mer. Déc 4th, 2024

En bouleversant par ses performances le monde des intelligences artificielles (IA) génératives, ChatGPT a déclenché dès son lancement en novembre 2022 un buzz d’ampleur planétaire. Cette très large médiatisation a mis en pleine lumière les enjeux majeurs liés aux capacités toujours plus grandes de l’intelligence artificielle et à son utilisation dans la plupart des domaines de la société.

Parmi les craintes les plus courantes figure le remplacement de millions d’emplois par des robots suffisamment sophistiqués pour effectuer des tâches jusqu’alors réservées aux humains. Cette appréhension est-elle partagée par les salariés français ? Utilisent-ils eux-mêmes des IA du type ChatGPT ? Pensent-ils que l’intelligence artificielle aura un impactpositif, ou, au contraire, préjudiciable sur leur travail ? Afin de mesurer leur perception,l’IFOP a interrogé à la demande de Learnthings près de 2 000 Françaises et Français, dont la moitié sont salariés.

Les résultats de cette étude montrent notamment que si un nombre minoritaire (22%) mais croissant d’entre eux utilisent l’intelligence artificielle au travail, souvent en cachette, cette dernière est loin d’être considérée comme une priorité par les entreprises au vu du très faible nombre de salariés (10%) ayant reçu une formation à ce jour. Surtout, les bénéfices supposés de l’intelligence artificielle sont de plus en plus mis en doute, tandis que ses impacts négatifs, en termes d’emplois et d’inégalités par exemple, inquiètent plus de 6 personnes sur 10.

Une IA un jour« humaine » ? Les Français y croient…

En un demi-siècle, la proportion de Français estimant que des machines pourront un jour agir comme des humains a doublé, passant de 32% en 1972 à 64% aujourd’hui. Loin des balbutiements de l’informatique, les progrès technologiques accumulés ces dernières décennies et l’avènement récent de l’intelligence artificielle rendent donc un tel scénario désormais plausible pour près des deux tiers de nos concitoyens.

… mais n’en veulent vraiment pas !

Si cette perspective est aujourd’hui concrète pour la majorité des Français, leur perception reste la même : tout comme en 1972, lorsque 91% des personnes interrogées disaient ne pas souhaiter qu’une évolution de ce type puisse se produire un jour, elles sont 87% à penser la même chose en 2024. À l’évidence, la méfiance demeure très forte dans la population quant aux conséquences que pourrait engendrer l’existence d’intelligences artificielles pensant et agissant avec des capacités identiques, voire supérieures, aux nôtres.

Le pouvoir des machines

Pour plus de 6 Français sur 10 (65%), les machines ou intelligences artificielles resteront de toute façon sous contrôle humain, empêchant ainsi qu’elles puissent un jour gouverner seules l’Humanité. Mais pour un bon tiers d’entre eux (35%), cette prise de pouvoir semble inéluctable à terme. Les plus jeunes sont à ce sujet les moins convaincus : 26% des 18-29% adhèrent à cette idée d’une domination mondiale quand 42% de leurs aînés âgés de 50 à 59 ans en sont convaincus.

Inquiétude et indifférence dominent

Cette fracture générationnelle se confirme lorsque l’on interroge les Français sur leur perception générale des intelligences artificielles de type ChatGPT, au cœur de l’actualité depuis plus d’un an et désormais accessibles au grand public. Globalement, ils oscillent entre inquiétude pour plus de la moitié (51%) et indifférence pour un peu plus d’un tiers (35%). Seuls 14% se disent enthousiastes à l’égard des IA. Toutefois, le détail des chiffres montre que plus l’on est âgé et plus l’intelligence artificielle inquiète : la proportion de personnes préoccupées passe en effet de 31% chez les 18-29 ans à 54% chez les 40-49 ans pour atteindre 59% chez les plus de 60 ans. L’appréhension est également différente en fonction du genre des personnes interrogées : l’IA inquiète plus de la moitié des femmes (55%) contre 46% des hommes.

Les métiers d’avenir en question

En 1972, alors que les Trente Glorieuses du boom économique et du plein emploi touchaient à leur fin, 37% des Français estimaient exercer un métier d’avenir. Cinquante ans plus tard, ce chiffre a été divisé par trois puisque seulement 13% des personnes interrogées ont ce sentiment. Entre-temps, le chômage de masse a fait son apparition, des pans entiers de l’industrie ont disparu, les délocalisations et la mondialisation ont totalement changé le monde du travail. S’ajoute à ce constat l’émergence de l’intelligence artificielle dont nombre de Français craignent, comme nous le verrons plus tard, qu’elle mette en péril leur emploi et, tout au moins, l’intérêt qu’ils y trouvent.

