100 jours de Trump 2.0 : entre choc d’incertitudes et fragmentation
Olivier Raingeard, directeur des investissements chez Neuflize OBC
Les 100 premiers jours de Trump 2.0 ont été particulièrement animés. Si la politique commerciale – au travers des droits de douanes – et la politique étrangère – en particulier sur le conflit Russo-ukrainien – retiennent le plus l’attention, d’autres décisions indiquent qu’elles s’inscrivent dans une stratégie plus globale de « guerre économique » à multiples dimensions.
Ainsi, nous retenons des 100 premiers jours de Trump 2.0 les développements suivants :
Politique commerciale très nettement durcie. Les droits de douane universels et réciproques annoncés par le président Trump le « jour de la Libération », puis partiellement suspendus pour une période de 90 jours, traduisent un très net durcissement de la politique commerciale américaine. A cela s’ajoute la volonté de la nouvelle administration de mieux maîtriser les routes commerciales (cf. les débats sur les canaux de Suez et de Panama) ;
Politique technologique destinée à maintenir la prééminence des Etats-Unis avec le décret présidentiel du 23 janvier consacré à l’intelligence artificielle pour « soutenir et étendre la domination américaine », le projet Stargate ou encore les restrictions aux exportations vers la Chine des processeurs les plus avancés ;
Politique « d’accès aux matières premières ». De l’urgence énergétique nationale déclarée le 20 janvier au décret exécutif du 24 avril dernier destiné à accélérer le développement de l’extraction minière en haute mer, l’administration Trump cherche à assurer les besoins des Etats-Unis en matières premières et à réduire les dépendances excessives aux terres rares et aux métaux dits critiques ;
Politique climatique avec la sortie des accords de Paris et l’assouplissement voire le démantèlement de réglementations environnementales américaines ;
Politique étrangère : isolationnisme, expansionnisme, impérialisme… sont les termes les plus fréquemment employés par les observateurs pour qualifier la politique étrangère américaine. Quel que soit le qualificatif retenu, elle semble en partie guidée par l’agenda économique de l’administration Trump.
Les conséquences de ces politiques sont doubles : à court terme, elles créent un choc d’incertitudes qui va générer un ralentissement protéiforme de l’économie mondiale ; à moyen terme, elle accélère très nettement la dynamique de fragmentation du système économique et financier mondial.
A court terme, le choc d’incertitudes est tel que 3 scénarios doivent être envisagés pour les perspectives de l’activité mondiale.
Le ralentissement de l’économie mondiale, scénario central, est protéiforme. Aux Etats-Unis, il se caractérise par un choc stagflationniste modéré : la croissance ralentit sensiblement sous les 1% au cours du second semestre 2025 et du premier semestre 2026 ; l’inflation accélère autour de 4% en fin d’année, ce qui contraint la Banque centrale à maintenir ses taux inchangés.
En Europe, la croissance ralentit également au second semestre avant de réaccélérer légèrement en 2026 (1.1%), soutenue par la politique budgétaire (dépenses dans la défense et plan d’infrastructures allemand) et une politique monétaire accommodante – matérialisée par un taux de dépôt à 1.5% en fin d’année – et permise par une inflation sous contrôle (1.6% en 2026).
La Chine résiste relativement, aidée par des mesures de soutien à la demande interne qui permettent à son économie de progresser autour de 4% en 2025 et 2026 ;
Le scénario alternatif, négatif, est celui d’une récession mondiale provoquée par la persistance et l’aggravation des tensions commerciales, à l’issue des 90 jours de pause ordonnés par le président Trump ;
Le dernier scénario, positif, est celui d’une désescalade rapide qui favorise une réaccélération sensible de l’économie mondial en 2026.
Dans une perspective de moyen terme, la fragmentation géoéconomique accélère très nettement, avec de multiples dimensions :
Politique, bien sûr, comme l’illustrent les développements géopolitiques spectaculaires de ces dernières années ;
Economique avec le durcissement des politiques commerciales ou encore la volonté des Etats-Unis et de l’Europe de réduire leurs dépendances excessives ;
Technologique, les Etats-Unis et la Chine multipliant – depuis 2018 – les mesures de restrictions d’accès aux technologies les plus avancées ou celles de préférence nationale. Une poursuite de cette dynamique aboutirait à la création de 2 écosystèmes ;
Financière, probablement. Les prémices d’un tel mouvement se multiplient avec, comme manifestation la plus marquante, la réduction progressive de l’exposition chinoise à la dette publique américaine.
Dans ce contexte de ralentissement de l’économie mondiale, l’investisseur doit adapter son allocation d’actifs tactique et s’interroger, dans la perspective de cette fragmentation géo-économique, sur son allocation stratégique.
A court terme, le scenario de ralentissement de l’économie mondiale – sans récession – justifie de surpondérer modestement à la fois les actions et les obligations. Au sein des actions, la sur-représentation des Etats-Unis et du secteur technologique est abandonnée au profit des actions européennes et de secteurs moins valorisés (depuis mi-février). Au sein de la classe d’actifs obligataire, les obligations dites de qualité – Investment grade – sont surpondérées et les obligations à haut rendement sous-pondérées.
Dans une perspective de moyen-long terme, les questionnements sur l’allocation stratégique sont nombreux. Nous retiendrons, entre autres, les problématiques suivantes :
Les niveaux de neutralité des taux d’intérêt des Banques centrales,
Les niveaux d’équilibre des taux d’intérêt à long terme,
La place à accorder aux actifs américains (actions, obligations et $),
La fin ou non de la domination des « 7 magnifiques ».
Multiples, ces interrogations plaident pour l’adoption d’allocations stratégiques très diversifiées, entre actifs liquides et illiquides – y compris au sein de chacun d’entre eux – pour éviter d’être surexposées à des Etats et entreprises susceptibles d’être fragilisées par la dynamique de fragmentation géoéconomique.