jeu. Déc 19th, 2024

Par France Stratégie

Avec les niveaux très bas des taux d’intérêt actuels, le débat sur les dettes publiques est relancé. Certains en déduisent que l’argent est « gratuit » et qu’il faut donc s’endetter massivement, en particulier pour financer les investissements indispensables à la transition climatique. D’autres rappellent que les taux d’intérêt peuvent augmenter à tout moment, et que les niveaux d’endettement sont déjà très élevés.

La France se caractérise par de hauts niveaux de dette tant publique que privée, des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques élevés, qui n’ont quasiment jamais diminué depuis trente ans. Cela traduit à la fois une grande rigidité et des marges de manœuvre réduites. Plutôt qu’une dérive de la dette publique ou une réduction à marche forcée, affecter les économies liées à la baisse de la charge d’intérêt à un fonds d’investissement pour la transition écologique tout en réduisant progressivement la dette pourrait être une piste à privilégier.

 

L’objet de cette note est de présenter de manière pédagogique et objective les différents arguments, et de faire le point sur les études économiques les plus récentes.

Elle rappelle tout d’abord qu’il n’y a pas de consensus entre économistes sur un niveau de dette publique à ne pas dépasser : c’est plutôt sa stabilité qui importe (en pourcentage du PIB). Ensuite, un déficit public n’est pas synonyme de hausse de la dette en points de PIB. Dans le cas de la France, avec une dette proche de 100 % du PIB et une croissance nominale proche de 3 % par an, la dette exprimée en points de PIB n’augmente pas tant que le déficit public est inférieur à 3 %.

La forte baisse des taux d’intérêt depuis vingt ans a créé peu de marges de manœuvre pour des dépenses supplémentaires puisque la croissance nominale a ralenti en parallèle. Toutefois, depuis 2017, le taux d’intérêt apparent de la dette française est inférieur à la croissance nominale, si bien que la dette publique peut être stabilisée avec un déficit primaire (c’est-à-dire avec un déficit public plus élevé que les seules charges d’intérêt de la dette). En profiter pour relâcher la contrainte budgétaire impliquerait cependant de pouvoir réduire rapidement le déficit primaire, lorsque le taux d’intérêt se rapprochera et repassera au-dessus du taux de croissance du PIB.

Ainsi, les pouvoirs publics doivent arbitrer entre deux risques opposés. D’un côté, ne pas profiter de la situation financière favorable aujourd’hui pour réaliser les investissements nécessaires. De l’autre, perdre le contrôle de la dette publique, si les dépenses ne peuvent pas être ajustées à la baisse lorsque l’écart entre taux d’intérêt et croissance nominale s’estompera, voire s’inversera, sans qu’un consensus se dégage aujourd’hui sur la probabilité ou l’horizon de cet évènement.

 

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ETUDE

Avec les niveaux très bas des taux d’intérêt actuels, le débat sur les dettes publiques est relancé. Certains en déduisent que l’argent est « gratuit » et qu’il faut donc s’endetter massivement, en particulier pour financer les investissements indispensables à la transition climatique. D’autres rappellent que les taux d’intérêt peuvent augmenter à tout moment, et que les niveaux d’endettement sont déjà très élevés. Rappelons tout d’abord qu’il n’y a pas de consensus entre économistes sur un niveau de dette publique à ne pas dépasser : c’est plutôt sa stabilité qui importe (en pourcentage du PIB). Ensuite, un déficit public n’est pas synonyme de hausse de la dette en points de PIB. Dans le cas de la France, avec une dette proche de 100 % du PIB et une croissance nominale proche de 3 % par an, la dette exprimée en points de PIB n’augmente pas tant que le déficit public est inférieur à 3 %.

La forte baisse des taux d’intérêt depuis vingt ans a créé peu de marges de manœuvre pour des dépenses supplémentaires puisque la croissance nominale a ralenti en parallèle. Toutefois, depuis 2017, le taux d’intérêt apparent de la dette française est inférieur à la croissance nominale, si bien que la dette publique peut être stabilisée avec un déficit primaire (c’est-à-dire avec un déficit public plus élevé que les seules charges d’intérêt de la dette). En profiter pour relâcher la contrainte budgétaire impliquerait cependant de pouvoir réduire rapidement le déficit primaire, lorsque le taux d’intérêt se rapprochera et repassera au-dessus du taux de croissance du PIB.

Ainsi, les pouvoirs publics doivent arbitrer entre deux risques opposés. D’un côté, ne pas profiter de la situation financière favorable aujourd’hui pour réaliser les investissements nécessaires. De l’autre, perdre le contrôle de la dette publique, si les dépenses ne peuvent pas être ajustées à la baisse lorsque l’écart entre taux d’intérêt et croissance nominale s’estompera, voire s’inversera, sans qu’un consensus se dégage aujourd’hui sur la probabilité ou l’horizon de cet évènement.

La France se caractérise par de hauts niveaux de dette tant publique que privée, des prélève-ments obligatoires et des dépenses publiques élevés, qui n’ont quasiment jamais diminué depuis trente ans. Cela traduit à la fois une grande rigidité et des marges de manœuvre réduites. Plutôt qu’une dérive de la dette publique ou une réduction à marche forcée, affecter les économies liées à la baisse de la charge d’intérêt à un fonds d’investissement pour la transition écologique tout en réduisant progressivement la dette pourrait être une piste à privilégier.