IA : un usage professionnel qui progresse

Qu’ils y soient rétifs ou qu’ils les laissent de marbre, les salariés français utilisent de plus en plus les outils d’intelligence artificielle dans le cadre de leur travail. En 5 ans, la proportion de celles et ceux en ayant fait usage dans le cadre professionnel a presque doublé, passant de 14% en 2019 à 22% aujourd’hui.  C’est notamment le cas des hommes (29% contre 16% chez les femmes), des plus jeunes (36% des 18-29 ans contre 12% des 50-59 ans) et des dirigeants d’entreprises, qui sont plus de la moitié (54%) à s’être servi d’un logiciel d’IA. Et quand 44% des cadres supérieurs sont dans ce cas, seuls 14% des employés en font, eux aussi, état.

En cachette et sans formation

utilisation ia sans informer sa hiérarchie sondage ifop intelligence artificielle

Il est particulièrement intéressant de constater que plus de la moitié des salariés (55%) ayant utilisé les services proposés par l’IA l’ont fait sans en informer leur hiérarchie. 

Par ailleurs, l’usage de l’intelligence artificielle est encore très loin d’être un sujet majeur au sein des entreprises : 10% des salariés interrogés par l’IFOP déclarent ainsi avoir reçu une formation, formation qu’ils sont la moitié (5%) à juger peu adéquate à l’exercice de leur métier. Désintérêt ? Méfiance vis-à-vis d’outils susceptibles de les remplacer un jour ? Toujours est-il que près des deux tiers des salariés (63%) indiquent ne pas avoir été formés et, surtout, ne pas vouloir l’être quand 27% y aspirent au contraire. Ce refus d’être formé à l’IA est particulièrement présent chez les femmes (71% contre 54% chez les hommes), chez les employés (73% contre 46% chez les cadres supérieurs). Il est également fort chez les plus jeunes puisque 58% des 18-29 ans sont concernés, quand bien même leurs aînés témoignent d’un rejet plus fort encore (71% parmi les 50-59 ans).

Des tensions marginales, mais à anticiper

La question de l’intelligence artificielle étant visiblement encore peu prégnante au sein des entreprises, les tensions relatives à son usage restent rares : 11% des salariés en ont déjà vécu, et seulement 5% disent que cela est arrivé à plusieurs reprises. Néanmoins, dès lors que le sujet devient réalité et que des formations sont proposées, on constate une forte augmentation des conflits, donnée que devront vraisemblablement prendre en compte les entreprises qui souhaiteront à l’avenir intégrer l’IA dans leur fonctionnement.

Une vision plus négative au fil des années

Car pour 4 salariés sur 10 (40%), l’intelligence artificielle sera, à plus ou moins long terme, capable d’effectuer à leur place l’essentiel des tâches qu’ils réalisent actuellement dans le cadre professionnel. Et pour 27% des répondants, ce transfert pourrait même s’opérer dans les dix prochaines années, 5% l’envisageant à une échéance plus lointaine d’au moins vingt ans.

C’est d’ailleurs pour la pérennité de leur emploi que les salariés français affichent le plus de crainte vis-à-vis de l’IA : quand 16% jugent que son utilisation aura un impact positif, 41% estiment au contraire qu’il leur sera préjudiciable. D’une manière plus générale, on a le sentiment que plus l’intelligence artificielle prend de l’ampleur et moins les salariés voient en elle des aspects bénéfiques. Ainsi, quand 46% d’entre eux pensaient en 2018 qu’elle améliorerait leurs performances au travail, ils sont moins de trois sur 10 (29%) à le dire aujourd’hui. Idem pour leur bien-être et leur qualité de vie, les conséquences positives passant de 41% il y a six ans à 35%.

Danger sur l’emploi

Au regard de ces différents chiffres, il n’est donc guère étonnant qu’une large majorité de salariés français (68%) anticipent les conséquences négatives qu’entrainerait le recours de l’IA par leur entreprise dans l’avenir. 56% y voient par exemple un danger pour certains emplois (et 38% pour leur propre poste), 55% pensent que des inégalités vont se creuser entre ceux qui maitrisent ces outils et ceux qui n’y sont pas formés et 42% redoutent que l’IA atténue l’intérêt de leur métier. Ces différentes craintes sont notamment partagées par ceux qui utilisent le plus l’intelligence artificielle : 77% des cadres supérieurs y souscrivent.

Étude réalisée par l’IFOP pour Learnthings du 21 décembre 2023 au 3 janvier 2024 par questionnaire autoadministré auprès d’un échantillon de 1 911 personnes (dont 952 salariés), représentatif de la population française.

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