Les rendements des obligations d’État américaines, le fondement de la finance moderne, ont connu une hausse sans précédent (voir graphique). Cela ravive les craintes selon lesquelles “quelque chose va se briser” sur les marchés, dans une situation similaire à la peur de l’investissement guidé par le passif (LDI) de septembre 2022 au Royaume-Uni, ou à la déroute des petites banques américaines de mars 2023. Les suspects habituels sont l’arrivée à maturité de l’immobilier commercial et de la dette d’entreprise à haut rendement, ainsi que la pression sur les petites banques. Il s’agit de facteurs stressants mais bien connus, toute surprise étant plus susceptible de venir de l’extérieur, comme les marchés privés du crédit aux États-Unis ou les emprunts souverains périphériques en Europe. Les mises en garde concernent le fait que le monde s’est de plus en plus habitué à cette “nouvelle normalité” à forte incertitude et que les “puts” de réduction des taux des banques centrales reviennent comme une assurance pour les investisseurs en cas de refroidissement de l’inflation sous-jacente.
Les inquiétudes se concentrent sur des risques bien connus comme l’immobilier commercial (CRE) et la dette d’entreprise à haut rendement (HY). Ils sont confrontés à des problèmes importants et récurrents de “mur de maturité” car ils doivent se refinancer à des taux plus élevés dans une économie qui s’affaiblit. Selon S&P, ce mur de la dette CRE pourrait atteindre 500 milliards de dollars cette année et l’année prochaine, tandis que pour la dette HY, il s’élèverait à 100 milliards de dollars cette année et au double l’année prochaine. Pourtant, les marchés de l’immobilier sont déjà prêts à faire face à cette situation, avec des fonds de bureaux cotés en baisse de 31 % cette année, et des fournisseurs de capitaux alternatifs tels que les fonds de capital-investissement et les grandes banques qui ont de la “poudre sèche”. Les écarts de rendement des entreprises à haut rendement ont été très bien contenus et les fondamentaux sont restés relativement solides.
Les banques américaines continuent d’être prises en étau par une tempête parfaite de sorties de dépôts “en liquide”, de marges d’intérêt nettes affectées par l’augmentation du “bêta des dépôts”, de risques de ralentissement augmentant les provisions pour pertes sur prêts, et maintenant de nouvelles pertes sur les portefeuilles d’obligations. Ces pertes obligataires non réalisées s’élevaient à 560 milliards de dollars avant la dernière hausse des rendements, selon la FDIC. Pourtant, la Fed soutient le secteur, avec son programme de financement à terme des banques (Bank Term Funding Program) d’un montant record de 109 milliards de dollars. Les investisseurs sont conscients des risques : les ETF des banques régionales et traditionnelles américaines ont baissé de 28 % cette année et sont proches de leurs plus bas niveaux de mai.
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