jeu. Juin 19th, 2025

Le choc politique outre-Atlantique a désormais sévèrement ébranlé l’hégémonie du dollar, constituant une opportunité en or pour le yuan. En effet, malgré la volonté et les efforts de Pékin de supplanter le dollar par sa propre devise, la yuanisation de l’économie mondiale ne s’est faite que très partiellement. La Chine veut accélérer la yuanisation de l’Asie à l’image du récent accord bilatéral signé avec l’Indonésie, prévoyant l’utilisation des monnaies locales pour les échanges commerciaux avec la plus grande économie d’Asie du Sud-Est.

Son système de paiement transfrontalier CIPS pourrait renforcer l’attrait des alternatives chinoises au système actuel, renforçant ainsi son influence sur le système financier international. Le projet mBridge, plateforme utilisant l’e-CNY, davantage contrôlé par l’État, offre des alternatives plus rapides et peu coûteuses aux transactions traditionnelles en dollars. La Chine va-t-elle réussir la yuanisation de l’économie mondiale ? Le frein souvent évoqué est la fermeture de son compte de capital. Mais la dollarisation de l’économie mondiale avait commencé en 1950, lorsque des contrôles de capitaux étaient encore présents aux États-Unis. Au-delà des considérations économiques, les considérations géopolitiques devraient renforcer le rôle du yuan dans le système financier mondial.

Malgré les efforts de Pékin pour supplanter le dollar, le yuan est encore en retard. Le graphique ci-contre, tiré de la Fed, montre qu’en dépit de la part importante de la Chine dans le PIB (17 %) et dans le commerce mondial (12,8 %), le yuan ne représente que 2,5 % des devises utilisées au niveau international, très loin derrière le dollar dont la part est de 66 %. L’indice d’utilisation des devises internationales est une moyenne pondérée de la part de chaque devise dans les réserves de change mondiales divulguées (pondération de 25 %), du volume des transactions de change (25 %), de l’émission de dette en devises étrangères (25 %), des créances en devises étrangères et bancaires internationales (12,5 %) et des passifs en devises étrangères et bancaires internationaux (12,5 %).

Le renminbi représente également seulement 3,5 % des paiements par SWIFT (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), le réseau de communication sécurisé pour les institutions financières permettant l’échange de transactions financières à travers le monde. Les transactions continuent d’être effectuées principalement en dollar représentant 50 % des paiements totaux. On peut noter la chute apparente de l’euro dès 2023, qui est liée à un changement majeur de plateforme de paiement en Europe, et l’adoption d’une nouvelle norme de messagerie SWIFT. Cependant, malgré cela, la part de l’euro est restée stable autour de 20 %. Dans la guerre économique (et technologique) qui l’oppose aux États-Unis, la Chine cherche à promouvoir le yuan dans les échanges internationaux. C’est dans cette perspective que la PBOC a considérablement augmenté ses réserves d’or représentant désormais 7 % de ses réserves internationales mais reste au-dessous de la moyenne mondiale de 15 %, suggérant des marges de manœuvre pour accumuler davantage du métal précieux et soutenir les cours. La Chine a également comme objectif de dédollariser une partie de l’Asie afin d’établir le yuan comme devise dominante dans les échanges commerciaux avec la région.

Elle a déjà posé les jalons d’un tel dessein avec le Partenariat Économique Régional Global (PERG), le plus grand accord de libre-échange au monde, réunissant 15 pays dont le Japon, la Corée du Sud et des membres de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN). Le PERG entre dans sa troisième année et les échanges devraient croître progressivement au cours des 10 à 15 prochaines années, date à laquelle 90 % des biens couverts par l’accord seront exemptés de droits de douane. Les transactions transfrontalières de la Chine en yuans représentent 754 milliards de dollars au mois d’avril, soit 55 % de ses transactions financières transfrontalières, dépassant pour la première fois celles libellées en dollar comme le montre le graphique ci-contre. Les sanctions financières américaines contre la Russie, notamment le gel de ses avoirs en dollars après son invasion de l’Ukraine, ont accéléré l’utilisation du yuan dans les échanges commerciaux avec la Chine. En 2024, la part des paiements transfrontaliers en yuans dans le commerce de biens a atteint 30 % d’après le gouverneur de la PBoC. La Chine incite ses partenaires commerciaux, notamment asiatiques comme la Corée du Sud, à régler leurs paiements en renminbi.

