L’explosion des dépenses militaires en Europe a propulsé les entreprises de la défense à des niveaux de valorisation comparables à ceux des grandes marques du luxe. Le secteur, autrefois perçu comme à faible marge, se transforme désormais en un moteur de croissance majeur, attirant des investisseurs qui achètent les actions plus vite que les analystes ne peuvent ajuster leurs prévisions de bénéfices.
Rheinmetall AG en tête de course
L’évaluation prévisionnelle (à terme) d’un panier d’actions de sociétés de défense en Europe a connu une forte hausse ces dernières semaines, atteignant désormais le P/E (Price-Earnings Ratio) moyen des fabricants européens de produits de luxe, rapporte Bloomberg, citant des données de Goldman Sachs. Le prix des actions de Rheinmetall AG, fabricant allemand de chars et de munitions, a presque doublé depuis le début de l’année 2025, entraînant un bond record dans l’évaluation prévisionnelle de l’entreprise. Cette dernière se situe désormais entre les leaders du marché du luxe, LVMH et Hermès, fabricant des célèbres sacs Birkin.
Cette croissance a également bénéficié à d’autres acteurs européens de la défense, tels que Thales et Leonardo. Les promesses du gouvernement allemand de consacrer des centaines de milliards d’euros à la défense, soutenues par la volonté des dirigeants européens de suivre cette tendance, ont renforcé la confiance des investisseurs. Le 11 mars 2025, les actions de Rheinmetall ont encore progressé de 4 % après l’annonce du parti vert allemand, prêt à conclure un accord avec le gouvernement sur les dépenses de défense dès cette semaine.
Cependant, les analystes restent prudents face à cette flambée. Depuis le début de l’année, le prix cible moyen de Rheinmetall a augmenté de plus de 60 %, mais l’objectif pour les 12 prochains mois n’indique qu’une croissance modeste de 5 %. Selon son rapport financier publié le 12 mars dernier, l’entreprise frôle désormais les 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires. Son carnet de commandes a augmenté de 44 % l’an dernier pour atteindre 55 milliards d’euros.
Ce que disent les analystes
« Les perspectives de croissance des entreprises de défense sont aujourd’hui bien différentes de celles qu’elles avaient il y a six mois », a commenté Graham Benke, gestionnaire de fonds chez Amati Global Investors, cité par Bloomberg. « Elles peuvent sembler chères à l’heure actuelle, mais cela s’explique par le fait que le marché et Wall Street n’ont pas encore eu le temps de réajuster leurs prévisions de bénéfices. »
Robert Lancastle, de J O Hambro, qui détient des actions de Thales, Leonardo et Saab, souligne que le marché se questionne sur la possibilité d’une croissance à deux chiffres des bénéfices dans ce secteur. « Si une telle croissance est réaliste – et nous ne pensons pas qu’elle soit impossible – alors les actions de Thales, par exemple, ne semblent pas excessivement chères. »
Certains analystes jugent cependant que les valorisations sont déjà excessivement élevées, en particulier après la multiplication par dix des actions de Rheinmetall depuis février 2022. Dernièrement, Christian Kers, analyste chez Warburg Research, a modifié sa recommandation quant aux actions Rheinmetall, passant de “achat” à “maintien”, soulignant que la valorisation actuelle de l’action repose déjà sur une hausse anticipée des dépenses militaires à 3 % du PIB. « Dans ce contexte, nous recommandons aux investisseurs de sécuriser leurs gains », a-t-il conseillé.
Goldman Sachs et JPMorgan Chase estiment néanmoins que le potentiel de hausse des actions de défense en Europe reste intact. « Les entreprises européennes de défense commencent à paraître chères, même en comparaison avec leurs homologues américaines, mais les prévisions de croissance sont tellement élevées qu’elles semblent encore raisonnablement évaluées », ont écrit les analystes de Goldman Sachs, dirigés par Guillaume Jeisson, le 7 mars dernier. De leur côté, les analystes de JPMorgan, sous la direction de Mislav Matejka, se disent toujours optimistes quant au secteur, même si un cessez-le-feu entre l’Ukraine et la Russie était signé.
Contexte
L’Europe a lancé son premier fonds négocié en bourse (ETF) entièrement dédié à la défense européenne, attirant l’attention des investisseurs. Le WisdomTree Europe Defence Ucits ETF a été introduit à la bourse de Milan et de Francfort le 11 mars, et commencera à être négocié à la Bourse de Londres le 12 mars, selon le Financial Times.
Le portefeuille de cet ETF inclut 20 fabricants européens d’équipements civils et militaires, d’électronique de défense et de technologies spatiales. Il exclut cependant les entreprises impliquées dans le développement d’armements internationalement interdits, tels que les armes à sous-munitions et les mines antipersonnel.
Rheinmetall représente la plus grande part de l’indice avec 18 % du fonds. Il est suivi par l’Italien Leonardo (15 %), le Suédois Saab et le Britannique BAE Systems (10 % chacun), et le Français Thales (9 %). Une forte concentration d’actifs dans un nombre restreint d’entreprises peut souvent être un signal d’alarme pour les fonds spécialisés. Cependant, WisdomTree justifie la forte pondération de Rheinmetall par la spectaculaire hausse de ses actions, qui ont presque doublé depuis le début de l’année.
Les ETF européens existants ont jusqu’à présent offert principalement une exposition mondiale, indique le FT. Depuis le début de l’année, les investisseurs ont massivement investi dans les deux plus grands ETF dédiés à la défense : VanEck Defence Ucits et HANetf Future of Defence. Ces deux fonds sont cependant majoritairement axés sur des entreprises américaines, représentant plus de 50 % de leur portefeuille.
L’ascension fulgurante des valorisations dans le secteur de la défense européenne témoigne d’une transformation profonde. Ce marché devient aujourd’hui un moteur de croissance incontournable et attire des investisseurs en quête de sécurité et de performance. Ce phénomène révèle la convergence des enjeux géopolitiques et économiques et crée des opportunités uniques, mais aussi des risques à surveiller avec attention , Thomas Jaquet, Responsable France chez Freedom24.