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Vincent Aussilloux-Département Économie
François Écalle-Conseiller scientifique
Dimitris Mavridis-Département Économie

Rappelons tout d’abord qu’il n’y a pas de consensus entre économistes sur un niveau de dette publique à ne pas dépasser : c’est plutôt sa stabilité qui importe (en pourcentage du PIB). Ensuite, un déficit public n’est pas synonyme de hausse de la dette en points de PIB. Dans le cas de la France, avec une dette proche de 100 % du PIB et une croissance nominale proche de 3 % par an, la dette exprimée en points de PIB n’augmente pas tant que le déficit public est inférieur à 3 %. La forte baisse des taux d’intérêt depuis vingt ans a créé peu de marges de manœuvre pour des dépenses supplémentaires puisque la croissance nominale a ralenti en parallèle. Toutefois, depuis 2017, le taux d’intérêt apparent de la dette française est inférieur à la croissance nominale, si bien que la dette publique peut être stabilisée avec un déficit primaire (c’est-à-dire avec un déficit public plus élevé que les seules charges d’intérêt de la dette). En profiter pour relâcher la contrainte budgétaire impliquerait cependant de pouvoir réduire rapidement le déficit primaire, lorsque le taux d’intérêt se rapprochera et repassera au-dessus du taux de croissance du PIB. Ainsi, les pouvoirs publics doivent arbitrer entre deux risques opposés. D’un côté, ne pas profiter de la situation financière favorable aujourd’hui pour réaliser les investissements nécessaires. De l’autre, perdre le contrôle de la dette publique, si les dépenses ne peuvent pas être ajustées à la baisse lorsque l’écart entre taux d’intérêt et croissance nominale s’estompera, voire s’inversera, sans qu’un consensus se dégage aujourd’hui sur la probabilité ou l’horizon de cet évènement.La France se caractérise par de hauts niveaux de dette tant publique que privée, des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques élevés, qui n’ont quasiment jamais diminué depuis trente ans. Cela traduit à la fois une grande rigidité et des marges de manœuvre réduites. Plutôt qu’une dérive de la dette publique ou une réduction à marche forcée, affecter les économies liées à la baisse de la charge d’intérêt à un fonds d’investissement pour la transition écologique tout en réduisant progressivement la dette pourrait être une piste à privilégier.

 

Taux d’intérêt apparent de la dette et taux de croissance nominale du PIB (France)

 

 

INTRODUCTION

Le contexte macroéconomique actuel, caractérisé par la baisse prononcée des taux d’intérêt, la diminution de la croissance et de l’inflation dans les pays développés et de forts niveaux d’endettement, tant publics que privés, est rappelé dans la première partie de la note. La deuxième partie présente l’état du débat académique sur les pers-pectives ouvertes par ce nouveau contexte en matière de finances publiques. Plusieurs autres questions majeures soulevées par la faiblesse des taux d’intérêt  notamment l’impact sur le prix des actifs, le risque de fragilisation du secteur financier ou les effets de redistribution entre agents économiques  ne sont pas traitées ici. La troi-sième partie examine le cas particulier de la France. Enfin, quelques pistes d’action publique sont esquissées dans la dernière partie. On choisit délibérément de ne pas traiter ici de la question des règles budgétaires européennes, compte tenu de la discussion qui s’ouvre à Bruxelles sur leur pertinence et leur révision éventuelle1.

 

UN NOUVEAU CONTEXTE MACROÉCONOMIQUE

Le contexte macroéconomique de l’après-crise 2008 est caractérisé par trois grandes tendances liées : la baisse prononcée des taux d’intérêt (nominaux et réels), la baisse de la croissance dans les pays développés et enfin de forts niveaux d’endettement, tant publics que privés. Ces tendances, déjà perceptibles avant la crise, sont à présent plus apparentes et paraissent plus durables.

Une baisse prononcée des taux d’intérêt

Toutes les économies avancées sont marquées par une baisse concomitante des taux d’intérêt nominaux depuis quatre décennies. La France s’endettait à dix ans à un taux nominal de 14 % en 1980. Vingt ans plus tard, ce taux était de 5 %, et en 2019 il est proche de zéro. C’est également le cas pour la plupart des grands pays européens et ceux du G7, à l’exception de l’Italie. La première explication réside dans le ralentissement tout aussi prononcé de l’inflation (voir graphique 1). Néanmoins, les taux d’intérêt « réels », c’est-à-dire nets d’inflation, ont aussi progressivement et fortement baissé depuis la moitié des années 1980, après la brusque remontée du début des années 1980 occasionnée par la chute de l’inflation. En France, le taux d’intérêt réel des bons du Trésor à dix ans est ainsi passé de 6 % en 1985 à 4 % en 2000. Il est négatif, à -1,5 %, fin 2019.

