jeu. Déc 19th, 2024

Le conflit entre la Russie et l’Ukraine a provoqué des turbulences sur les marchés financiers et considérablement accru l’incertitude quant à la reprise de l’économie mondiale. En résumé, depuis notre dernière publication, le monde a changé et les risques aussi.

  • La hausse des cours des matières premières intensifie la menace d’une inflation élevée et durable, ce qui accroît les risques de stagflation et de troubles sociaux.
  • Certains secteurs comme l’automobile, les transports ou la chimie devraient être davantage impactés
  • Coface prévoit une profonde récession de l’ordre de -7,5% pour la Russie en 2022, et a dégradé son évaluation du risque pour la Russie à D (très élevé).
  • Les économies européennes sont les plus menacées. A ce stade, Coface anticipe au moins 1,5 point de pourcentage d’inflation supplémentaire en 2022, tandis que la croissance du PIB pourrait être réduite d’un point. Si l’on ajoute à cela une interruption totale des flux de gaz naturel russe, l’impact sur le PIB serait d’au moins 4 points ce qui conduirait à une croissance de l’UE proche de zéro – voire en territoire négatif – en 2022.

 

Le conflit accroit encore la pression sur les marchés de l’énergie et des matières 1ères

La Russie est le 3ème producteur mondial de pétrole, le 2ème producteur de gaz naturel et figure parmi les 5 premiers producteurs d’acier, de nickel et d’aluminium. Elle est également le 1er exportateur de blé au monde (près de 20 % du commerce mondial). De son côté, l’Ukraine est un important producteur de maïs (6ème), de blé (7ème), de tournesol (1er), et figure parmi les dix premiers producteurs de betteraves à sucre, d’orge, de soja et de colza.
A l’annonce de l’invasion, les marchés financiers mondiaux ont fortement chuté, et les prix du pétrole, du gaz naturel, des métaux et des denrées alimentaires ont bondi. Dernièrement, les prix du pétrole Brent ont franchi la barre des 100 dollars le baril pour la 1ère fois depuis 2014 (115$/b au moment où nous écrivons), tandis que les prix du gaz TTF en Europe ont bondi à un niveau record de 192 euros le matin du 4 mars. Alors que les prix élevés des matières premières étaient l’un des risques déjà identifiés comme pouvant perturber la reprise, l’escalade du conflit augmente la probabilité que les cours restent élevés beaucoup plus longtemps. Cela intensifie à son tour la menace d’une inflation élevée et durable, augmentant ainsi les risques de stagflation et de troubles sociaux dans les pays avancés et émergents.

 

L’automobile, les transports et la chimie sont les secteurs les plus vulnérables

La crise affecte évidemment le secteur automobile déjà mis à rude épreuve par des pénuries et les prix élevés des composants et matières premières: métaux, semi-conducteurs, cobalt, lithium, magnésium… Les usines automobiles ukrainiennes fournissent les principaux constructeurs automobiles d’Europe occidentale. Certains ont annoncé l’arrêt de leurs usines en Europe tandis que d’autres usines dans le monde prévoient déjà des arrêts de production en raison des pénuries de puces.

Les compagnies aériennes et les entreprises de fret maritime souffriront également de la hausse des prix du carburant, les compagnies aériennes étant les plus impactés. On estime en effet que le carburant représente environ un tiers de leurs coûts totaux. De plus, les pays européens, les États-Unis et le Canada ont interdit aux compagnies aériennes russes d’accéder à leurs territoires et, en retour, la Russie a interdit l’accès de son espace aérien aux avions européens et canadiens. Cela engendrera des coûts plus élevés car les avions devront emprunter des itinéraires plus longs. Enfin, les compagnies aériennes disposent de marges de manoeuvre réduites pour faire face à l’augmentation des charges, car elles continuent de subir une baisse de leurs revenus en raison de la pandémie. Le fret ferroviaire sera également touché : les entreprises européennes n’ont pas le droit de faire appel aux compagnies des chemins de fer russes, ce qui devrait perturber l’activité de fret entre l’Asie et l’Europe, qui transite par la Russie.

Nous nous attendons également à ce que les matières premières pour l’industrie pétrochimique soient plus chères, et que la flambée des prix du gaz naturel ait un impact sur le prix des engrais, et donc sur l’ensemble de l’industrie agroalimentaire.

