de la hausse des importations ukrainiennes : Trois scénarios possibles
L’impact économique de la hausse des importations agricoles de l’UE depuis l’Ukraine peut prendre trois formes, dont les conséquences sont différentes pour les agriculteurs et les consommateurs européens. Les importations ukrainiennes peuvent se faire au détriment de producteurs européens. Elles peuvent se substituer à des importations depuis d’autres zones. Enfin, le changement de destination des exportations ukrainiennes peut ouvrir des débouchés dans d’autres pays aux exportations européennes.
4 Eurostat, unité de 100 kg
5 Onze premiers mois de 2023 par rapport aux onze premiers mois de 2021
6 https://policy.trade.ec.europa.eu/eu-trade-relationships-country-and-region/countries-and-regions/ukraine_en
– Scénario 1 : les importations ukrainiennes peuvent se faire au détriment des producteurs européens. Si la hausse des achats de denrées agricoles ukrainiennes conduit à une baisse de la production dans les pays de l’Union Européenne, il en résulte une perte pour les agriculteurs européens. En revanche, cette situation est bénéfique aux consommateurs européens et favorise la baisse de l’inflation alimentaire (puisque, si les produits ukrainiens n’étaient pas moins chers que les produits de l’UE, on n’observerait pas de hausse des importations depuis l’Ukraine).
– Scénario 2 : les importations ukrainiennes peuvent se substituer à des importations d’autres pays. Les importations d’Ukraine peuvent prendre la place d’importations qui provenaient auparavant d’autres pays. Dans ce cas, l’impact est nul pour les agriculteurs européens (leur volume de production est inchangé) mais bénéfique pour les consommateurs (les importations ukrainiennes sont vraisemblablement moins chères puisqu’elles remplacent d’autres approvisionnements).
– Scénario 3 : la réorientation des exportations ukrainiennes peut offrir de nouvelles opportunités aux produits européens. Une partie des marchés agricoles internationaux qui ne sont plus approvisionnés par l’Ukraine peuvent l’être par des producteurs européens. Dans ce cas, les importations agricoles de l’UE depuis l’Ukraine seraient compensées par une hausse des exportations européennes. Par exemple, si l’Ukraine ne peut plus approvisionner l’Egypte en blé, cela peut représenter une opportunité pour les céréaliers français. L’impact de ce scénario serait globalement neutre pour les agriculteurs comme pour les consommateurs européens.
Commerce extérieur agricole de l’UE : des évolutions difficiles à analyser
Il est difficile de déterminer lequel des trois scénarios identifiés prévaut, et donc l’effet exact des importations agricoles ukrainiennes sur les agriculteurs et les consommateurs de l’UE.
L’analyse est brouillée par plusieurs facteurs : premièrement les différences d’unité entre les différentes sources (en unité monétaire ou en volume, sachant que les prix ont fortement varié ces dernières années), deuxièmement la forte variabilité mensuelle d’un mois sur l’autre qui implique des évolutions très disparates selon les dates choisies pour établir les comparaisons (par exemple, la part des céréales importées depuis l’Ukraine par l’UE fluctue très fortement en quelques mois)7, troisièmement le décalage temporel qui peut exister dans les processus de réallocation des flux commerciaux.
Aucun des trois scénarios identifiés ne se distingue nettement.
Le scénario 1 impliquerait une hausse des importations de l’UE et une stabilité des exportations, donc une dégradation de la balance commerciale. Le scénario 2 laisserait le niveau des importations et des exportations inchangé (seule l’origine des importations serait modifiée). Enfin, le scénario 3 verrait une hausse identique des importations et des exportations. Depuis le début de la guerre en Ukraine, aucune évolution franche ne se dessine sur la balance commerciale de l’UE en ce qui concerne les céréales (une denrée qui représente plus de la moitié du total des importations agricoles ukrainiennes de l’UE) ou le sucre. Il est donc difficile d’identifier un scénario précis
7 Calculs Asterès d’après Eurostat de connaître l’impact exact des importations ukrainiennes sur les agriculteurs et les consommateurs européens.