En septembre 2024, la banque centrale chinoise a révélé que sa monnaie numérique, l’e-CNY, avait été utilisée pour des transactions d’une valeur de 7 000 milliards de yuans, soit l’équivalent de près de 1 000 milliards de dollars. La Chine n’est pas la seule à expérimenter les monnaies digitales de banque centrale. Plus de 130 pays étudient ce type de monnaie, selon le groupe de réflexion Atlantic Council. Les partisans des monnaies numériques officielles estiment que celles-ci peuvent révolutionner le système financier, avec, à la clé, une réduction des fraudes et des coûts. L’avenir de l’argent attire donc l’attention, mais qu’en est-il de son passé ?
Les économistes Adam Brzezinski de la London School of Economics, Nuno Palma de l’Université de Manchester, et François Velde de la branche de Chicago de la Réserve fédérale ont publié un article retraçant les mutations de la monnaie travers le temps. L’histoire de l’argent qu’ils décrivent est jalonnée de révolutions, parfois de « délicieuses surprises », avec en fil rouge : la volonté des États de conserver leur souveraineté monétaire.
L’histoire monétaire et la souveraineté des États
La politique monétaire est intrinsèquement liée aux États. De tout temps, les gouvernements sont intervenus pour modifier la valeur des pièces, en diluant parfois la teneur en argent ou en or. Jusqu’au XIXe siècle, la valeur des pièces était rarement inscrite sur leur face, ce qui signifiait qu’elles n’avaient pas de « valeur nominale » au sens littéral. Les pièces servaient avant tout comme moyen d’échange et non comme actif de réserve ; leur valeur pouvait évoluer selon les besoins des gouvernements.
L’unité de compte était souvent une vieille pièce retirée de la circulation, qualifiée de « monnaie fantôme » par l’historien Carlo Cipolla. Cette distinction permit au Royaume de France de mener une grande expérience de politique monétaire dans les années 1720. Afin de lutter contre l’inflation, le conseil du roi décida, sans avertissement, que les pièces de monnaie vaudraient moins qu’avant. De 1723 à 1724, leur valeur fut réduite de 45 %, provoquant une récession et la disparition de 30 % des métiers à tisser. L’inflation ne diminua réellement que quatre ans après cette manipulation monétaire.
L’instabilité des métaux précieux et l’innovation de John Law
Le recours à des étalons en or ou en argent créait des aléas pour l’économie des États. Les catastrophes maritimes dans l’Atlantique, par exemple, pesaient lourdement sur l’économie espagnole. Entre 1531 et 1810, l’Espagne perdit, lors de 42 incidents, une partie ou la totalité des métaux précieux transportés, représentant en moyenne 4 % de la masse monétaire espagnole. Chaque perte entraînait une raréfaction du crédit et une baisse de la production.
Au XVIIIe siècle, certains économistes suggéraient déjà que la monnaie devait rompre son lien avec les métaux. John Law, un banquier écossais, persuada le régent Philippe d’Orléans de se lancer dans une réforme monétaire risquée. La France, à l’époque, subissait une crise financière aiguë, en grande partie due aux guerres coûteuses menées par Louis XIV.
Law proposa de remplacer la monnaie métallique par du papier-monnaie émis par une banque, afin de stimuler l’économie par la création monétaire. En 1716, il créa la Banque Générale, qui émit des billets convertibles en or. Mais le système de Law se déséquilibra en 1720, lorsque la spéculation sur les actions de la Compagnie des Indes provoqua l’éclatement d’une bulle financière. Le système s’effondra, laissant la France dans une grave crise de confiance qui retarda l’introduction des systèmes financiers fondés sur le crédit de plusieurs des décennies.
L’avenir des monnaies numériques de banque centrale
À l’avenir, l’argent pourrait encore changer de forme. Les monnaies numériques de banque centrale (CBDC) pourraient permettre aux citoyens de détenir des comptes directement auprès des banques centrales. Ce concept n’est pas si nouveau : au début du XXe siècle, la Banque d’Espagne détenait plus de la moitié des comptes courants du pays.
Les monnaies numériques pourraient améliorer l’efficacité des paiements, en offrant une alternative plus rapide, moins coûteuse et plus sécurisée aux systèmes traditionnels (cartes bancaires, virements, espèces). Elles pourraient aussi faciliter les paiements transfrontaliers et représenter une alternative aux cryptomonnaies privées comme le Bitcoin, permettant aux États de conserver le contrôle de la politique monétaire.
Cependant, les CBDC pourraient perturber le modèle des banques commerciales en réduisant leur rôle de collecte et de gestion des dépôts, limitant ainsi leur capacité à octroyer des crédits. Pour l’instant, en Europe, les expériences d’utilisation de ces monnaies sont limitées aux banques et aux entreprises.
Les défis technologiques et de sécurité
L’un des principaux défis pour les banques centrales est de garantir la sécurité des paiements face aux cyberattaques. Bien que les solutions fondées sur la blockchain offrent une résilience accrue, elles nécessitent des investissements massifs dans la sécurité informatique. Une défaillance dans ce domaine pourrait éroder la confiance dans la monnaie.
De plus, l’interopérabilité entre les monnaies numériques de différents pays sera cruciale pour faciliter les paiements transfrontaliers, faute de quoi les cryptomonnaies privées pourraient être préférées. Une collaboration internationale sera nécessaire pour standardiser ces systèmes.
Transparence et protection de la vie privée
L’un des enjeux majeurs des CBDC réside dans l’équilibre entre transparence et protection de la vie privée. Si toutes les transactions sont traçables par la banque centrale, cela pourrait poser des problèmes de surveillance de masse. Certaines recherches se concentrent sur des modèles permettant des transactions anonymes jusqu’à un certain montant, tout en assurant la traçabilité au-delà de ce seuil pour les transactions plus importantes.
Implications géopolitiques
Le développement des CBDC a des implications géopolitiques. La Chine, avec son yuan numérique, cherche à remodeler le système financier international et à remettre en question l’hégémonie du dollar américain. Les États-Unis et l’Europe explorent également des moyens de maintenir leur leadership monétaire face à ces évolutions.
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Le développement des monnaies numériques de banque centrale marque une nouvelle étape dans l’histoire monétaire héritière des nombreuses révolutions passées. Les monnaies numériques de banque centrale promettent de moderniser le système financier, en rendant les paiements plus rapides, moins coûteux et plus sécurisés, tout en permettant aux États de conserver la maîtrise de leur souveraineté monétaire face à l’essor des cryptomonnaies privées. Toutefois, ce virage technologique soulève des défis majeurs, notamment en matière de sécurité, de transparence et d’équilibre entre vie privée et surveillance. De plus, l’adoption des monnaies digitales pourrait redéfinir le rôle des banques commerciales et modifier les dynamiques économiques mondiales.