Par Navidh mansoor, directeur de rédaction
Le dernier sommet Inde-Russie a illustré à quel point la géopolitique mondiale est devenue complexe, notamment depuis la guerre en Ukraine, qui place l’Inde dans une position délicate entre ses principaux partenaires. Malgré ce contexte tendu, New Delhi a choisi d’afficher clairement sa relation avec Moscou.
La visite de Vladimir Poutine — sa première en Inde depuis le début du conflit — a été orchestrée avec un symbole fort: accueil solennel et venue d’une délégation russe de haut rang, incluant Kirill Dmitriev, acteur clé de tentatives de médiation internationale. Ces signaux avaient pour objectif de dissiper tout doute sur la solidité du partenariat indo-russe.
Pour l’Inde, ce geste affirme son autonomie stratégique et sa capacité à dialoguer avec tous, même lorsque ses partenaires sont en opposition. Pour la Russie, il souligne la valeur stratégique de l’Inde dans sa politique étrangère. Ensemble, ces éléments confirment que New Delhi entend jouer un rôle central dans la gestion des équilibres mondiaux actuels.
Du pétrole aux minerais critiques : la nouvelle matrice stratégique indo-russe
L’Inde et la Russie sont en train de redéfinir leur partenariat énergétique bien au-delà du traditionnel commerce de pétrole et de gaz. Face à la croissance rapide de la demande énergétique indienne et à l’essor des technologies propres, les deux pays misent désormais sur trois axes stratégiques : le nucléaire civil, les minerais critiques et de nouvelles routes logistiques.
L’Inde dépasse les 500 GW de capacité électrique, mais les renouvelables ne suffisent pas pour assurer la charge de base. Le nucléaire devient donc essentiel, avec un objectif de 100 GW d’ici 2047. Dans ce contexte, la coopération indo-russe gagne en importance, notamment autour des petits réacteurs modulaires (SMR) et de la production locale d’équipements nucléaires, en phase avec la stratégie « Make in India ».
Parallèlement, l’Inde veut réduire sa dépendance aux importations, surtout vis-à-vis de la Chine, pour les terres rares et autres minerais indispensables aux batteries, aux éoliennes, aux véhicules électriques et aux technologies avancées. Un accord Inde-Russie signé en 2025 renforce la collaboration dans l’extraction, le traitement et la logistique de ces minerais.
Pour soutenir ces chaînes industrielles, les deux pays s’appuient sur de nouveaux corridors de transport — comme l’Eastern Maritime Corridor et le corridor international Nord-Sud — afin d’assurer des approvisionnements sûrs, rapides et moins vulnérables aux tensions géopolitiques.
Pour la Russie, ce pivot vers le civil — nucléaire et minerais — offre une diversification bienvenue dans un contexte de sanctions, tout en lui permettant d’étendre son influence dans le Sud global. Pour l’Inde, il s’agit de consolider sa sécurité énergétique, son autonomie industrielle et sa montée en puissance géopolitique.
En somme, New Delhi et Moscou construisent une nouvelle architecture énergétique fondée sur le nucléaire, les ressources critiques et des chaînes d’approvisionnement résilientes, avec l’ambition de devenir des acteurs clés de la transition énergétique mondiale.
L’Inde et la Russie renforcent leurs liens de défense
L’Inde et la Russie s’apprêtent à finaliser un accord logistique militaire réciproque, permettant à leurs armées d’accéder aux bases et services de soutien de l’autre pays lors d’opérations à l’étranger. Cet accord, longtemps discuté, devrait être signé lors de la visite du ministre indien de la Défense, Rajnath Singh, à Moscou.
Historiquement, la Russie (et l’URSS) a constitué la colonne vertébrale militaire de l’Inde : chasseurs MiG-21, Su-7, MiG-23, MiG-27, MiG-29, Su-30MKI, hélicoptères Mi-8/17 et Mi-26, avions de transport An-32 et IL-76, navires et avions de patrouille maritime, sans oublier les missiles comme le BrahMos et le système S-400. Aujourd’hui encore, 60 % de l’équipement militaire indien est d’origine russe.
La visite vise aussi à accélérer la création de coentreprises de fabrication de pièces détachées pour les équipements militaires russes utilisés en Inde, dans le cadre du programme « Make in India ». Une délégation industrielle de 50 entreprises accompagne Rajnath Singh pour nouer des partenariats avec les fabricants russes. Il intervient dans un contexte où l’Inde poursuit l’achat des systèmes S-400, malgré les pressions américaines et la menace de sanctions CAATSA.
La coopération de défense s’inscrit dans une dynamique diplomatique plus large, marquée par une série de visites de haut niveau entre l’Inde et la Russie, notamment autour des secteurs de l’énergie, du charbon cokéfiable et des routes maritimes stratégiques. L’ensemble reflète la volonté des deux pays de consolider leur partenariat stratégique militaire et industriel. La Russie propose désormais ce qu’elle qualifie de l’offre militaire la plus ambitieuse jamais soumise à l’Inde : la production sous licence complète du chasseur furtif Su-57, avec un transfert de technologie total couvrant moteurs, radars AESA, matériaux furtifs, avionique et systèmes d’armes avancés — un niveau d’accès que l’Occident n’a jamais offert. Cette proposition, couplée à un prix compétitif, pourrait transformer la puissance aérienne indienne et inaugurer une ère de coopération technologique profonde.