 

Graphique 1 — Taux d’intérêt nominaux,réels, et inflation depuis 1970

Moyenne des 3 dernières années du taux d ‘émission de la dette à 10 ans

 

La croissance a ralenti dans toutes les économies avancées depuis les années 1970

Dans les pays développés, le taux de croissance du PIB réel ralentit progressivement depuis plusieurs décennies (voir graphique 2). En France, ce taux était en moyenne de 5,4 % dans les années 1950-1970, de 2,7 % dans les années 1970-1990, de 2,5 % en 1990-2010 et de 1,3 % depuis 2010. Aux États-Unis, au cours des mêmes périodes, il est passé respectivement de 4 % à 3,1 %, puis à 2,6 % et enfin à 2,2 % depuis 2010. Ce ralentissement est largement dû à des facteurs struc-turels communs à tous les pays avancés2. Notamment, quatre grandes sources de croissance de l’après-guerre s’essouent : l’entrée progressive sur le marché du travail de générations plus instruites, l’intégration des femmes dans le marché du travail3, la croissance démographique et enfin l’intégration des économies entre elles. À l’épui-sement de ces moteurs, qui ont joué un rôle central au cours des décennies passées, sont associés le vieillisse-ment de la population et le ralentissement du progrès tech-nique, dans un mouvement qui pousse structurellement la croissance, l’inflation et les taux d’intérêt vers le bas4.

 

Le progrès technique ralentit dans tous les pays avancés et avec lui les gains de productivité qui sont l’un des prin-cipaux moteurs de la croissance. Les causes de ce ralen-tissement durable et généralisé font débat entre écono-mistes. Certains pensent que la croissance peut repartir avec les gains de productivité que pourraient générer les innovations liées au numérique comme l’internet des objets, la génomique, l’informatique quantique ou l’intelli-gence artificielle, qui ouvrent d’importantes perspectives, mais cette vision est loin d’être partagée. On ne saurait donc fonder des politiques publiques sur cette hypothèse.

 

Le taux d’intérêt sans risque est inférieur au taux de croissance

 

D’après la théorie économique classique, le taux d’intérêt nominal sans risque (r) devrait être proche de la crois-sance nominale (g). En pratique, l’écart entre les deux grandeurs est parfois négatif, parfois positif. Plusieurs études récentes se sont penchées sur les évolutions his-toriques entre r et g. Ainsi, Mauro et Zhou (2019) ana-lysent r et g au cours des 200 dernières années pour 55 pays5 : dans les pays développés, le taux d’intérêt sans risque se révèle inférieur au taux de croissance six années sur dix6.

 

Graphique 2 — Taux de croissance réel annuel moyen du PIB, 1950-2020

 

Pour la France comme pour les autres pays avancés, la baisse du taux d’intérêt ces dernières décennies s’est accompagnée d’une baisse de l’inflation et de la croissance, l’écart entre le taux d’intérêt apparent de la dette7 et la croissance nominale oscillant autour de zéro ces dernières années (voir graphique en page 1). Après avoir été positif de 2012 à 2014, cet écart a été nul en 2015 et 2016, et négatif depuis lors. C’est ce qu’on observe égale-ment dans les autres pays développés.Un haut niveau d’endettement public et privé.

Depuis 1970, le niveau d’endettement des gouvernements, des ménages et des entreprises a presque triplé en pourcentage du PIB dans les pays développés8. En moyenne, la dette publique est passée de 40 % du PIB en 1970 à 73 % en 2007 et en raison de la crise financière de 2008, elle dépasse les 100 % depuis 20129 (voir graphique 3). La dette privée, c’est-à-dire celle des ménages et des entre-prises, a également augmenté : de 85 % du PIB en 1970 à 163 % en 2018, avec une hausse moyenne de 2,3 points de PIB par an depuis le début des années 1980. En hausse dans tous les pays développés, la dette des ménages est passée en France de 22 % du PIB en 1980 à 34 % en l’an 2000, pour atteindre 60 % en 2018. Aux États-Unis, cette dette qui avait fortement augmenté  de 62 % en 1993 à 98 % du PIB en 2007  a fini par causer la crise financière. Elle a connu ensuite une période de consolidation pour revenir à 75 % du PIB fin 2018. La dette des entreprises a également augmenté dans tous les pays développés. La France est le pays du G7 avec le plus haut niveau d’endettement de ses entre-prises, passé de 100 % à 140 % du PIB entre 1998 et 2018. Selon une note du FMI10, la présence de grandes multinationales dans les secteurs à haute intensité capitalistique explique en partie cette augmentation de la dette en France. Par rapport aux entreprises d’autres pays, dans les mêmes secteurs, les entreprises françaises ne seraient pas significativement plus endettées11.

 

Graphique 3 — Une tendance générale à la hausse de la dette publique et de la dette des ménages sur longue période

 

PERSPECTIVES OUVERTES PAR CE NOUVEAU CONTEXTE POUR LES FINANCES PUBLIQUES

Avec les niveaux très bas des taux d’intérêt aujourd’hui, le débat sur les dettes publiques est relancé. Schématique-ment, on trouve d’un côté ceux qui en déduisent que l’argent est « gratuit » et qu’il faut donc s’endetter massi-vement, en particulier pour financer les investissements indispensables à la transition climatique, et de l’autre, ceux qui rappellent que les taux d’intérêt peuvent augmenter à tout moment, et que les niveaux d’endettement sont déjà très élevés. Le débat académique est naturellement plus nuancé, mais il est également actif.

