Depuis la fin de la phase aigüe de la crise sanitaire, la France se distingue de ses partenaires par un taux de chômage qui demeure élevé et par l’apparition de fortes tensions de recrutement. Quand l’Allemagne, les Pays-Bas ou la République tchèque sont en situation de plein emploi, la France a toujours un taux de chômage supérieur à la moyenne de la zone euro. Mais à la différence de l’Espagne ou de l’Italie qui sont dans la même situation, plusieurs secteurs économiques sont confrontés à des pénuries de main d’œuvre. La France pourrait être ainsi confrontée à une inadéquation ,de l’offre et de la demande de travail.
Un déficit d’emploi sur fond de chômage encore élevé
La France qui se caractérise par un faible taux d’emploi au sein de l’Union européenne enregistre sur ce front une réelle amélioration. Le taux d’emploi bat depuis plus d’un an record sur record en dépassant désormais 68 %. Il demeure néanmoins nettement inférieur à celui de l’Allemagne (77 %). Avec un taux de chômage de 7,1 % contre 3 % en Allemagne, la France est confrontée à des pénuries de main d’œuvre importantes dans un grand nombre de secteurs : hébergement, restauration, bâtiment, transports, informatique, etc. A la différence des Etats-Unis, en 2021, il n’y a pas eu de réelle Grande Démission en France. Certes, le taux de démission est élevé mais il a simplement retrouvé son niveau d’avant 2008. Les Français qui démissionnent le font non pas pour arrêter de travailler mais pour changer de travail. Les tensions sur le marché du travail ne sont pas spécifiques à la France et concernent de nombreux Etats européens.
Les entreprises à la chasse des bons éléments
Le secteur des transports qui emploie près de 780 000 salariés en France illustre les difficultés de recrutement que rencontre l’économie française. Les entreprises de ce secteur éprouvent des problèmes à recruter aussi bien pour des postes de conducteurs que de sédentaires. L’arrêt des recrutements à partir de la crise financière de 2008 et des formations a abouti à ce goulot d’étranglement. La pyramide des âges est déséquilibrée avec des départs à la retraite nombreux au moment où les jeunes se détournent de ce secteur qui n’est pas jugé attractif. Parmi les critères entrant en ligne
de compte pour expliquer les difficultés de recrutement figurent sans surprise le manque d’attractivité des métiers (conditions de travail difficiles, horaires décalés, bas salaires, etc.), l’inadéquation des compétences (manque de travailleurs avec les qualifications attendues), l’absence de candidats sur certains territoires et l’intensité des embauches en lien avec une concurrence accrue des entreprises. Selon la Dares, l’intensité des embauches serait la principale cause principale des tensions sur le marché de l’emploi en 2021 ; suivi du manque de main d’œuvre, la non-durabilité de
l’emploi, les conditions de travail, puis l’inadéquation géographique. Parmi les motifs pouvant expliquer l’inadéquation entre offre et demande de travail figurent les problèmes de logement et de transports. Que ce soit au sein des grandes agglomérations ou en zones touristiques, les entreprises peinent à recruter du fait des difficultés de logement. Ainsi, à Ajaccio, les locations saisonnières réduisent le parc locatif classique provoquant une hausse des loyers. Les entreprises du bâtiment, de la restauration ou de l’hébergement sont conduites bien souvent à loger elles-mêmes leur personnel. L’absence de transports publics peut amener des actifs à renoncer à des emplois.
Les branches professionnelles comme acteur des bonnes pratiques sociales
Les différentes branches concernées par les problèmes de recrutement se sont engagées par négociations collectives à améliorer l’attractivité des métiers.
L’amélioration de la protection sociale et notamment de la prévoyance, un effort de prévention accru ainsi que des revalorisations salariales sont les outils les plus utilisés. Dans un contexte concurrentiel, les entreprises doivent en outre travailler à la fidélisation de leurs salariés. En période d’inflation, la question des rémunérations devient plus sensible. Si le SMIC peut être réévalué à plusieurs reprises dans l’année, il n’en est pas de même logiquement pour les autres salaires. Il peut en découler de l’amertume et des frustrations conduisant à des démissions. Les salariés sont par ailleurs de plus en plus sensibles aux avantages accessoires comme la prise en charge totale ou partielle de certains postes de dépenses (transport, logement, garde d’enfants). Le législateur a prévu des mécanismes d’exonération de cotisations sociales pour inciter les entreprises à verser ce type d’aide (exemple de l’aide pour financer des activités de service à la personne ou de garde d’enfants : exonération de cotisations jusqu’à 2 265 euros pour l’année 2022). Les salariés demandent de plus en plus que les formations auxquelles ils peuvent accéder leur permettent d’évoluer au sein de l’entreprise. La gestion prévisionnelle des emplois et des compétences n(GPEC) devient pour les entreprises un outil important dans l’optique de la fidélisation de leur personnel.
