Par Lucile BEMBARON, économiste chez Asterès
Les données publiées aujourd’hui par la Banque de France dressent un constat économique plutôt inquiétant.
D’une part, les chiffres d’octobre montrent une apparente amélioration de la balance commerciale avec une réduction du déficit. Cependant, cette embellie n’est qu’un trompe-l’œil : elle ne résulte pas d’une performance des exportations, mais plutôt d’un repli significatif des importations. Ce recul est un mauvais signal pour l’activité économique, car il indique que la demande intérieure et la consommation sont à la peine.
D’autre part, la fragilité du tissu industriel s’accentue. Le nombre de défaillances d’entreprises atteint un record pour la période janvier-octobre (56 178 faillites en 2025 contre 54 428 pour la même période en 2024).
Alors que la réindustrialisation et l’emploi devraient s’imposer comme priorités stratégiques au regard de ces défaillances, le débat public demeure capté par les urgences budgétaires. Cette situation entrave l’ouverture d’une discussion de fond et le lancement d’actions concrètes sur ces questions hautement stratégiques pour l’avenir du pays.
1. Une amélioration de la balance commerciale en trompe l’œil
La balance commerciale s’est redressée en octobre, s’établissant à -3,9 Md€, d’après les données de la Banque de France, contre -6,4 Md€ en septembre. Mais cette amélioration est quasi intégralement due au recul des importations qui passent de 58,3 Md€ en septembre à 55,5 Md€ en octobre. Les exportations restent stables à 51,7 Md€ en octobre contre 52 Md€ en septembre.
– Pour les importations, la baisse provient d’une diminution des volumes car les prix des importations sont plutôt stables voir diminues, avec un indice des prix à l’importation des produits industriels a diminué de -0,2% en octobre. Ce repli des importations n’est pas un bon signal pour l’activité économique car il suggère une faiblesse de la demande intérieure.
De plus, la tendance de fond révèle une légère dégradation : en tendance (moyenne mobile sur 3 mois), la balance commerciale se détériore de 0,1 Md€, en raison d’une baisse des exportations sur la période alors que les importations se stabilisent.
Le solde des transactions courantes s’est nettement amélioré en octobre affichant un excédent de 1,1 Md€, marquant un retournement positif par rapport au déficit de -1,6 Md€ en septembre, selon la Banque de France.
– Cette amélioration est directement attribuable à la réduction du déficit des échanges de biens (- 2,6 Md€ contre -5,3 Md€ en septembre), notamment grâce à une diminution de la facture énergétique qui passe à -2,5 Md€ contre -4 Md€ en septembre. Le solde des échanges hors énergie s’équilibre à 0, contre -1,2 Md€ le mois dernier. Du côté des services, la balance reste excédentaire à 4,5 Md€ en octobre.
Pour rappel, le solde du compte courant (somme des échanges de biens, de services et des flux de revenus), permet de savoir si un pays possède un besoin ou une capacité de financement externe. Schématiquement, le compte courant est pour un pays ce que serait pour un ménage la balance de ses revenus et de ses dépenses.
Le risque, quand un pays présente un solde courant structurellement déficitaire, est d’accumuler une dette externe et que, soudainement, les autres pays refusent de continuer à financer ce déficit.
2. Défaillances d’entreprises : l’année 2025 s’achemine vers un record historique
Bien que le PIB du troisième trimestre 2025 ait affiché une croissance positive de +0,5%, portée par un retour de l’investissement des entreprises (+0,9% par rapport au T2-2025), la santé du tissu industriel français demeure extrêmement fragile.
Les données de la Banque de France pour octobre confirment cette fragilité structurelle, enregistrant 6 364 défaillances d’entreprises. Si ce chiffre est légèrement inférieur à celui de septembre 2025 (6 897), la tendance à long terme reste particulièrement frappante :
– Le cumul des défaillances sur les 12 derniers mois atteint 68 145 aujourd’hui, un chiffre nettement supérieur à la moyenne d’environ 59 300 sur la période pré-covid (2010-2019).
– Après une chute historique des défaillances observée pendant la crise sanitaire grâce aux aides de l’Etat, le nombre de défaillances est reparti à la hausse. En cumulé depuis le mois de janvier, le nombre de défaillances est de 56 178 contre 54 428 pour la période janvier – octobre 2024.
– Les défaillances concernent davantage les TPE et les PME. Les secteurs les plus touchés sont
ceux de la construction, le commerce et la réparation d’automobile et le secteur de
l’hébergement et de la restauration.
Si cette remontée des défaillances depuis la crise de la Covid-19 est une tendance observée dans l’ensemble de l’Union européenne, elle est bien plus marquée en France. Le pays enregistre une hausse cumulée des défaillances de +150% depuis septembre 2021, ce qui contraste fortement avec la moyenne à +85% pour l’Union européenne.
Alors que le tissu économique subit une pression croissante et que la réindustrialisation et l’emploi sont des sujets cruciaux, l’espace politique semble toujours bouché par les débats budgétaires immédiats, empêchant une discussion de fond et des actions concrètes sur ces enjeux stratégiques.
Deux sources concernant le commerce extérieur : les Douanes et la Banque de France
Il existe deux sources concernant le commerce extérieur français. Celle des Douanes ne correspond qu’aux échanges de biens, comptabilisés lorsqu’ils passent la frontière. Celle de la Banque de France comprend à la fois les biens et les services et considère le consommateur final plutôt que le franchissement des frontières. Par exemple, un touriste étranger en France qui achète un bien chinois est une importation française pour les Douanes (franchissement de la frontière) mais pas pour la Banque de France (ce n’est pas un résident français qui achète le bien). Chaque donnée présente des forces et des faiblesses :
– Les données des Douanes, très détaillées, sont utiles pour observer les variations des échanges pour chaque pays ou par type de produits.
– Les données de la Banque de France sont en revanche plus pertinentes pour obtenir une vision globale du solde extérieur de la France. Elles renseignent également sur l’ensemble de la balance des paiements et donc sur le besoin ou la capacité de financement externe du pays.