 

Le niveau d’endettement élevé n’est pas exempt de risques

Il n’y a pas de consensus entre les économistes sur l’exis-tence d’un niveau de dette publique à ne pas dépasser. L’accent est généralement mis sur la capacité à stabiliser cette dette (en pourcentage du PIB), davantage que sur un niveau cible à atteindre. Par exemple, Furman et Summers (2019)12 soulignent que les gouvernements peuvent supporter des niveaux d’endettement bien plus élevés qu’auparavant, car la charge de la dette est restée stable en pourcentage du PIB (voire a baissé dans plusieurs pays), par rapport à la moyenne sur la période depuis la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, la charge de la dette représente en France 1,7 % du PIB en 2018, contre 3,3 % vingt ans auparavant.Le montant élevé des dettes réduit cependant la capacité des gouvernements à répondre aux crises, et pourrait donc les accentuer, ou entraîner une longue période de croissance atone faute de marges de manœuvre pour la relance. De nombreux travaux empiriques montrent que le risque d’attaques spéculatives s’accroît selon le niveau de dette exprimé en points de PIB, même si ce dernier est loin d’être l’unique déterminant. Les perspectives de croissance, la répartition de la dette entre résidents et non-résidents, la monnaie dans laquelle la dette est libellée, sa maturité moyenne jouent également un rôle13. De ce point de vue, la France n’est pas très bien placée, parce que la moitié de sa dette publique est détenue par des non-résidents, d’une part14, et qu’elle n’a plus de possibilité de monétiser sa dette publique, d’autre part.Lors des crises, avoir des marges de manœuvre monétaire ou budgétaire pour amortir le choc est important. La première existe lorsque le taux d’intérêt est supérieur à zéro ; la seconde augmente plus le ratio de dette sur PIB est faible. Selon Romer et Romer (2018)15, lorsqu’un pays possède les deux types de marges de manœuvre, les récessions sont courtes et inférieures à 1 % du PIB. Quand il n’en a aucune, les récessions sont longues et la contraction atteint en moyenne presque 10 % du PIB. Et au-delà d’un seuil de dette, les pays ont moins de marge de manœuvre budgétaire, et leurs récessions sont donc plus longues et plus sévères16. Cinq années après le déclenchement d’une récession, les pays ayant une marge de manœuvre budgétaire ont retrouvé leur niveau de PIB initial alors que les pays sans marge ont un PIB inférieur de 8 points en moyenne. Ces effets de seuil se retrouvent dans plusieurs études aux méthodologies dif-férentes17 : pour un niveau élevé d’endettement, le taux d’intérêt peut changer rapidement et déclencher une crise. Ainsi, un pays développé avec un endettement public à 50 % du PIB a une probabilité inférieure à 4 % de connaître une crise18. Elle passe à 6 % lorsque la dette se rapproche des 70 %, et augmente brutalement à plus de 10 % au-delà des 70 % de dette sur PIB. Même lorsque les coûts de la dette sont bas, un niveau élevé de celle-ci peut déclencher une crise des finances publiques avec des conséquences majeures sur la croissance future.

 

Les taux bas, une opportunité pour la politique budgétaire, alors que la politique monétaire atteint ses limites ?

Dans ce contexte, plusieurs économistes, et au premier chef Olivier Blanchard19, suggèrent que les niveaux élevés de la dette publique aujourd’hui, aux États-Unis et dans d’autres pays développés, ne doivent pas empêcher par principe le recours à la politique budgétaire. Celle-ci serait le seul levier restant pour stabiliser l’économie, la poli-tique monétaire touche à ses limites avec le niveau très bas des taux. En outre, comme le taux d’intérêt apparent de la dette publique est inférieur au taux de croissance nominale de l’économie, on peut simultanément stabiliser la dette publique et avoir un déficit primaire, ce qui est une opportunité à saisir (voir encadré 1, page suivante).

 

Dans le même esprit, Rachel et Summers (2019)20 montrent que les déficits budgétaires aux États-Unis durant les années 2010 ont permis de limiter la baisse des taux d’intérêt réels et de la croissance. Leur conclusion est que les gouvernements devraient à présent accepter des politiques budgétaires considérablement plus accommodantes que par le passé, dans la limite de la soutenabilité de la dette.A contrario, d’autres économistes21 rappellent qu’un écart négatif entre taux d’intérêt et croissance nominale ne saurait être un argument susant pour une relance budgétaire. Cet écart peut être conjoncturel22, auquel cas la relance budgétaire serait malvenue puisque procyclique. Même sans être conjoncturel, cet écart peut vite s’inverser, ce qui peut conduire à un cercle vicieux : augmentation de l’endettement, méfiance des marchés, politiques d’austérité des gouvernements freinant la croissance et augmentant à leur tour la dette publique. Mauro et Zhou (2019), cités supra, montrent d’ailleurs que la probabilité pour un pays de connaître une crise de sa dette publique ne dépend pas de l’écart entre le taux d’intérêt et le taux de croissance dans les années précédentes.

COMMENT SE SITUE LA FRANCE ?