es exportateurs chinois demandent aux importateurs sud-coréens de régler en yuan en leur proposant des remises sur les prix et les banques chinoises prennent à leur charge les coûts de couverture du taux de change. En conséquence, la part des paiements aux exportateurs chinois en yuans a plus que doublé passant de 6,5 % en 2020 à 13,7 % l’année dernière, selon la Banque centrale de Corée du Sud. Le 26 mai dernier, la Chine a relevé le ratio plancher des transactions commerciales libellées en yuan de 25 % à 40 % afin de promouvoir l’usage du yuan dans les transactions commerciales. En accélérant l’internationalisation de sa devise, la Chine lutte également contre l’extraterritorialité du droit américain qui s’applique au dollar et se protégerait de potentielles sanctions financières américaines. Les États-Unis et leurs alliés ont déployé un important arsenal financier pour sanctionner la Russie à la suite de son invasion de l’Ukraine. Il s’agit de la déconnexion des banques russes à SWIFT, l’interdiction d’effectuer des transactions avec des contreparties russes ainsi que le gel des actifs en dollars de la banque centrale. Cela a été possible car les actionnaires de SWIFT sont des banques occidentales, CHIPS, le plus grand système de compensation et de règlement en dollar du secteur privé, est supervisé par la Fed, et aussi parce que le dollar est la devise dominante. Le système de paiement transfrontalier CIPS soutenu par la PBOC pourrait renforcer l’attrait des alternatives chinoises à la finance internationale.

Lancé en 2015 pour accroître l’efficacité et réduire les coûts de transactions en yuan, CIPS compense et règle en utilisant généralement la messagerie SWIFT pour la compensation et les règlements transfrontaliers. L’équivalent américain est CHIPS. CIPS a déjà convaincu 1 300 établissements bancaires répartis dans 110 pays. L’adoption de CIPS a accéléré à la suite des sanctions contre la Russie en 2022 pour atteindre un volume de 60 milliards de dollars/jour au T2 2023 comme le montre le graphique ci-contre. Le gouvernement chinois a ainsi la volonté d’utiliser CIPS pour exercer son influence sur le système financier international. La Chine a également amorcé dès 2017 un projet pilote de yuan numérique : e-CNY. Depuis, le pays est à l’avant-garde de la révolution des monnaies numériques de banques centrales. Selon l’enquête de la Banque des règlements internationaux de 2024, 87 % des banques centrales du G20 prennent en compte le modèle chinois dans leurs recherches, attestant de la viabilité du yuan numérique. L’e-CNY permet à la Chine de construire une architecture financière parallèle. La Chine a inclus l’e-CNY dans des projets comme mBridge, une plateforme de monnaie numérique de banque centrale multi-bancaire, pour effectuer des paiements transfrontaliers. Les autres participants sont Hong Kong, la Thaïlande, les Émirats Arabes Unis et l’Arabie Saoudite. mBridge connaît une croissance de 300 % par an, avec 22 milliards de dollars traités en 2023.

Sur cette plateforme, les transactions transfrontalières sont traitées en moins de 10 secondes contre 2 à 3 jours pour SWIFT ! mBridge est également disponible aux horaires de fermeture de SWIFT, ce qui renforce son attrait. Les pays sous sanctions financières américaines comme la Russie, l’Iran et le Venezuela envisagent l’e-CNY comme moyen de contournement de SWIFT. L’e-CNY, davantage contrôlé par l’État, pourrait donc éroder la domination du dollar en offrant des alternatives plus rapides et peu coûteuses aux transactions traditionnelles en dollars. Une expansion de mBridge est également prévue cette année à 15 nouveaux pays pouvant générer 500 milliards de dollars par an contre 5 000 milliards de dollars de flux quotidiens pour SWIFT. Afin d’accélérer l’adoption de son e-CNY, la Chine pourrait imposer une tarification en yuans de ses terres rares représentant 80 % de l’approvisionnement mondial. C’est probablement un point de discorde dans les négociations actuelles avec la Maison Blanche.

Le système financier international adopté depuis la Seconde Guerre mondiale, donnant au dollar une place dominante, est de plus en plus contesté à travers le globe. La Chine saisit cette opportunité pour accélérer la yuanisation de l’économie mondiale. Pour cela, les autorités peuvent s’appuyer sur une infrastructure financière parallèle basée sur le système de paiement transfrontalier CIPS et l’e-CNY utilisé dans la plateforme mBridge offrant des alternatives plus rapides, peu coûteuses et davantage contrôlées par l’État, aux transactions traditionnelles en dollars. Cela permet aux pays de se diversifier du dollar, de se protéger des sanctions américaines et de créer une route de la soie numérique à travers l’expansion de la plateforme mBridge à d’autres pays. À défaut d’accroître l’attractivité du yuan, qui dépend de la solidité de l’économie chinoise, CIPS et mBridge permettent à la Chine d’exercer son influence sur le système financier international en rabattant les cartes de l’échiquier géopolitique.

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