Il y a 50 ans, la guerre du Kippour signa la fin des Trente Glorieuses, période de rattrapage et de forte croissance pour de nombreux pays européens, dont la France. Au mois d’octobre 1973, les pays pétroliers arabes regroupés au sein de l’OPEP décidèrent une multiplication par quatre du prix du baril ainsi que des embargos à l’encontre des pays soutenant Israël, dont les États-Unis et les Pays-Bas. Le monde occidental connut alors une récession puis bascula dans la stagflation, combinaison délétère de faibles inflation et croissance. La guerre du Kippour constitua, pour de nombreux observateurs, une rupture, mais dans les faits, elle a surtout accéléré des tendances présentes depuis quelques années.
A la fin des années 1960, les pays producteurs s’étaient mis d’accord pour prendre le contrôle du marché pétrolier et augmenter le prix du baril. Par ailleurs, l’aggravation des déficits publics et commerciaux aux États-Unis et dans d’autres pays, et les mécanismes d’indexation constituaient un terreau favorable à l’enclenchement d’une spirale inflationniste. Pour éviter la disparition de son stock d’or, les États-Unis mirent ainsi fin le 15 août 1971 à la convertibilité du dollar avec le métal précieux, convertibilité qui constituait la pierre angulaire des systèmes monétaires issus de Bretton Woods en 1944.
En 1979, la révolution iranienne provoqua le deuxième choc pétrolier avec une multiplication par près de trois du prix du baril de pétrole et une nouvelle vague inflationniste. Ce deuxième choc sonna la fin de l’âge d’or de l’OPEP. Le pouvoir des pays arabes producteurs de pétrole commença alors à s’émousser. La part de ces pays dans la production pétrolière est passée de plus de 50 % en 1973 à 35 % en 2022 avec l’arrivée de nouveaux pays producteurs, en Afrique, en Asie et, avec le retour au premier plan sur le marché pétrolier des États-Unis grâce au pétrole de schiste.
Le développement de l’énergie nucléaire puis des énergies renouvelables a également réduit la dépendance des pays occidentaux aux hydrocarbures. Par ailleurs, la croissance économique est devenue, au fil des années, plus économe en énergie.
Faute de pouvoir maîtriser le marché, en 1986, l’Arabie saoudite arrêta de soutenir le prix du baril, ce qui amena un contrechoc pétrolier. Les deux guerres contre l’Irak de 1991 et de 2003 ne provoquèrent que des augmentations temporaires et relativement faibles au regard de l’ampleur des événements. Il fallut attendre la fin des années 2000 pour battre de nouveaux records. En juillet 2008, le baril de Brent dépassa 132 dollars à la veille de la crise des subprimes. La forte croissance économique du tournant du siècle portée par la mondialisation et l’essor de la Chine, la multiplication des pratiques spéculatives et les craintes d’un pic pétrolier expliquent cette envolée du cours du baril. La crise financière provoqua sa chute, le baril s’échangeant à moins de 40 dollars en décembre 2008.
Il fallut attendre quatorze ans pour que le pétrole se rapproche de son sommet de 2008. Au mois de mars 2022, lors du déclenchement de la guerre en Ukraine, le baril de pétrole a atteint près de 120 dollars avant de redescendre rapidement autour de 80 dollars. Le marché a réussi à surmonter, ces trente dernières années, de nombreux chocs, dont la mise à l’écart de deux grands pays producteurs, la Russie et l’Iran. Si les hausses ont été temporaires, les baisses durant ces dix dernières années ont été brutales et parfois durables. Au mois de juin 2016, le baril de pétrole ne s’échangeait pas à moins de 30 dollars en raison de la montée en puissance des gisements de pétrole de schiste. En avril 2020, au moment de l’épidémie de covid, un baril coûtait 17 euros et sur les marchés à terme, sa valeur était même négative.
Les opérations terroristes menées par le Hamas en Israël depuis le 7 octobre dernier n’ont provoqué, pour le moment, qu’une hausse de 6 % du prix du baril, ne compensant pas sa chute de près de 15 % intervenue au début du mois d’octobre en raison de l’annonce de stocks importants aux États-Unis. Le baril de Brent s’échangeait à 90 dollars le vendredi 13 octobre 2023.
Le marché pétrolier en 2023 diffère significativement de celui de 1973. Israël n’est pas confrontée à un front uni des pays arabes. Depuis 1973, ce pays a été reconnu par l’Égypte, les Émirats Arabes Unis et Bahreïn. Ces dernières semaines, des négociations étaient en cours avec l’Arabie Saoudite. Ces différents États ont en commun de vouloir limiter l’influence de l’Iran dans l’espace arabopersique.
La volatilité relativement faible du marché pétrolier s’explique par de multiples facteurs, dont le nombre important de pays producteurs, la volonté des pays du Golfe de gérer sur la durée leur rente pétrolière, et l’essor grandissant des énergies renouvelables. De plus, le conflit entre le Hamas et Israël intervient en pleine période de ralentissement de la croissance, que ce soit en Chine ou en Occident, ce qui limite la demande en pétrole.
La situation serait tout autre en cas d’embrasement du Proche et du Moyen-Orient, notamment avec une extension du conflit à l’Iran, qui contrôle le détroit d’Ormuz par lequel passe près d’un quart des exportations mondiales de pétrole.
Si le poids de l’OPEP a décliné ces dernières années, en revanche, il devrait s’accroître à moyen terme. Les gisements aux États-Unis, en Russie et au Royaume-Uni sont amenés à se tarir, donnant aux pays du Moyen-Orient, compte tenu de l’importance de leurs réserves, un réel avantage. Cependant, les capitaux fuient les énergies carbonées, provoquant un sous-investissement dans le secteur pétrolier. Les hydrocarbures restent indispensables pour le bon fonctionnement des économies, notamment dans les domaines des transports aériens, de la plasturgie, de la chimie, et d’autres secteurs. Les besoins en pétrole devraient continuer à augmenter jusqu’en 2040 voire 2050, en lien avec la croissance démographique en Afrique.
Dans ce contexte, la survenue d’un choc pétrolier avec la multiplication des cours par trois ou quatre n’est pas le scénario le plus probable. En revanche, le maintien d’un prix élevé du baril s’appréciant progressivement n’est pas impossible.
Par Philippe Crevel, le Cercle de l’épargne