La question du temps de travail est également un facteur de plus en plus déterminant dans le choix des salariés. Ces derniers refusent souvent les postes avec des horaires décalés ou des temps de travail éclaté en de nombreuses plages horaires. Ils souhaitent une concentration de leur période de travail. La branche des hôtels/café-restaurants réfléchit ainsi à l’instauration de la semaine de quatre jours. Certaines entreprises mettent en place des congés de long terme rémunérés (par exemple chez Accenture). Le télétravail s’est imposé en particulier et devient pour certains salariés un élément déterminant dans leur choix professionnel. Les actifs, en particulier, les plus jeunes, sont de plus en plus exigeants en ce qui concerne le respect des normes environnementales, sociales et de gouvernance (ESG). Plusieurs entreprises ont dû faire face à des demandes de retrait de la part de salariés qui considéraient que leur travail ou leur entreprise pouvaient porter atteinte à l’environnement.
Les tensions de recrutement que rencontrent les entreprises témoignent d’une amélioration de la situation du marché de l’emploi, après une quarantaine d’années de chômage massif. En raison de problèmes de formation et de problèmes d’inadéquation territoriale, la France n’a pas renoué avec un chômage faible à la différence d’un grand nombre de ses partenaires européens. Les tensions actuelles peuvent être dangereuses en particulier pour les PME qui ne disposent pas des mêmes marges de manœuvre que les grandes entreprises pour attirer et fidéliser les salariés. En la matière, les branches professionnelles ont un rôle à jouer pour canaliser et mutualiser les pratiques.
Le télétravail et les TPE
Au 31 décembre 2021, 18,6 % des salariés des très petites entreprises (TPE) du secteur privé non agricole travaillent dans une entreprise ayant mis en place le télétravail, contre une moyenne de 22 % pour l’ensemble des salariés. Ce taux est de 36 % pour les entreprises de plus de 250 salariés. La plus faible proportion de télétravailleurs dans les TPE s’explique par la nature des tâches et par le moins grand nombre d’emplois de cadres c’est-à-dire ceux qui pratiquent le plus le télétravail (plus de 50 %). Les commerces, les transports et l’hébergement-restauration, grands pourvoyeurs d’emplois dans les TPE, sont par nature des secteurs les moins « télétravaillables » (7,4 % de leurs salariés exercent dans des entreprises ouvrant cette possibilité). Au cours du mois de décembre 2021, 11,4 % des salariés des TPE du secteur privé non agricole télétravaillent au moins un jour. Cette proportion est de 16,4 % dans les entreprises « mono-salarié », où le télétravail est plus soutenu (27,5 % des télétravailleurs le sont 5 jours par semaine).
Dans le commerce, les transports et l’hébergement-restauration, qui emploient 37,3 % des salariés des TPE, seuls 7,4 % des salariés exercent dans des entreprises offrant la possibilité de télétravailler. À l’opposé, 77,9 % des salariés de l’informationcommunication sont employés dans des entreprises donnant accès au télétravail, mais ce secteur ne représente que 2,6 % des effectifs des TPE. 5,1 % des salariés des TPE travaillent dans des entreprises proposant le télétravail avant 2020. Seul le secteur de nl’information et de la communication fait exception, avec 33,1 % de salariés concernés.
Les entreprises où le télétravail n’est pas en place fin 2021 invoquent en priorité, pour nexpliquer cette situation, l’impossibilité d’effectuer les tâches sans être présent sur site (entreprises employant 87 % des salariés concernés) notamment lorsqu’elles s’appuient sur l’utilisation de machines (91,7 % des salariés de l’industrie) ou sur une relation forte avec les usagers (92,3 % dans le secteur privé de la santé et l’action sociale). Dans l’information et communication, la finance et assurance, l’immobilier ainsi que les services aux entreprises, où le télétravail est le plus présent, les entreprises qui n’y recourent pas invoquent deux motifs supplémentaires : la préférence des salariés pour le travail sur site (de 12,6 % à 19,4 % des salariés concernés) et des conditions techniques (équipement, sécurité, connexion, etc.) insuffisantes (10,3 % à 25,3 % des salariés). Le risque de perte d’efficacité liée au télétravail ou d’isolement des salariés est plus élevé dans les TPE que dans les autres entreprises (4,7 % des salariés concernés, contre 1,3 % en moyenne). Le télétravail est plus fréquent et plus intense dans les entreprises « mono-salarié » Au sein des entreprises où le télétravail est en place fin 2021, celles-ci indiquent que les salariés ont souvent été associés à l’organisation pratique du dispositif (54,3 % des salariés concernés), notamment dans les arts, spectacles ou autres activités de services (60,4 %) et l’enseignement, la santé et l’action sociale privés (57,9 %)