La France se caractérise par une grande rigidité et des marges de manœuvre réduites

Les comparaisons des dettes publiques européennes soulèvent des points inquiétants. Le premier est la divergence au sein de la zone euro. En particulier, les dettes publiques de la France et de l’Allemagne ont été quasi-ment identiques de 1995 à 2010. Depuis, elles divergent fortement puisque l’une est proche de 100 % du PIB en 2020, et l’autre pourrait rapidement repasser sous le seuil de 60 % fixé par le traité de Maastricht. Selon les prévisions du FMI, de l’OCDE et de la Banque centrale européenne, seuls trois pays de la zone euro auront un taux d’endettement plus élevé que la France en 2021 : le Portugal, l’Italie et la Grèce23.Le deuxième point est que la France est le seul des 19 pays de la zone euro à ne jamais avoir fait baisser sa dette publique plus de trois ans consécutifs au cours des trente dernières années. Les autres pays de l’Union européenne ont tous su, plus ou moins vite, réduire fortement leur dette. Au cours des vingt dernières années, 21 pays de l’Union européenne ont su réaliser au moins une fois un effort structurel de réduction de leurs dépenses publiques de trois points de PIB sur une période de cinq ans24.Un troisième point préoccupant concerne le niveau et la trajectoire d’endettement des ménages. La hausse de cet endettement a été identifiée dans la littérature comme un signal précurseur d’un ralentissement économique futur25. Or, en France, la dette des ménages a augmenté rapidement, passant de 34 % à 60 % du PIB entre 2000 et 2018 (voir graphique 3 supra). Les dix dernières années, elle s’est stabilisée dans les pays avancés, voire réduite dans cinq pays du G7. A contrario, elle augmente en France depuis vingt ans, ce qui pourrait s’expliquer en partie par un phénomène de rattrapage. En comparaison des autres pays, les ménages français étaient peu endettés au début des années 2000. Aujourd’hui encore, leur taux d’endettement est de l’ordre de 60 % du PIB, contre près de 90 % au Royaume-Uni et 80 % aux États-Unis.

 

D’ici à 2030, une remontée modérée des taux ne remettrait pas en cause la stabilisation de la dette

Le taux apparent de la dette publique d’une année est le rapport entre la charge d’intérêt constatée cette année-là et le montant de la dette à la fin de l’année précédente. Il dépend du taux auquel les emprunts de l’année en cours sont émis mais aussi des taux de tous les emprunts émis au cours des années antérieures et qui n’ont pas encore été totalement remboursés. En conséquence, l’impact d’une baisse des taux d’intérêt des nouveaux emprunts sur la charge d’intérêt de la dette est très progressif. Si le taux apparent de la dette publique française n’évolue que progressivement, il s’inscrit du milieu des années 1990 jusqu’à présent sur une pente nettement décroissante. Il est en effet passé de 6,6 % en 1996 à 1,8 % en 2018, alors que le taux des OAT26 à dix ans émises à la fin de 2018 était de seulement 0,7 %. En conséquence, le rapport entre la charge d’intérêt et le PIB a décru depuis 1996 malgré une hausse quasi continue  particulièrement forte depuis 2008  du ratio dette sur PIB. De 2010 à 2018, la charge d’intérêt a même diminué de 10 milliards d’euros alors que la dette a augmenté de plus de 600 milliards. Elle a ainsi été ramenée en 2018 à 40,3 milliards hors frais bancaires, soit 1,7 % du PIB (voir graphique 5).Ce mouvement de baisse n’est pas terminé. Le projet de loi de finances (PLF) pour 2020 prévoit que la charge de la dette sera ramenée à 33,7 milliards d’euros en 2020, soit 1,4 % du PIB, avec une hypothèse de remontée du taux des OAT à dix ans jusqu’à 0,2 % à la fin de 2019 et 0,7 % à la fin de 2020 et un déficit primaire de 0,8 % du PIB.Au-delà de 2020, on établit trois scénarios, tous caractérisés par (i) une croissance nominale du PIB jusqu’à 2022 conforme aux prévisions annexées au PLF 2020 (soit 2,7 % sur 2019-2022 en moyenne annuelle), puis égale chaque année à 2,5 % ; (ii) un déficit primaire conforme à ces prévisions jusqu’à 2022 où il est ramené à 0,4 % du PIB, puis stabilisé à ce niveau en pourcentage du PIB. Ces scéna-rios diffèrent par le taux d’intérêt apparent de la dette publique, donc par l’écart entre ce taux d’intérêt apparent et le taux de croissance du PIB puisque ce dernier est le même dans chacun d’eux (voir graphique 6).

Graphique 5 — L’évolution de la charge d’intérêt de la dette publique et de ses déterminants

