par Michaël Nizard, Directeur des Gestions Multi Asset & Overlay et Nabil Milali, gérant/stratégiste Multi-Asset & Overlay chez Edmond de Rothschild AM
Entre la mémoire des précédentes confrontations, l’ampleur du dispositif militaire américain, et le spectre d’une riposte incontrôlable, la République islamique semble à la croisée des chemins.
Vingt-quatre heures après les frappes américaines contre les installations nucléaires iraniennes de Fordo, Natanz et Ispahan, la République islamique se trouve confrontée à une équation géopolitique à plusieurs inconnues. Parmi ses options possibles, deux scénarii semblent se détacher, la riposte contrôlée comme prélude à la voie diplomatique avec les US ou l’escalade militaire.
La première option, celle d’une riposte calibrée et d’une survie négociée du régime consisterait à voir Téhéran relocaliser les restes de son programme nucléaire, tout en lançant des frappes limitées — par drones ou missiles — contre des cibles américaines régionales, notamment les bases militaires. Cette posture permettrait au régime de sauver la face sans risquer une contre-attaque dévastatrice, et potentiellement de rouvrir la voie à des négociations si la riposte ne dépasse pas certains seuils. Les chancelleries européennes, tout comme certains cercles à Washington, restent convaincus que la diplomatie reste une option, à condition que l’escalade soit contenue. Derrière la rhétorique guerrière habituelle du régime et malgré les lourdes pertes subies ces derniers jours, il est important de noter que Téhéran n’exclut toujours pas la voie de la diplomatie, en indiquant notamment ne pas être en guerre avec les Etats-Unis ou en cherchant la médiation de la Russie avec le déplacement de son ministre des Affaires Etrangères à Moscou. Ces dernières semaines ont en effet démontré l’impuissance du régime d’un point de vue militaire et stratégique, surtout depuis l’affaiblissement de ses alliés régionaux (Hezbollah, Hamas, Houthis), ne lui laissant d’autre porte de sortie de crise que la négociation, à condition de pouvoir sauver la face afin de préserver sa crédibilité aux yeux de la population iranienne.
La seconde option, celle de la stratégie du “go big” ou confrontation totale verrait dans cette hypothèse Téhéran aller plus loin. Dans ce scénario, l’Iran pourrait tenter de fermer temporairement le détroit d’Ormuz et/ou multiplier les cyberattaques contre les infrastructures énergétiques du Golfe. Une telle stratégie chercherait à déséquilibrer l’ordre énergétique mondial, faire monter les prix, et mettre sous pression les opinions publiques occidentales. En particulier, la fermeture du détroit d’Ormuz reste une épée de Damoclès au-dessus de la tête des marchés financiers tant ses conséquences seraient dévastatrices pour l’économie mondiale. Rappelons que plus de 20% des flux pétroliers mondiaux circulent par cette route maritime et que les alternatives terrestres via des oléoducs traversant l’Arabie Saoudite ou les EAU seraient loin de pouvoir compenser l’intégralité des pertes éventuelles. Néanmoins, Téhéran ne pourrait choisir cette option qu’en dernier recours dans la mesure où cette décision serait un suicide financier pour le régime alors que ses propres exportations de pétrole circulent dans le détroit, que les pays les plus exposés à un arrêt des flux seraient les pays asiatiques et en premier lieu la Chine qui représente désormais près de 90% des achats de pétrole iranien et qu’il risque de voir une coalition internationale se former contre lui dans ce cas de figure. Soulignons enfin que l’approvisionnement alimentaire de l’Iran se fait principalement via le détroit, ce qui devrait finir par convaincre le régime d’éviter cette option s’il ne veut pas risquer des pénuries et un mouvement de contestation sociale.
Du côté américain, après l’important bombardement des trois sites clés du programme nucléaire iranien, le président Donald Trump ne se contente pas de vanter le succès tactique : sur sa plateforme Truth Social, il évoque désormais un possible changement de régime, rompant avec la ligne officielle du gouvernement, qui continue de se dire opposé à une telle stratégie. Cette ambivalence stratégique à Washington alimente la confusion dans les capitales européennes, tout en renforçant l’argumentaire des faucons à Téhéran. Ces derniers y voient la confirmation que l’objectif réel américain dépasse la seule non-prolifération mais cela pourrait également s’apparenter à une stratégie pour maintenir la pression sur l’Iran et les contraindre à céder dans les négociations.
A moins de basculer dans l’irrationalité, ce qui ne peut être exclut si le régime est au bord de l’implosion, le scénario noir d’une fermeture du détroit d’Ormuz ou de destruction d’installations pétrolières importantes reste donc moins probable, ce que les marchés financiers semblent avoir bien intégré compte tenu des niveaux encore raisonnables auxquels évoluent le Brent (77 $/b). Néanmoins, la capacité de nuisance de Téhéran, même minime à l’instar des Houthis au Yemen, justifie le maintien d’une prime de risque géopolitique dans les cours, notamment en raison de l’envolée des primes d’assurance pour les pétroliers circulant dans la zone dont l’impact n’est pas négligeable.
Dans ce contexte, nous conservons notre vue prudente sur les marchés d’actions au vu de l’incertitude économique et géopolitique actuelle, d’autant plus que les valorisations sont revenues sur des points élevés. Concernant les investissements obligataires, nous avons une vue neutre sur la duration et continuons de préférer le portage, tandis que l’incapacité du dollar à retrouver un statut de valeur refuge nous conforte dans notre vue négative.