La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine dure depuis plusieurs années.
L’hégémonie technologique et militaire a toujours été l’enjeu principal et la guerre en Ukraine n’a fait qu’accentuer cette tendance.
Les restrictions à l’exportation sont bilatérales. Les États-Unis limitent les exportations de technologies de pointe vers la Chine et imposent aux entreprises européennes d’en faire de même. Les dernières sanctions chinoises ciblent les métaux, qui ont été identifiés comme critiques par les États-Unis et l’UE. Il existe un précédent avec l’interdiction d’exporter des terres rares vers le Japon en 2010. Nous discutons dans ce papier des conséquences de la décision de Pékin de limiter les exportations de métaux, notamment pour l’industrie des semi-conducteurs.
La guerre des minéraux
L’invasion de l’Ukraine a révélé la vulnérabilité de l’Europe aux approvisionnements en pétrole et en gaz de la Russie.
Les États-Unis et d’autres économies avancées pourraient être tout aussi vulnérables, si la Chine restreignait l’accès aux minéraux critiques (et leur traitement). Ces minerais pourraient être utilisés comme une arme, comme le gaz naturel l’a été par la Russie depuis 2021.
La Chine est un acteur majeur dans le traitement des minerais. Cela comprend le cuivre, le nickel, le cobalt et d’autres matériaux essentiels aux technologies propres avancées, telles que les batteries de véhicules électriques, les panneaux solaires et les aimants d’éoliennes. Alors que de nombreux minéraux critiques peuvent être trouvés à l’état brut en grandes quantités à travers le monde, leur extraction et leur raffinage peuvent être coûteux, techniquement difficiles, énergivores et polluants. La Chine domine l’ensemble de la chaîne de valeur, représentant plus de la moitié de la production mondiale de métaux pour batteries, notamment le lithium, le cobalt et le manganèse, et jusqu’à 100 % des terres rares. Les prévisions de demande massive de cuivre et de nickel en font des matières premières critiques, même si elles ne sont pas soumises à des restrictions.
La Chine est la première puissance exportatrice. La valeur totale des exportations s’élève à environ 42 000 milliards de dollars par an. Les exportations de terres rares d’importance critique représentent des chiffres d’affaires relativement faibles (environ 100 millions de dollars par an), même si la Chine dispose d’un pouvoir de marché considérable. Les prix des terres rares ont une marge de progression, comme en 2010, lorsque des restrictions à l’exportation avaient été mises en œuvre.
Une guerre commerciale du tac au tac
Les États-Unis ont pris des mesures pour réduire leur dépendance à l’égard de la Chine avec l’Inflation Reduction Act et le CHIPS Act. Le plan de soutien au secteur des semi- conducteurs offre des subventions de 33 milliards de dollars pour renforcer la capacité de production de puces aux États-Unis et un financement de 17 milliards de dollars pour la recherche et le développement.
La course à l’hégémonie technologique a conduit les États-Unis à limiter les ventes à la Chine de puces d’intelligence artificielle fabriquées par Nvidia et AMD. Sous la pression de l’administration Biden, les Pays-Bas ont annoncé qu’ils limiteraient la vente d’équipements de fabrication de puces haut de gamme, fabriqués par ASML, aux entreprises chinoises à partir du 1er septembre. En réponse, la Chine a interdit l’utilisation des puces de Micron dans les infrastructures nationales critiques depuis mai et contrôlera donc désormais les exportations de métaux clés.
En 2022, le United States Geological Survey1 a publié une liste de 50 minéraux essentiels à l’économie américaine. La plupart ont été choisis pour leur rôle dans la construction d’infrastructures nécessaires pour réduire les émissions de carbone responsables du changement climatique. C’est 15 de plus que dans le précédent rapport datant de 2018. Sur les 50 minéraux, deux métaux utilisés dans la fabrication de puces et les équipements de communication seront confrontés à des restrictions à l’exportation par le gouvernement chinois à partir du 1er août. Des prix plus élevés et des perturbations de la chaîne d’approvisionnement devraient s’ensuivre.
Limitation des exportations de gallium et de germanium à partir du 1er août
Les producteurs chinois auront besoin d’une licence pour exporter du gallium et du germanium à partir du mois d’août. La Chine est le leader mondial de la production des deux métaux. Selon Bloomberg, le gallium est utilisé dans les semi-conducteurs composés, offrant un fonctionnement plus rapide avec une consommation d’énergie plus faible ou une plus grande résistance à la chaleur, bien qu’il soit plus difficile à travailler pour les fabricants que le silicium. Le gallium est déjà largement utilisé dans les puces qui alimentent les stations du réseau 5G, ainsi que par les militaires dans les systèmes radar et, de plus en plus, dans les chargeurs de véhicules électriques. Le gallium est aussi utilisé dans certains composants pour les communications sans fil et les lasers. Le germanium est utilisé dans la production de câbles de fibres optiques et d’applications de vision nocturne (dont l’imagerie thermique à usage militaire).
La crise japonaise de 2010
Sur fond de conflit de territoire au sujet d’îles en mer de Chine orientale, la Chine a suspendu ses exportations de terres rares vers le Japon de fin septembre à fin novembre 2010. On peut sans doute établir des comparaisons avec la situation actuelle entre les États-Unis et la Chine concernant Taïwan. La Chine a réduit le quota d’exportation de 40 % en 2010 par rapport aux niveaux de 2009, à environ 30 000 tonnes et a augmenté les taxes à l’exportation sur les terres rares l’année suivante. À l’époque, les importations japonaises de terres rares en provenance de Chine s’élevaient à 23 310 tonnes par an, ce qui représentait environ 82 % du volume total des importations de métaux stratégiques. Les prix des terres rares avaient plus que triplé pendant les deux mois de crise, avant que les volumes d’exportation ne se normalisent.
Après l’énergie, les terres rares : la nouvelle ligne de front de l’économie mondiale
Les représailles chinoises aux mesures prises par les États-Unis, le Japon et l’Europe en matière de technologie de
pointe constituent un avertissement quelques jours à peine avant la visite à Pékin de la secrétaire au Trésor américaine, Janet Yellen. D’autres restrictions pourraient s’y ajouter.
Cependant, les pays du G7 devraient accélérer leurs efforts pour réduire leur dépendance vis-à-vis de la deuxième économie mondiale et, au fil du temps, développer leurs propres filières pour le traitement des terres rares.
Conclusion
Au cours des deux dernières années, la guerre commerciale déclenchée par le président Trump s’est transformée en une course à l’hégémonie technologique et militaire, dans le contexte de la guerre en Ukraine. Les métaux critiques, utilisés à la fois dans la transition énergétique et dans les équipements militaires, constituent une nouvelle ligne de front, alors que la Chine réagit aux restrictions d’exportations de puces et d’équipements pour la production de semi-conducteurs avancés introduites par les États-Unis, le Japon et l’Europe. Les mesures chinoises sur les exportations de terres rares et de métaux critiques pourraient entraîner des flambées de prix et de nouvelles perturbations des chaînes de production mondiales.
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Par Axel Botte, Directeur Stratégie Marché