mar. Mai 21st, 2024

Par Asteres

La France n’est pas en économie de guerre, mais aurait les moyens budgétaires d’y entrer.
La notion « d’économie de guerre » n’est pas clairement définie. Elle se caractérise
généralement par une forte hausse des dépenses de défense et par l’allocation globale des
ressources vers un objectif militaire plutôt que vers les objectifs habituels de la politique
économique (croissance et pouvoir d’achat notamment). Israël, la Russie et l’Ukraine sont
actuellement en économie de guerre. Au vu des taux auquel la France s’endette et des
réallocations budgétaires possibles, la France pourrait, si elle le décidait, entrer en économie de
guerre sans se retrouver en situation de défaut sur sa dette publique.

 

1) Définition : Un terme flou

Le terme « économie de guerre » ne fait pas l’objet d’une définition standardisée. Le terme
peut être appréhendé selon une définition strictement militaire ou selon une approche plus
générale. Dans les deux cas, il n’existe pas de seuil précis (par exemple en termes de dépenses
militaires) à partir duquel on considère qu’un pays est en économie de guerre, d’où un certain
flou entourant ce terme.

– L’économie de guerre au sens strict vise à réorganiser l’économie afin de faire face à une
menace militaire. Selon une approche strictement militaire, l’économie de guerre est une
situation dans laquelle un pays réorganise l’ensemble de son économie de façon à accroître
fortement ses capacités militaires pour se donner les moyens de faire face à une agression ou
une menace. Cela passe généralement par une forte implication de l’Etat qui planifie une part
croissante de l’économie et réoriente les moyens de production vers l’industrie d’armement
(hausse des impôts, réallocation des dépenses publiques, orientation de la main d’œuvre vers
l’armée et l’industrie militaire, fléchage de l’épargne vers des investissements liée à l’industrie
de l’armement). Il en résulte une évolution de l’économie au profit de l’industrie d’armement
et au détriment des autres productions (baisse de la consommation des ménages par exemple).

– L’économie de guerre, dans un sens plus général, vise à réorganiser l’économie afin de
faire face à tout type de menace imminente. Selon une approche plus large, l’économie de
guerre est une situation dans laquelle, face à un danger important (pas forcément militaire)
l’Etat modifie fortement le fonctionnement de l’économie. Selon cette définition élargie, les
confinements pendant la pandémie de Covid-19 correspondent à une situation d’économie de
guerre. La menace était alors sanitaire et non militaire, mais elle a conduit à une modification
brutale du fonctionnement de l’économie. Les objectifs habituels de la politique économique
(croissance, pouvoir d’achat, comptes publics par exemple) ont été abandonnés pour ne
privilégier que la limitation des contacts afin de limiter la propagation du virus. L’urgence
climatique pourrait également, selon cette définition, impliquer un passage en économie de
guerre au sens où l’économie serait fortement réorientée vers l’objectif de réduction des
émissions de carbone.

 

2) Dépenses militaires : La France n’est pas en économie de Guerre

La part du PIB consacrée aux dépenses militaires est le meilleur indicateur pour
déterminer si un pays est entré en économie de guerre. Bien qu’il n’existe pas de seuil de
dépenses militaires à partir duquel il est possible de dire qu’un pays est ou non en économie de
guerre, l’évolution du budget de la défense rapporté au PIB permet de savoir si un pays s’oriente
vers une économie de guerre (au sens strictement militaire du terme). Un deuxième critère,
moins objectif, est d’observer les priorités fixées par chaque pays. La France n’est pas
actuellement en économie de guerre, ni les Etats-Unis. En revanche, Israël, la Russie ou
l’Ukraine sont en économie de guerre.

– La France n’est pas en économie de guerre. La France consacre environ 2 % de son budget
à la défense. Cette part est certes supérieure à celle d’autres pays voisins (Allemagne, Italie
par exemple), mais elle a fortement baissé depuis plusieurs décennies (plus de 5 % du PIB en
1960). De plus, malgré les déclarations parfois martiales du président Macron qui déclarait en
juin 2022 que la France et l’Union européenne sont entrées dans « une économie de guerre
dans laquelle (…) nous allons durablement devoir nous organiser1 », les principaux objectifs
économiques du gouvernement concernent l’emploi, l’inflation, le pouvoir d’achat ou le
déficit public, tout autant, voire plus, que la hausse de la production militaire.

