Du troc aux monnaies digitales, les moyens de paiement ont fortement évolué au fil des siècles, expression et moteurs du progrès des techniques. Certains rêvent de s’affranchir des monnaies officielles au profit des cryptomonnaies, d’autres espèrent mettre un terme au dollar et à la toute-puissance des États-Unis. Dans le domaine sensible des monnaies, les notions de confiance et d’efficience prédominent.
L’économiste Stuart Mill écrivait, au XIXe
siècle que « la monnaie est un instrument qui permet de faire vite et commodément ce que l’on pourrait faire sans lui moins vite et moins commodément ». Le recours à une monnaie pour faciliter les échanges date de plus de 3 000 ans. Les premières devises sont souvent issues des unités de poids. Les premières pièces de monnaie métallique auraient vu le jour dans le Royaume de Lydie où régna le fameux Crésus. Les Chinois ont émis les premiers billets voici plus de 2 000 ans. Dès 2300 avant Jésus-Christ, des écritures comptables sont réalisées pour gérer dettes et créances en se fondant sur la comparaison de la valeur des biens produits et échangés en prenant comme référence des valeurs étalons admis de tous. En Égypte, avant même la circulation de la monnaie fiduciaire, des unités de compte sont utilisées couramment comme le Sha et ou le Quite par les scribes. Dès l’Antiquité, la notion de confiance est associée à celle de monnaie ou d’unité de compte. Ainsi, « crédit » provient du latin « credere », croire, avoir confiance et « fiduciaire » du latin « fiducia », la confiance.
La monnaie est une unité de compte qui permet de mesurer et de comparer des biens et des services hétérogènes. Elle offre la possibilité d’effectuer des comparaisons dans le temps et en des lieux différents. La monnaie est un facilitateur d’échanges en permettant le règlement facile des achats. Elle remplace le troc qui est une relation bilatérale complexe. La monnaie fluidifie les échanges. Les agents économiques doivent de ce fait avoir confiance en elle. Elle doit être facilement transférable et difficile à contrefaire.
La monnaie joue un rôle d’arbitrage. Elle offre la possibilité de créer une grille générale des valeurs et est donc indispensable au fonctionnement du système de prix. Sans elle, il serait impossible d’avoir une vision complète des prix et des coûts dans une économie mondialisée comptant un nombre très important de biens et de services. Tout calcul économique serait impossible si le troc était resté la règle. Le nombre d’échanges aujourd’hui se compte, en effet, en dizaines de milliards chaque année.
La monnaie est un instrument de réserve. Pour reprendre Keynes, elle sert à faire « le lien entre le passé et le présent et l’avenir ». L’actif monétaire permet de reporter un achat ou le règlement de ce dernier et d’épargner en vue d’une consommation. La monnaie dispose d’un pouvoir bien supérieur à celui du troc. Certes, si avec la sophistication croissante de l’économie, le troc est devenu marginal, son esprit a pesé et pèse encore sur les échanges internationaux à travers notamment le principe de l’équilibre des balances des paiements des États et des systèmes de compensation. Des importateurs d’un État peuvent avoir besoin d’acquérir des devises étrangères pour réaliser leurs achats si les exportateurs n’acceptent pas leur monnaie. Cela suppose qu’ils puissent accéder à ces devises étrangères auprès de leurs établissements financiers qui devront en acquérir sur les marchés ou auprès de la banque centrale du pays importateur. In fine, des ventes d’actifs financiers ou physiques peuvent être nécessaire pour solder un déficit. Si les échanges sont réglés dans la monnaie du pays importateur (exemple les
États-Unis) ou si une monnaie joue le rôle d’étalon international (le dollar), il en résulte la constitution de réserves de change qui peuvent être placées ou le cas échéant converties en or si le système monétaire le permet.
Dans les prochaines années, les États ne sont pas disposés à abandonner leur droit de seigneuriage au profit de structures privées. La monnaie demeure l’expression de la puissance publique aux côtés de la police ou de l’armée. C’est un outil de contrôle et de coercition sur un territoire donné. La monnaie permet de financer des déficits que comme les dernières crises l’ont prouvé. La base monétaire est passé de 1000 à 9000 milliards de dollars aux États-Unis de 2002 à 2022 et de 800 à 6000 milliards d’euros en zone euro. Perdre ce pouvoir affaiblirait les États. Les banques centrales feront tout pour limiter la montée en puissance de monnaies privées. Elles ont ainsi bloqué le projet Libra de Facebook. Le passage à un système de monnaies digitales de banque centrale avec une gestion sur la blockchain évoqué ces dernières années n’est pas en soi une évidence. Il réduirait les dépôts bancaires et pourraient entraver le crédit. Il supprimerait le rôle d’intermédiation joué par les banques. Pour éviter une contraction du crédit, les banquescentrales devraient reprêter aux banques l’argent collecté sous la forme de monnaiedigitale de banque centrale. Le système pourrait être bien moins fluide qu’aujourd’hui.
L’abandon des monnaies au profit des cryptomonnaies n’est pas non plus réellementd’actualité. Les cryptomonnaies comme le bitcoin ou l’ethereum ne remplissent pastoutes les conditions pour être de véritables monnaies. Leur caractère hautement spéculatif les disqualifie pour être tout à la fois des étalons monétaires ou, des monnaies d’échange et de réserves. Le cours du bitcoin a été divisé par trois en quelques mois en 2022. Son encours est passé de 1200 à 400 milliards de dollars, bien loin de l’encours des réserves en dollars, 13 000 milliards en 2022. Le cours des cryptomonnaies obéissent à des considérations encore plus obscures que celles des monnaies officielles. La création est, en outre, de plus en plus critiquée en raison de son coût énergétique.
Dans les prochaines années, la monnaie restera donc avant tout créée par les banques, comme aujourd’hui, la quantité disponible étant influencée par les politiques monétaires des banques centrales. Ces dernières seront néanmoins confrontées à un défi : veiller à la crédibilité de la monnaie tout en permettant le financement des investissements nécessaires à la transition énergétique ou au vieillissement. D’un côté, les États ont desbesoins financiers importants, de l’autre la lutte contre l’inflation exige une réduction de la base monétaire. Une inflation débridée pourrait amener des doutes sur les monnaies et inciter les agents économiques à s’en détourner.
Depuis 1980, les banques centrales ont réussi à contenir l’inflation en utilisant l’arme des taux. Avec des dettes publiques qui dépassent 100 % du PIB, cette arme n’est pas sans limite comme le prouvent les difficultés rencontrées par le secteur bancaire aux États-Unis. La sensibilité de l’opinion vis-à-vis des hausses de taux est plus élevée aujourd’hui qu’il y a quarante ans. Les banques centrales doivent tenir compte tout à la fois des réactions de la population ainsi que de la solvabilité des États et des banques.
Pour lutter contre l’inflation, les banques centrales auront besoin de l’appui des États qui devront freiner la demande en jouant sur la fiscalité et les dépenses. Les banques centrales seront dans les faits certainement moins indépendantes que dans le passé.