Dans le scénario A, le taux apparent de la dette publique évolue jusqu’à 2024 comme le taux apparent de la dette négociable de l’État tel qu’il figure dans le projet annuel de performances du programme « charge de la dette et trésorerie de l’État » annexé au PLF 2020, pour atteindre 1,4 %. Conformément au scénario de base retenu dans ce document, les taux d’intérêt des nouveaux emprunts émis par l’État augmentent de 50 points de base par an jusqu’à 2024. Dans ces conditions, le taux apparent de la dette publique hors frais atteint un point bas à 1,2 % en 2021 et 2022 puis remonte jusqu’à 1,4 % en 2024. Ensuite, il est supposé croître de 0,1 % chaque année jusqu’à 2030 où il atteint donc 2,0 %. Comme le taux apparent de la dette publique est toujours inférieur au taux de croissance nominale du PIB, le rapport dette/PIB diminue continument pour revenir à 93 % du PIB en 2030. La charge d’intérêt atteint un point bas à environ 30 milliards d’euros en 2021-2022, soit 1,1 % du PIB puis remonte jusqu’à 58 milliards soit 1,8 % du PIB en 2030. Si le taux apparent restait indéfiniment à 2,0 % et le taux de croissance nominale à 2,5 %, avec un déficit primaire stabilisé à 0,4 % du PIB, la dette publique convergerait à l’infini vers 80 % du PIB et la charge d’intérêt vers 1,6 % du PIB.Dans le scénario B, les taux des nouveaux emprunts sont majorés par une prime de risque de 200 points de base à partir du 1er janvier 202127, par rapport au scénario A. L’impact sur la charge d’intérêt de la dette publique est alors de 4,5 milliards en 2021, 27,4 milliards en 2025 et 48,5 milliards en 203028. Le taux d’intérêt apparent de la dette publique atteint alors 3,4 % en 2030.Dans ces conditions, la dette publique augmente à partir de 2023 pour atteindre 102 % du PIB en 2030, avec des charges d’intérêt qui représenteraient 3,3 % du PIB. On voit que l’augmentation de la dette induite par une remontée des taux serait nettement moins marquée que celle qu’a connue la France lors de la Grande Récession. Mais avec un taux apparent et un taux de croissance du PIB ensuite stabilisés à 3,4 % et 2,5 %, la dette continuerait à augmenter indéfiniment.Dans le scénario C, le taux apparent de la dette publique diminue jusqu’à 1,0 % en 2023 puis est stabilisé à ce niveau. La dette publique diminue alors jusqu’à 89 % du PIB en 2030 et la charge d’intérêt est de 28 milliards d’euros soit 0,9 % du PIB. Si le taux apparent restait indéfiniment à 1,0 % et le taux de croissance nominale à 2,5 %, avec un déficit primaire stabilisé à 0,4 % du PIB, la dette publique convergerait à l’infini vers 27 % du PIB et la charge d’inté-rêt vers 0,3 % du PIB.

La charge d’ intérêt de la dette publique en % du PIB

 

 

Un niveau d’investissement plutôt plus élevé

Calculé en tenant compte des subventions d’investissement des administrations publiques à d’autres secteurs29, le niveau de l’investissement public en France est constamment supérieur à celui de la plupart des pays voisins avec, par exemple, 4,2 % du PIB en France en 2018 contre respec-tivement 3,4 % en moyenne pour la zone euro, 3,6 % pour l’Union européenne et 3,3 % pour l’Allemagne. Il est plus élevé en Suède (5,0 % du PIB) et dans certains pays d’Europe orientale (4,9 % du PIB en Pologne, par exemple). L’étude économique de l’OCDE sur la France publiée en mars 201930 observe qu’il n’y a pas de signes d’une insuffisance manifeste du montant des investissements publics en France, au moins au regard des autres pays développés, mais que leur qualité pourrait être améliorée par un meilleur choix des projets, fondé sur des évaluations socioéconomiques, et une plus grande attention portée à la maintenance des équipements existants. Certains acteurs publics privilégient en effet la mise en place de nouveaux investissements au détriment de l’entretien de l’investissement existant. L’OCDE recommande également d’orienter plus nettement les investissements vers la transition énergétique, les infrastructures numériques et la recherche et développement.Une consolidation des finances publiques nécessaire pour réduire le risque de crise.

Dans son dernier rapport sur la soutenabilité des finances publiques31, la Commission européenne examine les risques de survenance d’une crise des finances publiques à moins d’un an. Le risque est apprécié sur la base d’une série de 25 variables à la fois budgétaires (par exemple le solde structurel) et macroéconomiques (par exemple le solde des transactions courantes). Alors que 16 pays de l’Union européenne avaient franchi le seuil d’alerte en 2009 (la France ne faisait pas partie de ce groupe), laissant présager une crise, aucun ne le dépassait en 2019. La soutenabilité des finances publiques à court terme est donc assurée, si on fait confiance à cet indicateur, en France comme dans presque tous les pays européens. Toutefois, une analyse plus fine de ses composantes montre que si le seuil global n’est franchi par aucun pays, des fragilités sont apparentes dans plusieurs pays, dont la France, s’agissant des variables relatives aux finances publiques (voir graphique 7).

Selon l’OCDE la probabilité de défaut de paiement est quasiment nulle dans la plupart des pays avancés, les exceptions les plus notables étant le Japon, l’Italie et, dans une moindre mesure, la France32. Pour l’OCDE, elle se situe à proximité de la zone où la probabilité d’un défaut de paiement croît rapidement. Même si ces analyses doivent être considérées avec précaution, elles suggèrent que la France ne peut pas laisser dériver sa dette publique. Comme le risque d’une crise financière d’ampleur mondiale est élevé en raison notamment de forts taux d’endettement publics et privés dans de nombreux pays, la France doit conserver ses marges de manœuvre résiduelles pour pouvoir stabiliser l’économie en cas de crise grave. Si la confiance des investisseurs dans la dette publique française venait à diminuer nettement à l’occasion d’une crise financière mondiale, la situation économique et budgétaire du pays serait alors très difficile pour plusieurs années. La nécessité de réduire les dépenses publiques pourrait alors s’imposer au pays au pire moment. Cela aurait pour effet de creuser la récession, d’alourdir violemment et fortement la charge de la dette, d’obliger à des coupes budgétaires douloureuses et contre-productives tant du point de vue du bien-être social que des besoins d’investissement dans la transition écologique.

