ven. Avr 19th, 2024

Depuis des décennies, la France se bat contre le chômage de masse au point que ce dernier était, aux yeux d’un grand nombre de personnes, devenu une fatalité. François Mitterrand ne déclara-t-il pas, en 1993, que « dans la lutte contre le chômage, on a tout essayé ». Depuis le début des années 1980, les rares améliorations sur le front de l’emploi furent temporaires et partielles. Contrairement aux propos de 1967 de Georges Pompidou – « si la France atteint un jour la barre des 500 000 chômeurs, ce sera la révolution » – le pays a franchi les seuils des deux, puis des trois millions, sans que cela ait donné lieu à des émeutes. Par crainte de celles-ci, faute de solutions tangibles, lesgouvernements toutes obédiences confondues ont multiplié, pour un coût croissant – 5 % du PIB – les aides, les exonérations et les prestations sociales avec des résultats souvent décevants.

Avec la sortie de la crise sanitaire, le taux de chômage baisse à un rythme sans précédent. Il est revenu selon les dernières statistiques d’Eurostat en-dessous de 7 %, ce qui n’était pas arrivé depuis… 1982. La France ne fait que suivre, avec retard et àdistance, l’Allemagne, la Pologne, et la République tchèque qui connaissent des taux de chômage inférieurs à 3 %. Cette baisse du chômage s’explique par un fort mouvement de créations d’emplois, 1,2 million depuis le mois de décembre 2019. La quasi-stagnation de l’activité depuis un an n’a pas mis un terme à ce processus quand, dans les années 1980/1990, il fallait 2 % de croissance pour générer des emplois. Les départs massifs à la retraite, autour de 800 000 par an, favorisent également la décrue du chômage.

Cette embellie réelle du marché de l’emploi semble laisser de marbre les Français. Le gouvernement n’en tire, pour le moment, aucun bénéfice. Au temps des fausses informations, la population doute-t-elle de la réalité de cette amélioration ou le travail ne fait-il plus rêver ? Si parmi les emplois créés, certains exigent de fortes compétences et offrent de belles perspectives de carrière, beaucoup requièrent de faibles qualifications et n’ouvrent pas droit à de réelles promotions. Cette situation est une source de désenchantement pour les jeunes qui aujourd’hui sont majoritairement diplômés de l’enseignement supérieur. Ils rechignent de plus en plus à accepter des emplois souvent mal considérés, mal payés, à horaires décalés au sein des secteurs des loisirs, du tourisme ou de la logistique. La crise sanitaire a été un révélateur. Elle a souligné les inégalités sociales avec : d’un côté, les propriétaires de logements décents, de l’autre les locataires de logements exigus mal isolés ; d’un côté, ceux qui pouvaient télétravailler pendant le covid et, de l’autre, ceux qui devaient effectuer quoi qu’il arrive leur travail à l’extérieur en prenant des risques ; d’un côté, ceux dont les revenus permettent de participer à la société de consommation et des loisirs et, de l’autre, la grande majorité des habitants qui doivent faire attention à leurs dépenses.
Depuis trois ans, la fragmentation du pays qui n’est pas une spécificité de la France s’est accrue. Elle a été aidée en cela par les technologies de l’information. La nation, communauté de destin, se fissure. L’amélioration de la situation de l’emploi ne change rien à cette évolution. Si le problème n’est pas seulement matériel, il n’en demeure pas moins que ce dernier n’est pas sans fondement, la question de l’accès au logement figurant en tête des préoccupations des Français. L’acceptation d’un emploi est de plus en plus déterminée par l’accès au logement. L’augmentation des prix de l’immobilier a été telle ces vingt dernières années qu’elle a absorbé une grande partie voire la totalité des gains de pouvoirs d’achat. La part des loyers dans le budget des ménages dépasse 32 %. Ce taux peut atteindre 40 % pour les plus modestes. De nombreux Français sont contraints de résider de plus en plus loin de leur lieu de travail qui se situe en règle générale au cœur des grandes agglomérations. Cet éloignement génère de la fatigue et des surcoûts de transports. Pour améliorer leur pouvoir achat, certains n’hésitent pas à louer, voire sous-louer, leur logement sur les plateformes en ligne quand ils s’absentent. D’autres sont contraints d’avoir plusieurs emplois afin de s’acquitter de leurs loyers.

La France n’est pas victime d’une grande démission comme les États-Unis l’ont connu en 2021 mais peut-être d’un grand désenchantement qui s’exprime notamment par une baisse de la productivité et un état permanent de dépression collective. Depuis les années 1970, la désindustrialisation a profondément déstructuré la société française.
L’usine était tout à la fois un lieu de socialisation, de solidarité et d’ascension sociale. Les services en étant beaucoup plus épars, horizontaux, n’ont pas ces caractéristiques. L’industrie avec ses importants gains de productivité permet des salaires plus élevés et en augmentation. La France a donc tout à gagner à développer un nouveau secteur industriel. À cette fin, les communes et leurs habitants devront accepter, l’implantation d’usines sur leur territoire. La revalorisation des métiers techniques est indispensable, ce qui suppose une adaptation des formations. L’obtention de gains de productivité est également nécessaire pour augmenter les salaires et financer les dépenses publiques. Au-delà de la réindustrialisation, la question centrale est bien celle de l’attractivité du travail, ce qui inclut non seulement sa rémunération mais aussi son contenu et ses conditions d’exercice.

Par le cercle de l’épargne

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