mer. Déc 18th, 2024

Contrairement à de nombreuses allégations, les machines, les robots et, sans nul doute demain, l’intelligence artificielle, ne suppriment pas le travail. Bien au contraire, au sein des pays occidentaux, les travailleurs se monnaient de plus en plus chers car ils deviennent rares. Le vieillissement démographique a, en quelques années, changé le rapport de force. Dans de nombreux secteurs d’activité, les pénuries de maind’œuvre se multiplient. Les entreprises éprouvent les pires difficultés à recruter des travailleurs manuels, ce qui induit des hausses de salaires. Le recours à la haute technologie devrait, de son côté, également faciliter l’augmentation des salaires en générant des gains de productivité. 

 

La mondialisation est intervenue à une période où les pays asiatiques avaient un avantage démographique important. La population active, des années 1980 jusqu’aux années 2010, était en forte augmentation. Avec l’élévation de son niveau de compétences le pays a réussi à s’industrialiser à grande vitesse. Depuis plusieurs années, la population chinoise en âge de travailler diminue. Avec l’augmentation des risques géopolitiques, la lutte contre les émissions des gaz à effet de serre, les avantages des délocalisations s’estompent. Mais, en parallèle, les pays dits avancés faute de main-d’œuvre sont à la peine pour relocaliser certaines activités. La population active de l’OCDE est également en baisse. Selon une enquête menée, en 2023, dans 41 pays par la société d’intérim, ManpowerGroup, 77 % des entreprises ont du mal à pourvoir les postes vacants, soit deux fois plus qu’en 2015. Les deux tiers des entreprises industrielles polonaises déclarent que la pénurie de main-d’œuvre est l’un des principaux freins à la production. En Allemagne, les services de transports publics ont été réduits en raison du manque de chauffeurs de bus et de train. Ce fut le cas également en région parisienne en 2022.  En Corée du Sud, les personnes âgées restent de plus en plus longtemps en activité. 59 % des 55 à 79 ans travaillent, contre 53 % il y a dix ans. Ce phénomène est imputable également à la dégradation du pouvoir d’achat des pensions.

 

La main-d’œuvre est devenue si précieuse que les entreprises commencent à la thésauriser. Même en période faible activité, elles hésitent à licencier de peur de ne pas pouvoir embaucher en cas de retournement de la conjoncture. Une enquête auprès des petites entreprises américaines a révélé qu’en 2023, plus de 90 % d’entre elles cherchent à fidéliser leurs employés. En Allemagne, malgré la récession en 2023, 730 000 postes sont vacants, un niveau record. Selon l’Agence allemande pour l’emploi, en 2023, 48 professions ont été ajoutées à la liste des 152 en manque de main-d’œuvre. Les pénuries étant plus pressantes dans le secteur de la construction et des soins de santé. Le Japon, jusqu’à maintenant averse à l’immigration, offre des visas à durée limitée aux travailleurs étrangers dans une douzaine de domaines, notamment la fabrication de pièces de machines et la construction navale. Les salaires du pays augmentent plus rapidement qu’à aucun autre moment au cours des trois dernières décennies. Changement notoire, les salaires des travailleurs manuels augmentent plus vite que ceux des diplômés de l’enseignement supérieur. Au Japon, ces derniers enregistrent même une baisse de leur rémunération. Le caractère tendu du marché du travail encourage également les syndicats à exiger de nouvelles réductions du temps de travail. Les métallurgistes allemands réclament une semaine de travail de 32 heures, contre 35 heures actuellement. En Espagne, le nouveau gouvernement souhaite réduire de deux heures et demie la semaine de travail standard, fixée actuellement à 40 heures. Dans la zone euro, le temps de travail est en baisse, les salariés rechignent à accepter des emplois à horaire décalés et à effectuer des heures supplémentaires. Si aux États-Unis, le nombre d’heures de travail par salarié ne baisse pas, des demandes se font jour en la matière. 

 

La raréfaction de la main-d’œuvre donne l’espoir que les salaires augmenteront. Cette loi de l’offre et de la demande n’est, toutefois, pas sans limite. Faute de débouchés, le marché peut s’étioler. Si aujourd’hui, certains se réjouissent de la montée du protectionnisme censé protéger l’emploi, ils pourraient vite déchanter car celle-ci devrait réduire les possibilités d’exportation. La transition énergétique, la multiplication des mesures protectionnistes et la rareté du personnel disponible favorisent la hausse des prix et pèseront sur le pouvoir d’achat des ménages. 

 

Les pays occidentaux sont menacés d’une implosion de leur économie faute de maind’œuvre d’autant plus que le recours à l’immigration suscite une hostilité de plus en plus importante au sein des populations résidentes. Or, la croissance économique dépend fortement de l’évolution de la population active. L’Italie, un des pays les plus touchés par le vieillissement démographique, est celui dont la croissance potentielle est la plus faible. L’absence d’emplois signifie moins de ressources pour financer les dépenses publiques et en premier lieu les retraites. 

 

La bonne tenue des marchés de l’emploi actuels n’est pas sans lien avec l’application de politiques d’inspiration keynésienne. Les États subventionnent de nombreux investissements (énergies renouvelables, production de batteries ou de microprocesseurs) et aident les ménages ainsi que les entreprises ayant subi les effets de la hausse des prix après le déclenchement de la guerre en Ukraine. Ces aides ont succédé à celles attribuées durant l’épidémie de covid. Le recours à l’endettement public contribue à un flux de créations d’emplois mais un ajustement pourrait se produire à moyen terme. Tant que des épargnants acceptent des titres publics, ce système économique peut se maintenir. Si, en revanche, ces derniers commencent à douter des capacités de remboursement des États ou si leurs moyens financiers viennent à se restreindre, des tensions apparaîtront avec de possibles effets sur l’emploi. Aujourd’hui, l’effort d’épargne repose essentiellement sur les plus de 55 ans. Or, avec la baisse à venir des pensions, ces derniers seront amenés à vendre tout ou partie de leur patrimoine. Pour attirer les épargnants, les États seront condamnés d’accepter des taux d’intérêt plus élevés ce qui limitera leur possibilité d’investissement. 

 

La haute technologie est-elle la solution aux pénuries de main-d’œuvre ?

 

Depuis le début de la révolution industrielle, le recours aux machines a permis de décupler la force physique. Désormais, grâce à l’intelligence artificielle, les capacités intellectuelles de l’être humain est également démultipliée. Face au manque de personnel, face aux demandes d’augmentation des salaires et de réduction du temps de travail, les employeurs espèrent que l’intelligence artificielle génèrera d’importants gains de productivité mais cela ne signifiera pas qu’ils pourront se passer de leurs salariés. 

 

Une étude réalisée par Dean Alderucci de l’Université Carnegie Mellon, à partir des données sur les brevets américains de 1990 à 2018, a révélé que les entreprises qui innovaient en recourant à l’intelligence artificielle connaissaient une croissance de l’emploi 25 % plus rapide et une croissance des revenus 40 % plus rapide que les entreprises similaires n’ayant pas fait ce choix.

 

L’intelligence artificielle devrait permettre d’accroître la productivité au sein des services. Une étude récente réalisée par Erik Brynjolfsson du Mit souligne ainsi que les salariés des centres d’appel parviennent à résoudre 14 % de problèmes en plus par heure quand ils sont assistés par une application d’intelligence artificielle. Selon une enquête de l’OCDE, environ 80 % des travailleurs du secteur manufacturier et des services financiers utilisant l’intelligence artificielle déclarent que leur production augmente. Une large majorité affirme également que cela est positif sur leurs conditions de travail.

 

L’intelligence artificielle contribuera à une montée en compétences de nombreux métiers. Les infirmiers ou les médecins pourront être épaulés par des robots pour réaliser des diagnostics et pour sélectionner des solutions appropriées à leurs patients. L’intelligence artificielle supprimera sans nul doute des emplois mais moins qu’elle n’en créera. Des emplois de rédaction basique pourraient disparaître au profit d’emplois d’analyse plus poussée. La question de la transmission des gains de productivité liés à l’intelligence artificielle est cruciale pour la croissance des prochaines années. Ils peuvent être soit conservés par les entreprises de la haute technologie sous forme de rente, soit redistribués à l’ensemble des secteurs d’activité. Dans le premier cas, les effets sur la croissance et l’emploi seront moindres que dans le second. 

 

Par le Cercle de l’épargne

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