UNE PISTE À PRIVILÉGIER : PROFITER DESTAUX BAS POUR RÉALISER LES INVESTISSEMENTS PUBLICS INDISPENSABLES

Les pouvoirs publics doivent finalement arbitrer entre deux risques opposés. D’un côté, ne pas profiter de la situation financière favorable aujourd’hui pour réaliser les investissements publics nécessaires. De l’autre, perdre le contrôle de la dette publique, si les dépenses ne peuvent pas être ajustées à la baisse lorsque l’écart entre taux d’intérêt et croissance nominale s’estompera, voire s’inversera.Il apparaît, au vu de l’analyse menée dans les parties pré-cédentes, que les marges de manœuvre en matière de politique budgétaire sont plus importantes dans d’autres pays que la France, et en premier lieu en Allemagne33. Cela étant dit, réduire rapidement la dette publique, comme dans le scénario C supra, ne serait pas forcément une poli-tique optimale pour la France si elle se faisait au détri-ment d’investissements nécessaires. Une voie médiane pourrait être de réduire plus lentement la dette publique et d’affecter une partie de l’économie sur les charges d’in-térêt à un fonds d’investissement dédié, sur le modèle du Programme d’investissements d’avenir (PIA), avec des canaux de financement adaptés (subventions, fonds propres, garantie d’emprunt, etc.).Deux types d’emplois, mutuellement non exclusifs, pour-raient être envisagés : les investissements et dépenses dont la rentabilité financière est avérée ; les investisse-ments nécessaires à la réalisation de la Stratégie natio-nale bas carbone (SNBC), le cas échéant de manière anti-cipée par rapport à la trajectoire prévue.Les investissements publics dont la rentabilité financière est avérée ne sont sans doute pas légion en France. Mais il serait malvenu de ne pas les financer, alors qu’avec les taux quasi nuls actuels, tout investissement dont le ren-dement rembourse le principal peut être financé, quelle que soit la trajectoire future des taux. À titre d’exemple, la France dépense chaque année environ 1,5 milliard d’euros en allocation logement pour 880 000 étudiants bénéfi-ciaires, soit plus d’un étudiant sur trois. Pour faire passer le taux des étudiants logés en résidence à loyers modérés de 10 % à 20 % environ, une dotation supplémentaire de 2,4 milliards au Centre national des œuvres universitaires et scolaires (CNOUS) pourrait financer la construction de 200 000 logements étudiants34. La réduction de loyer des étudiants bénéficiaires se traduirait par une baisse des allocations logement et donc par une économie pour la collectivité qui rembourserait l’investissement initial en 5 à 7 ans, selon les calculs du Conseil d’analyse économique35. De manière générale, on peut penser également à des dépenses qui s’apparentent à des investissements comme la formation des individus, la modernisation numérique des administrations, l’entretien et la maintenance d’infrastruc-tures publiques. Elles peuvent générer des économies ou des revenus futurs mais sont considérées comme des dépenses de fonctionnement en comptabilité nationale. Elles pourraient tout à fait entrer dans la catégorie des dépenses financées temporairement par les économies budgétaires liées aux faibles taux d’intérêt à deux conditions essentielles : que ces dépenses puissent être interrompues facilement en cas de remontée des taux et qu’elles pré-sentent une perspective susamment assurée de rentabilité financière, évaluée ex ante par une autorité autonome. En matière de rentabilité financière, il faut toutefois garder à l’esprit que la croissance future est particulièrement incer-taine, et l’écart négatif actuel entre taux d’intérêt et crois-sance nominale pourrait correspondre à une anticipation par les investisseurs d’une baisse future du taux de crois-sance du PIB, auquel cas les calculs de rentabilité (par exemple d’une infrastructure de transport ou de produc-tion d’énergie, mais aussi de plans de formation pour cer-tains métiers) pourraient se révéler surestimés. A contra-rio, si la résorption de l’écart entre taux et croissance se fait dans le futur via une remontée des taux d’intérêt (et non par une baisse de la croissance), alors elle ne remettra pas en cause les calculs actuels de rentabilité financière.

