Les deux grandes zones économiques occidentales divergent depuis 2020, les ÉtatsUnis enregistrant une croissance au moins deux fois supérieure à celle de l’Union européenne. Cette divergence se traduit par un écart croissant de niveau de vie de part et d’autre de l’Atlantique. L’évolution de la productivité, de la population ainsi que celle de l’investissement expliquent en grande partie la différence de croissance entre les États-Unis et la zone euro.
Une divergence de productivité
La première différence majeure entre les États-Unis et la zone euro réside dans les gains de productivité. Aux États-Unis, ces gains sont élevés, quand ils sont faibles, voire négatifs, dans la zone euro depuis 2018. La productivité par tête a augmenté de 42 % entre 2002 et 2023 aux États-Unis, contre seulement 10 % en zone euro. De 2018 à 2023, elle a progressé de 10 % aux États-Unis, alors qu’elle a baissé de 3 % en zone euro.
Cet écart de productivité est largement imputable au moindre effort d’investissement de la zone euro dans les technologies de l’information et de la communication. En 2023, cet effort représentait 1,1 % du PIB aux États-Unis, contre 0,7 % en zone euro. L’écart est encore plus important en ce qui concerne les dépenses en recherche et développement, atteignant 3,6 % du PIB aux États-Unis, contre 2,3 % en zone euro en 2023. En vingt ans, cet écart est passé de 0,7 à 1,3 point de PIB.
Une inflation salariale plus importante dans la zone euro
Depuis 2017, la zone euro connaît une inflation salariale plus élevée que les États-Unis. En sept ans, le coût salarial unitaire a augmenté de 16 % aux États-Unis, contre 19 % pour les États membres de la zone euro. Cette dernière ne peut pas compter sur les gains de productivité pour compenser les hausses de salaires.
Une population active en hausse aux États-Unis
Le dynamisme de l’économie américaine repose en partie sur l’immigration. En 2023, le pays a enregistré un solde net de 3 millions d’entrées. Ces arrivées massives contribuent à la croissance de la population active, alors que celle-ci tend à s’éroder en zone euro.
La croissance potentielle dépend essentiellement de l’évolution combinée de la population active et de la productivité, deux facteurs où la zone euro est en retrait par rapport aux États-Unis.
La plus forte profitabilité des entreprises américaines
Le taux de marge bénéficiaire (rapport entre le prix du PIB et le coût salarial unitaire) a progressé de 17 % entre 2002 et 2023 aux États-Unis, alors qu’il a baissé de 2 % dans la zone euro. Depuis 2021, ce taux est en constante diminution dans la zone euro, tandis qu’il continue de croître outre-Atlantique. Les entreprises américaines bénéficient de gains de productivité plus élevés et d’un partage de la valeur ajoutée plus favorable.
Un écart de croissance qui perdure
Compte tenu des différences en matière d’investissement et de population, l’écart de croissance entre les États-Unis et la zone euro risque de se maintenir. Entre 2002 et 2023, le PIB américain a augmenté de 60 %, contre moins de 30 % pour la zone euro.
Le premier décrochage a eu lieu après la crise financière de 2008. La politique monétaire accommodante mise en place par la Réserve fédérale dès 2009 a sans nul doute favorisé l’investissement aux États-Unis. La Banque centrale européenne n’a suivi cette voie qu’à partir de 2015. Entre 2010 et 2014, la zone euro a été pénalisée par la gestion de la crise des dettes souveraines.
L’Europe peut néanmoins se targuer de la stabilisation des inégalités. L’indice de Gini, qui mesure ces dernières, est resté stable à 0,31 entre 2002 et 2022, tandis qu’il est passé de 0,36 à 0,39 aux États-Unis. Le taux de pauvreté (calculé par rapport au seuil de 60 % du revenu disponible médian) aux États-Unis était, en 2025, de 24 %, contre 18 % en zone euro.
Un modèle de croissance à questionner
Les performances indéniables des États-Unis sont-elles le résultat d’un partage de la valeur ajoutée plus favorable aux entreprises, ou bien d’une plus grande appétence pour le progrès ? Le modèle entrepreneurial américain, associé à une forte immigration, semble plus favorable à la croissance que celui de l’Europe, qui met davantage l’accent sur la justice sociale. Le défi pour les Européens est de générer suffisamment de croissance pour financer leur modèle.
Par Philippe Crevel