Depuis vingt ans, l’Allemagne avait pris l’habitude de faire la course en tête en Europe. Son modèle vertueux reposant sur une industrie puissante génératrice d’importants excédents commerciaux, un faible chômage et des finances publiques relativement saines, était loué. L’année 2023 marque une réelle rupture avec une récession qui semble s’être installée dans la durée. La guerre en Ukraine avec les embargos croisés entre la Russie et l’Union européenne a remis en cause un des fondements de la réussite allemande de ces dernières années : l’accès à une énergie bon marché. D’autres facteurs expliquent les problèmes que rencontre actuellement l’Allemagne, la transition énergétique, le vieillissement démographique, les tensions commerciales avec la Chine.
Depuis la fin du rebond post covid, en 2021, l’économie allemande connaît un ralentissement marqué au point d’être entrée en récession en 2023, récession qui pourrait perdurer sur une partie de l’année 2024. Contrairement aux années 2010, la croissance allemande est, depuis 2020, plus faible que celle de la France. De mars 2021 à septembre 2023, la croissance allemande a été inférieure à 4 %, contre 6 % pour la France, 8 % pour l’Italie et 12 % pour l’Espagne.
La panne allemande est-elle temporaire ou témoigne-t-elle de problèmes structurels ?
La petite croissance allemande depuis la fin de la crise sanitaire est en partie imputable à une moindre utilisation des dépenses publiques pour soutenir l’activité. L’Allemagne est le pays qui s’est le moins endetté depuis quatre ans. Son taux d’endettement public est de 65 % du PIB, contre 118 % pour la France et l’Espagne et 140 % pour l’Italie. Ces trois derniers pays ont accru leur dette publique de vingt points de PIB entre 2020 et 2023, contre 10 points pour l’Allemagne.
L’Allemagne est en souffrance depuis 2021 en raison des problèmes rencontrés par son industrie qui a dû faire face à des problèmes d’approvisionnement de biens intermédiaires durant la crise sanitaire puis au renchérissement de l’énergie. En outre, La transition énergétique remet en cause certaines de ses productions phares dont celles liées à l’automobile. Les faiblesses de l’industrie allemande sont en partie conjoncturelles. Cette dernière demeure, au sein de la zone euro, incontournable. La valeur ajoutée de l’industrie manufacturière représente 20 % du PIB en Allemagne, contre 14 % en Italie, 12 % en Espagne et 10 % en France. Les entreprises industrielles allemandes peuvent s’appuyer sur un niveau élevé de compétences des salariés. Selon le classement PIAAC de l’OCDE mesurant cette dernière, l’Allemagne devance de loin la France, l’Espagne et l’Italie. Le tissu économique allemand demeure dense et les entreprises allemande peuvent compter sur l’appui des banques locales.
Plusieurs facteurs d’ordre structurel pourraient freiner la reprise allemande. Le vieillissement démographique et, en premier lieu, le déclin de la population active constituent un réel handicap. La population âgée de 16 à 64 ans diminue depuis 2015 et cette baisse devrait s’accélérer dans les prochaines années. Depuis huit ans, l’Allemagne a favorisé l’arrivée de travailleurs immigrés pour atténuer les effets du vieillissement. Cette politique est contestée par une part croissante de la population allemande, ce qui pourrait aboutir à sa remise en cause. Or, l’économie allemande est en situation de plein emploi. Les pénuries de main-d’œuvre se multiplient avec comme conséquence une augmentation des salaires qui nuit à la compétitivité des produits allemands. Les salaires devraient connaître une croissance de plus de 6 % en 2023.
La compétitivité allemande est altérée par la stagnation de la productivité, y compris dans l’industrie manufacturière. L’Allemagne doit faire face à la concurrence de plus en plus vive des pays émergents dans les secteurs qui, jusqu’à maintenant, relevaient de sa chasse gardée. La multiplication des mesures protectionnistes pénalise les entreprises exportatrices allemandes. Le commerce mondial qui était un important vecteur de croissance ralentit ces dernières années.
Dans les prochaines années, l’Allemagne devra consacrer une part importante de sa richesse nationale à la transition énergétique qui limitera d’autant les capacités d’investissement des entreprises dans d’autres domaines. En 2022, les énergies fossiles représentaient encore près de 78 % de la consommation d’énergie totale. La guerre en Ukraine s’est traduite par une consommation accrue de charbon.
L’économie allemande dispose de marges de manœuvre pour renouer avec la croissance. Elle peut compter sur la force de son réseau d’entreprises et sur le haut niveau de compétences de ses salariés. La bonne tenue de ses finances publiques constitue un atout indéniable. Dans les prochaines années, la France, l’Italie, l’Espagne ou les États-Unis devront assainir leurs comptes publics quand l’Allemagne pourra au contraire augmenter ses dépenses publiques pour moderniser son économie.
Par le Cercle de l’épargne