– Les Etats-Unis ne sont pas en économie de guerre. Pendant la seconde guerre Mondiale,
les Etats-Unis ont consacré jusqu’à 40 % de leur PIB à la défense2. Il s’agissait alors
pleinement d’une situation d’économie de guerre. Cette part est tombée à 10 % du PIB dans
les années 1960, puis s’est érodée pour atteindre 3,4 % du PIB en 2022 d’après la Banque
Mondiale. De plus, les principales dépenses engagées par le président Bident (subvention des
énergies vertes et des usines de semi-conducteurs) ne concernent pas, ou pas prioritairement,
l’industrie militaire (même si certains investissements sont clairement destinés à limiter la
dépendance aux importations chinoises dans un contexte de tensions croissantes).

– Israël est en économie de guerre depuis l’attaque du 7 octobre 2023. Israël consacre
structurellement un part importante de son PIB à la défense (4,5 % du PIB en 2022 et jusqu’à
30 % du PIB en 1975). Depuis l’attaque du 7 octobre 2023 et l’appel de nombreux réservistes
qui ont quitté leur précédent emploi, l’économie israélienne a subi un choc violent, avec une
chute de -5,2 % du PIB au quatrième trimestre 2023 (ou -19,4 % en rythme annualisé). Le
pays est entré en économie de guerre puisqu’il privilégie désormais des objectifs militaires
dans l’allocation de ses ressources (notamment la force de travail) sur l’objectif de croissance
économique.

– La Russie est en économie de guerre depuis 2022. En 2021, avant l’invasion de l’Ukraine,
la Russie consacrait 3,7 % de son PIB à son armée, un niveau élevé mais qui paraît cependant
insuffisant, au vu des comparaisons historiques, pour caractériser une économie de guerre. Le
budget militaire russe est en forte hausse depuis 2022, bien que les montants exacts soient sujets à débat3. De plus, l’économie du pays est totalement réorganisée depuis 2022 en
fonction d’objectifs militaires et non plus économiques : mobilisation de réservistes au risque
de créer des pénuries de main d’œuvre, hausse de la production militaire, réorganisation
complète des flux commerciaux en fonction de considérations géopolitiques.

– L’Ukraine est clairement entrée en économie de guerre depuis 2022. Entre 2013 et 2015,
la part de la défense dans le total du PIB ukrainien a doublé, passant de 1,5 % à 3 % du PIB,
du fait de l’annexion de la Crimée. Puis, en 2022, ce ratio a été multiplié par dix. L’Ukraine
consacre désormais plus de 30 % de son PIB à la défense, une situation claire d’économie de
guerre.

 

3) Finances publiques française : Le pays pourrait entrer en économie de Guerre

La France pourrait, si elle le décidait, entrer en économie de guerre sans nécessairement
mettre en péril ses finances publiques. Bien que le niveau de déficit et de dette publique fasse
naître de légitimes craintes concernant la solidité des finances publiques, le niveau du « spread »
indique que la France n’a pas de difficulté à se financer. De plus, si le pays décidait de passer
en économie de guerre, il en résulterait une hausse des impôts et (ou) une baisse des dépenses
publiques dans les secteurs civils.

– La France n’a pas, actuellement, de difficulté à emprunter de l’argent. L’indicateur de la
confiance des marchés financiers (c’est-à-dire des épargnants du monde entier) dans la dette
française est le taux auquel l’Etat emprunte. Plus le risque de défaut est perçu comme élevé,
plus les épargnants ne prêtent qu’en échange d’un taux plus élevé pour compenser le risque
pris. Plus spécifiquement, il convient de regarder le « spread », c’est-à-dire l’écart entre le
taux français et le taux allemand (considéré comme le pays le plus sûr). En effet, le taux
français, seul, varie en fonction des conditions financières générales (taux directeurs de la BCE par exemple) et pas uniquement en fonction de la situation spécifique des finances
publiques françaises. Depuis fin 2023, le spread est orienté à la baisse, indiquant que la France
n’a pas de difficulté à emprunter de l’argent sur les marchés financiers. Une éventuelle hausse
des dépenses militaires pourrait donc, dans le contexte actuel, être financée par du déficit
public.

– Une économie de guerre impliquerait une réallocation des ressources publiques. Si la
France décidait de passer en économie de guerre, la hausse des dépenses publiques de défense
nécessaires ne serait probablement pas uniquement financée par de la dette publique, au risque
d’entraîner une défiance des prêteurs dans le futur. Il en résulterait certainement une baisse
des dépenses dans les domaines civils et une hausse des impôts. Comme souvent en économie
de guerre, la consommation et le niveau de vie des ménages seraient impactés.

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