Le risque d’attaque de la Chine est une épée de Damoclès qui menace la réussite économique taïwanaise. Au cours des dernières décennies, Taïwan est devenu un pays économiquement développé, dont l’industrie a su monter en gamme pour s’imposer à l’exportation (par exemple dans les semi-conducteurs). Cependant, une démographie vieillissante et surtout le risque d’attaque de la Chine menacent la vitalité de l’économie taïwanaise.
1) Economie : des fondamentaux très solides
L’économie Taïwanaise a connu, depuis plusieurs décennies, un développement spectaculaire. Tout comme le Japon, la Corée du sud ou Singapour, Taïwan fait partie des « tigres » asiatiques qui ont connu une croissance très forte depuis les années 1950. La « recette » de ces pays a été globalement identique : développement de l’industrie avec un important effort d’innovation (Taïwan consacre 3,8 % de son PIB à la R&D, contre 2,7 % en moyenne dans l’OCDE) pour monter en gamme et ouverture au commerce international pour trouver des débouchés sur les marchés internationaux.
– En termes de PIB par habitant, Taïwan est désormais comparable aux pays développés. En 1980, le PIB par habitant (en dollars PPA constants) taïwanais ne représentait qu’un quart de celui des Etats-Unis. En 2023, il atteignait 90 % du niveau américain d’après des données du World Economic Outlook.
– Le compte des transactions courantes de Taïwan est structurellement excédentaire. Depuis 1984, le solde du compte courant (solde commercial plus échanges de services et de revenus comme les transferts internationaux des entreprises ou des ménages) taïwanais n’a jamais été déficitaire. L’excédent courant est même structurellement élevé : depuis 2013 il a dépassé chaque année 10 % du PIB d’après le World Economic Outlook.
– La dette publique est faible et en baisse. La dette publique de Taïwan a atteint un pic à 37 % du PIB en 2012 et redescend régulièrement depuis. En 2023, elle est passée sous la barre des 25 % du PIB, alors qu’elle est supérieure à 100 % du PIB dans un grand nombre de pays, dont la France, les Etats-Unis, et même supérieure à 200 % du PIB au Japon.
Démographie : Un frein à la croissance de long terme
La faiblesse de la natalité freinera la croissance dans les décennies futures. Comme la plupart de ses voisins (Japon, Corée du Sud, Hong Kong), Taïwan connait une natalité très faible, avec seulement 1,2 enfant par femme. Il s’agit d’une chute brutale puisque, en 1950, la natalité était de 7 enfants par femme. Ce déclin de la natalité s’explique notamment par les fortes contraintes professionnelles (horaires importants, peu de jours de congés), une forte pression en termes de réussite scolaire (qui implique des dépenses élevées de scolarité et de cours du soir) et une organisation sociale peu adaptée (insuffisance des modes de garde, difficulté pour les femmes à conjuguer maternité et carrière). La population en âge de travailler
pourrait être divisée par deux d’ici à 20701. En conséquence, si les gains de productivité étaient stables dans le futur, le PIB serait divisé par deux au cours des cinquante prochaines années (la croissance structurelle est la somme de la variation de la population en âge de travailler et des gains de productivité). Le pays aura donc un besoin impératif d’innover et de gagner en productivité pour maintenir une croissance positive dans le futur.
Géopolitique : Un risque croissant
Taiwan, une indépendance toujours contestée par la Chine. La république de Chine, nom officiel de Taiwan, est l’une des seules provinces que la Chine n’a pas réussi à rallier après la fin de la guerre civile chinoise en 1949. Depuis cette date le statut de Taiwan est controversé. La Chine n’a jamais renoncé à cette « réunification ». À plusieurs reprises le président Xi Jinping, a évoqué Taiwan dans ses discours. C’était encore le cas lors du discours du Nouvel An pour 2024, où il a affirmé que la réunification de la Chine est certaine. C’était aussi le cas en octobre 2023, où il annonçait que la réunification pourrait se faire par la force si nécessaire. La Chine ne cesse de mener des opérations militaires aux frontières maritimes mais aussi aériennes de Taiwan. La tension entre les deux pays n’a jamais été aussi forte qu’en ce début 2024.
Trois partis, trois candidats, deux idéologies sur un rapprochement économique avec la Chine. Le 14 janvier, les Taïwanais doivent élire leur nouveau président et leurs nouveaux représentants au parlement. Ce sont trois candidats qui s’affrontent pour diriger le pays durant 4 années. Les trois candidats représentant chacun un parti politique. Le parti de l’actuelle présidente (qui ne peut être réélue suite à deux mandats déjà effectués), le Parti Progressiste
Démocrate (DPP) représenté par Lai Ching-te, le parti de l’opposition, le Kuomintang (KMT) représenté par Hou Yu-ih et enfin un jeune parti créé en 2019 et ayant obtenu ses premiers sièges au parlement en 2020, le parti populaire taiwanais (TPP) représenté par Ko Wen-je. Le
1 https://english.kyodonews.net/news/2022/08/968b25e40c87-taiwans-working-age-population-projected-to halve-in-2070.html
premier désire une reconnaissance totale de l’indépendance de Taïwan par la Chine mais aussi sur la scène internationale, les deux autres sont favorables à un rapprochement avec la Chine sous certaines conditions.
Des élections ayant comme thématique le conflit avec la Chine. Au-delà des relations entre Taïwan et la Chine, ce sont les relations de Taïwan avec le reste du monde qui seront influencées avec le résultat des élections. La reconnaissance de Taïwan par la communauté internationale comme nation à part entière est peu probable du fait de l’influence de la Chine sur la scène internationale. Cette dernière exige toujours la reconnaissance d’une seule Chine dans ses relations commerciales, ce qui exclut de ce fait une reconnaissance de l’indépendance de Taïwan pour quiconque voulant négocier des traités commerciaux avec la Chine. Quel que soit les résultats de l’élection, la reconnaissance de l’indépendance de Taïwan restera compliquée sur la scène internationale. Soit le dialogue reste rompu entre Taïwan et la Chine, et donc entre Taïwan et le reste du monde sous la pression du gouvernement chinois, soit un dialogue s’ouvre entre Taïwan et la Chine pour une réunification et le reste du monde ne s’opposera probablement pas au processus de réunification.
En cas de victoire du DPP, les risques d’invasion chinoise, donc de crise économique, sont élevés. Selon les sondages et les différentes enquêtes auprès de la population taïwanaise concernant le désir d’indépendance, le candidat du DPP en faveur de l’indépendance a de fortes chances d’être élu. Au vu de la fréquence des allocutions du président chinois concernant la réunification de Taïwan à la Chine et de la multiplication des opérations militaires autour de l’île, un nouveau mandat du parti prônant l’indépendance risque de provoquer une accélération dans les tensions entre la Chine et Taïwan. Toute attaque de la Chine, quelle que soit son ampleur, représenterait un choc brutal pour l’économie Taïwanaise (destruction d’infrastructures, fuite de la population, paralysie du commerce, perte de confiance des entreprises et des investisseurs). Chiffrer précisément les conséquences d’un tel conflit est impossible du fait du nombre élevé d’inconnues, mais toute attaque chinoise génèrerait une profonde récession.
par Sylvain BERSINGER, chef économiste chez Asterès