 

Une profonde récession en perspective pour l’économie russe

L’économie russe sera en grande difficulté en 2022 et connaitra une profonde récession. Coface prévoit désormais que le PIB diminue de -7,5% en 2022 après la reprise économique de 2021. Cela nous a conduit à dégrader l’évaluation du risque pays de B (assez élevé) à D (très élevé).

Les sanctions concernent notamment les grandes banques russes, la banque centrale russe, la dette souveraine russe, certains responsables publics et oligarques russes, ainsi que le contrôle des exportations de composants de haute technologie vers la Russie. Ces mesures exercent une pression à la baisse considérable sur le rouble russe, qui s’est déjà effondré, et entraîneront une hausse de l’inflation des prix à la consommation.

La Russie dispose d’une situation financière relativement solide : faible niveau de dette publique extérieure, excédent récurrent de la balance courante, ainsi que d’importantes réserves de change (environ $640 milliards). Toutefois, le gel imposé par les pays dépositaires occidentaux sur ces réserves empêche la banque centrale russe de les déployer et réduit l’efficacité des actions russes. L’économie russe pourrait bénéficier de la hausse des prix des matières 1ères, notamment pour ses exportations d’énergie. Toutefois, les pays de l’UE ont annoncé qu’ils comptaient limiter leurs importations en provenance de Russie. Dans le secteur industriel, la restriction de l’accès aux semi-conducteurs, aux ordinateurs, et aux équipements de télécommunication, d’automatisation et de sécurité de l’information produits en Occident sera préjudiciable, étant donné l’importance de ces éléments dans les secteurs miniers et manufacturiers russes.

 

Les économies européennes sont les plus menacées

En raison de sa dépendance au pétrole et au gaz naturel russes, l’Europe apparaît comme la région la plus exposée aux conséquences de ce conflit. Le remplacement de la totalité des approvisionnements de l’Europe en gaz naturel russe est impossible à court ou moyen terme et les niveaux de prix actuels auront un effet significatif sur l’inflation. Au moment où nous écrivons, et alors que le baril de Brent se négocie au-dessus de 125 $ et que les contrats à terme sur le gaz naturel suggèrent des prix durablement supérieurs à 150 €/Mwh, Coface anticipe au moins 1,5 point de pourcentage d’inflation supplémentaire en 2022. Cela éroderait la consommation des ménages et, combiné avec la baisse attendue des investissements des entreprises et des exportations, cela réduirait la croissance du PIB d’environ un demi-point.

Si l’Allemagne, l’Italie ou certains pays d’Europe centrale et orientale sont plus dépendants du gaz naturel russe, l’interdépendance commerciale des pays de la zone euro laisse présager un ralentissement général.

En outre, nous estimons qu’une interruption totale des flux de gaz naturel russe vers l’Europe porterait l’impact sur la croissance du PIB en 2022 à 4 points de pourcentage. Cela amènerait une évolution du PIB proche de zéro, voire en territoire négatif – en fonction de la manière dont serait gérée la destruction de la demande.

 

Aucune région ne sera épargnée par l’inflation importée et les perturbations du commerce mondial

Dans le reste du monde, les conséquences économiques se feront surtout sentir à travers la hausse des prix des matières premières, qui alimentera les pressions inflationnistes déjà existantes. Comme toujours lorsque les prix des matières premières s’envolent, les importateurs nets de produits énergétiques et alimentaires seront particulièrement touchés, avec le spectre de ruptures d’approvisionnement majeures en cas d’escalade encore plus importante du conflit. La baisse de la demande européenne entravera également le commerce mondial.

En Asie-Pacifique, l’impact se fera sentir presque immédiatement via la hausse des prix des importations, notamment de l’énergie. De nombreuses économies de la région sont en effet des importateurs nets d’énergie, avec en tête la Chine, le Japon, l’Inde, la Corée du Sud, Taïwan et la Thaïlande.

Comme les liens commerciaux et financiers entre l’Amérique du Nord, la Russie et l’Ukraine sont assez limités, l’impact du conflit se fera principalement par le canal des prix et par le ralentissement de la croissance européenne. Malgré la perspective d’une croissance économique plus faible et d’une inflation plus élevée, les récents événements géopolitiques ne devraient pas faire dérailler la politique monétaire en Amérique du Nord à ce stade.

 

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *