Deux types de crises pourraient toucher certains pays de la zone euro et mettre en danger cette dernière : une crise de balance des paiements due à l’impossibilité de continuer à financer le déficit de la balance courante, et imposant une contraction de la demande intérieure ; une crise de la dette publique liée à l’impossibilité de continuer à financer une augmentation du taux d’endettement public, et imposant une forte réduction du déficit public.
Le premier type de crises, plus méconnu, est celui lié aux balances des paiements. Une telle crise survient quand un pays est dans l’incapacité de financer son déficit extérieur par des entrées de capitaux. Si les investisseurs doutent de la capacité de ce pays de rembourser ou si la rentabilité de leurs placements est jugée insuffisante, ils refusent de prêter amenant à une forte hausse des taux d’intérêt et à un blocage de l’économie. En Europe, une telle crise s’est produite entre 2010 et 2013. Elle a concerné plusieurs États d’Europe du Sud (Grèce, Portugal, Espagne et Italie). L’arrêt du financement des déficits extérieurs par les investisseurs essentiellement allemands et néerlandais a contraint les pays de l’Europe du Sud à rééquilibrer leurs comptes extérieurs en diminuant la demande intérieure. Cette diminution est rendue possible par une politique budgétaire plus rigoureuse. De leurs côtés, les excédents allemands et néerlandais ont été placés en dehors de l’Europe, en particulier aux États-Unis.
Une crise de la dette publique est également possible. Elle survient quand un pays ne peut plus continuer à financer son déficit budgétaire par un supplément d’endettement public. Le symptôme d’une telle crise est la hausse des taux d’intérêt à long terme.
L’Espagne, le Portugal et la Grèce étaient dans cette situation dans les années 2010 et 2013. Ils cumulaient les deux types de crise. Leurs déficits publics étaient alors supérieurs à 8 % du PIB. Le cumul des deux types de crises les exposait doublement à la montée des écarts de taux avec ceux de l’Allemagne. Comme pour une crise des paiements extérieurs, la solution passe par une politique budgétaire restrictive. La conséquence avait été un repli du PIB pour la Grèce, l’Epargne, le Portugal et l’Italie entre 2010 et 2016. Le recul du PIB a alors été de 2 à 3 points en Italie et au Portugal, de près de 10 points en Espagne et de près de 20 points en Grèce. En 2022, tous ces pays ont un PIB supérieur à celui de 2010, à l’exception de la Grèce. Ce dernier pays est le seul des États d’Europe du Sud à avoir connu une restructuration de la dette publique en 2011-2012, qui s’est accompagnée d’une forte contraction des dépenses publiques (-30 %).
En 2023, une crise de balance des paiements a peu de risque de survenir. L’Espagne, l’Italie, le Portugal sont à l’équilibre voire en léger excédent. Les seuls pays à enregistrer un déficit en la matière sont la Grèce et la France mais la situation de l’une comme de l’autre n’inspire pas, en l’état, de crainte particulière. Le déficit de la balance des paiements la France s’élève à un point de PIB. Si celui de la Grèce a pu atteindre jusqu’à 7 points de PIB en rythme mensuel au moment de la hausse de l’énergie, il tend à se réduire rapidement.
La hausse des taux d’intérêt conjuguée laisse néanmoins planer une menace de tensions sur le front des dettes publiques avec la persistance de déficits élevés en France comme en Italie. Le taux d’endettement public représente 160 % du PIB en Grèce, 140 % en Italie, 113 % en France 112 % en Espagne et 110 % au Portugal. Le maintien d’un fort volant d’épargne préserve, pour le moment, ces pays d’une crise des finances publiques.
Productivité, trou d’air ou rupture ?
La productivité baisse dans la zone euro depuis au moins quatre ans. Pour certains, ce phénomène préjudiciable pour la croissance est temporaire et ne doit pas être exagéré ; pour d’autres, il marque une réelle rupture économique et est porteur d’un déclin. Les prévisionnistes sont hésitants sur l’évolution de la productivité que ce soit en France ou dans la zone euro. Les optimistes mettent en avant l’inflexion de deux facteurs qui auraient affaibli la productivité depuis 2020, à savoir la rétention d’emplois dans les entreprises et la survie d’entreprises zombies. Les pessimistes avancent que la stagnation de la productivité dans la zone euro date non pas de 2020 mais de 2017, et qu’elle est la conséquence de facteurs structurels.
La productivité par tête a baissé de 5 % entre 2018 et 2023 en France et de 1 % en zone euro. Sur dix ans, elle n’a progressé respectivement que de 2 % et 5 %.
Des facteurs conjoncturels peuvent expliquer cette baisse de la productivité, mais pourraient disparaître assez rapidement, autorisant un rebond. Premièrement, devant le recul de l’activité, les entreprises n’ont pas licencié par crainte de ne pas pouvoir retrouver des salariés en cas de reprise du fait des pénuries de main-d’œuvre. De 2021 à 2023, le nombre d’emplois a fortement augmenté, +8 % en France, +6 % en zone euro alors que le PIB n’a progressé que de 6 %. Cette situation se traduit par une baisse automatique de la productivité. Si la demande persiste à être faible, les entreprises ajusteront leurs effectifs ; si la reprise est au rendez-vous, la production pourra rapidement augmenter. Dans les deux cas, la productivité augmentera.
La politique de soutien aux entreprises mises en œuvre par les pouvoirs publics depuis le début de la crise sanitaire a permis de maintenir en survie des entreprises qui, dans des conditions normales, auraient dû déposer le bilan (entreprises zombies). Avec l’arrêt des aides, le nombre de défaillances devrait augmenter, ce qui conduira à une amélioration de la productivité. En France, le nombre de faillites est passé 50 000 à moins de 25 000 entre 2019 et 2021 avant de revenir à 50 000 en 2023. Au sein de la zone euro, il est passé de 120 000 à 80 000 de 2019 à 2021. En 2023, il devrait atteindre 125 000.
D’autres facteurs plus structurels laissent croire que la baisse de la productivité pourrait s’installer dans la durée. Les pessimistes soulignent que la baisse de la productivité en zone euro a commencé dès 2017, avant la crise sanitaire. Elle est liée notamment à la diminution du taux de chômage des actifs à faible qualification dont la productivité est moindre que celle des actifs mieux formés. Le taux de chômage des personnes de 25 à 64 ans ayant un niveau d’éducation primaire est passé de 20 à 10 % au sein de la zone euro (de 16 à 11 % en France) entre 2016 à 2023.
En Europe, la population active est en proie à un fort vieillissement. Or, il est communément admis que la prodctivité tend à baisser avec la montée en âge. Les innovations se diffusent moins vite. Par ailleurs, les arrêts pour maladie augmentent notamment en durée pour les salariés les plus âgés. Le ratio des 50/64 ans par rapport au 15/49 ans est passé de 43 à 46 % en France entre 2010 et 2023 et de 41 à 51 % en zone euro. À la différence des États-Unis, la durée effective du travail est en baisse en Europe. Elle a diminué de 5 % dans la zone euro entre 2010 et 2023 et de 3 % pour la France. Cette baisse est d’autant plus sensible que le nombre d’heures par actif en 2010 était relativement faible, en particulier en France. Cette diminution peut s’expliquer par le développement du temps partiel, par la multiplication des arrêts maladie et par l’absnentéisme croissant. La crise sanitaire a abouti à une forte augmentation des absences pour problèmes mentaux.
La baisse de la productivité s’explique également par la faiblesse des investissements en nouvelles technologies et des dépenses de Recherche-Développement (R&D). Les dépenses de R&D atteignent, en 2023, aux États-Unis 3,5 % du PIB, contre 2,4 % en zone euro et 2,3 % en France. Les dépenses d’investissement dans les technologies de l’information et de la communication s’élèvent à 1,2 % du PIB aux États-Unis, contre 0,8 % en zone euro et 0,6 % en France.
Si les pessimistes l’emportent sur les optimistes, les prévisions des pouvoirs publics sont inatteignables. Le gouvernement français escompte une hausse de 0,7 % des gains de productivité en 2024 et de 0,4 % en 2025) ; la BCE prévoit de son côté, pour la zone euro des gains de 0,8 % en 2024 et de 1,3 % en 2025. En cas d’absence de gains de productivité en 2024 et 2025, la croissance ne pourra pas dépasser 1,1 % en France et 2 % en zone euro. Le déficit public pourrait alors être supérieur aux prévisions de 0,5 point pour la France et de 1 point pour la zone euro par rapport aux prévisions. A contrario, l’effort d’investissement des entreprises et une amélioration du rapport au travail pourrait conduire à une progression de la productivité ce qui amènerait un surcroît de croissance pour la France et la zone euro