 

Le second type d’investissement est plus conséquent. La lutte contre le changement climatique requiert des inves-tissements supplémentaires importants, évalués à envi-ron 1 point de PIB36. Seule une fraction de ces investisse-ments nécessiterait un financement public, mais cette fraction risque d’être élevée si les signaux-prix restent insusants pour générer des incitations ecaces pour le secteur privé. Par rapport à d’autres, les investissements en faveur de la transition climatique sont un bon candidat pour deux rai-sons. Premièrement, ils sont indispensables pour que la France respecte ses engagements internationaux. Deu-xièmement, différer ces investissements risque de ren-chérir leur coût, si l’on raisonne en termes de budget car-bone. Par définition, toute dépense qui réduit les émis-sions de CO2 à un « coût d’abattement » inférieur à la valeur tutélaire37 est rentable pour la collectivité38. Cela ne signifie naturellement pas qu’elle est rentable financiè-rement. Par exemple, pour une collectivité publique, le remplacement de sa flotte de véhicules thermiques par des véhicules électriques est un coût net. Certaines dépenses visant à réduire les émissions de CO2 peuvent toutefois être rentables financièrement, en particulier celles visant à réduire la consommation d’énergie, et en premier lieu les dépenses de rénovation thermique des bâtiments. Compte tenu de la situation financière du pays, il serait logique de retenir en priorité les investissements qui ont la meilleure rentabilité financière, parmi ceux qui sont rentables pour la collectivité. C’est notamment le cas pour la rénovation thermique des bâtiments afin de diminuer leur consommation énergétique et leurs émissions de gaz à effet de serre (GES). Ce gisement d’économies, d’emplois et de réduction d’émissions est encore insusamment exploité. Pourtant, chaque année des moyens publics importants y sont consacrés : près de 1,6 milliard d’euros en crédits budgétaires et 2,3 milliards en dépenses fiscales pour le seul segment de la rénovation énergétique des logements39. Malgré ce niveau élevé d’engagement public, une hausse de près d’un tiers des investissements annuels de la nation (publics et privés) est nécessaire pour atteindre les objectifs de la Stratégie nationale bas carbone sur la période 2024-2028.

 

Les raisons de ce sous-investissement sont multiples : les ménages ne connaissent pas la rentabilité de la rénova-tion thermique de leur logement ; ils dépendent pour leur information de professionnels du secteur qui sont encore peu structurés et insusamment formés à la rénovation énergétique ; les dispositifs d’accompagnement technique et financier sont peu connus, éparpillés et diciles à appréhender ; les ménages sont généralement sensibles au coût d’opportunité des travaux, ils sont souvent averses au risque et préfèrent le statu quo ; l’horizon de rentabili-té des opérations est parfois éloigné alors que beaucoup de ménages propriétaires sont âgés ; la rentabilité est dépendante de l’évolution du prix de l’énergie, très incer-taine ; il est dicile d’obtenir l’accord de la majorité abso-lue dans une copropriété privée pour des dépenses lourdes ; les intérêts des locataires, qui bénéficient de la réduction de la facture énergétique, et des propriétaires, qui financent la rénovation, ne sont pas alignés, etc.Malgré des investissements rentables et absolument néces-saires du point de vue de l’intérêt collectif, malgré de géné-reux dispositifs publics de soutien financier et d’accompa-gnement des particuliers, des entreprises et des collectivités territoriales, cet exemple illustre le fait qu’il est loin d’être évident de déclencher une vague d’investisse-ments, indépendamment de la question du financement.

 

CONCLUSION

Le niveau de dette publique de la France, son taux de prélèvement obligatoire et son taux de dépenses publiques sont parmi les plus élevés d’Europe. Ils n’ont quasiment jamais diminué substantiellement dans les trente dernières années, ce qui révèle à la fois une grande rigidité et une absence de marge de manœuvre. Une augmentation de la dette publique française dans la décennie qui s’ouvre apparaît ainsi risquée. A contrario, une baisse à marche forcée, qui se ferait au détriment des investissements nécessaires, le serait tout autant. Afin de ne pas rater l’opportunité de faibles taux d’intérêt pour financer les investissements indispensables à la transition écologique, une voie médiane serait de viser une lente réduction de la dette publique française et d’affecter une partie de l’économie sur les charges d’intérêt à un fonds d’investissement dédié, sur le modèle du PIA. Ce fonds financerait  selon des formes diverses : subventions, fonds propres, garantie d’emprunt, etc.  prioritairement les investissements nécessaires à la réalisation de la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), le cas échéant de manière anticipée par rapport à la trajectoire prévue. Les montants en jeu sont compatibles avec une stabilisation de la dette publique, dans les conditions de taux actuelles : le surcroît annuel d’investissements nécessaires à la SNBC par rapport à la trajectoire tendancielle est évalué à 1 point de PIB environ, seulement une fraction devant être financée pour tout ou partie par de l’argent public.Une telle stratégie permettrait d’éviter que les économies engrangées du fait de la baisse des taux soient intégra-lement affectées au fil de l’eau à des dépenses courantes et/ou des baisses de prélèvements obligatoires moins utiles pour les enjeux de long terme du pays. Si une telle stratégie devait être retenue, il serait important de la définir explicitement (i) en précisant la norme de charge de la dette par rapport à laquelle les économies seraient mesurées (ii) en définissant ex ante des critères de sélection des investissements rigoureux et transparents (iii) ainsi que les conditions macroéconomiques qui, une fois réunies, conduiraient à interrompre cette stratégie.

A propos de France Stratégie

Institution autonome placée auprès du Premier ministre, France Stratégie contribue, par ses propositions, à l’action publique et éclaire le débat. Elle réalise des études originales sur les grandes évolutions économiques et sociales, et les enjeux de soutenabilité. Elle produit également des évaluations de politiques publiques à la demande du gouvernement. Les résultats de ses travaux s’adressent aux pouvoirs publics et aux citoyens.

 

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