ven. Nov 22nd, 2024

L’Intelligence Artificielle (IA) génère d’importantes craintes, notamment en matière d’emplois et soulève également de nombreux espoirs en particulier dans le domaine de la productivité. La diffusion des microprocesseurs et des ordinateurs individuels, avait, alors, donné lieu au même débat. Force avait été de constater que si le bilan en termes d’emplois a été plutôt positif, il s’est avéré décevant en ce qui concerne la productivité.

Le Prix Nobel d’Économie Robert Solow n’affirmait-t-il pas en 1987 « On voit des ordinateurs partout, sauf dans les statistiques de productivité ».
La productivité par tête tend à décliner dans la majorité des pays de l’OCDE et au sein de plusieurs pays émergents. Elle baisse même aux États-Unis, en France ou en Espagne. Entre 2019 et 2023, elle s’est contractée de 3 % aux États-Unis et de 1 % en zone euro. La baisse atteint 5 % en France. Cette diminution de la productivité est liée à un changement de comportement face au travail, à une tertiarisation des économies,et aux pénuries de main-d’œuvre dissuadant les employeurs à adapter les effectifs en fonction du niveau de production, développement de l’apprentissage en France.
La dégradation de la productivité empêche les entreprises de compenser sans passer par des augmentations tarifaires ou une diminution de leurs marges la hausse des coûts de production. L’essor de l’intelligence artificielle est censé générer de nouveaux gains de productivité. Or, dans les années 1990, Internet avait eu peu d’effets sur la productivité du travail. En zone euro, la croissance de la productivité par tête lissée sur quatre ans était passée de 2 à 1 % de 1990 à 2002. Aux États-Unis, un rebond de la productivité par tête a bien été constatée entre 1999 et 2005 mais ce dernier a été éphémère. Sa croissance est rapidement passée de 3 à moins de de 2 % entre 2002 et 2005.

L’érosion des gains de productivité durant les années 1990/200 peut s’expliquer par leur concentration sur le secteur des Nouvelles Technologies et leur faible diffusion dans les autres secteurs. Les gains de productivité ont atteint jusqu’à 20 % dans les NTIC aux États-Unis entre 2000 et 2004 et 8 % au sein de la zone euro, soit bien plus que dans le reste de l’économie. Un système de rentes s’est mis en place au profit de quelques entreprises d’où l’écart des gains de productivité de part et d’autre de l’Atlantique.

Le développement d’Internet s’accompagne de la création de nombreux emplois de contrôle (conformité, sécurité informatique) et de nombreux emplois peu qualifiés (dansles plateformes, dans la logistique, le transport de marchandises ou de personnes, etc.) dans le cadre du processus de polarisation des emplois. Les emplois dans le services domestiques ont une faible productivité tirant vers le bas celle de l’ensemble de l’économie. Si la valeur ajoutée du secteur des nouvelles technologies progresse fortement entre 1990 et 2022 (fois 10 aux États-Unis et fois 5 en zone euro), l’emploi s’est principalement accru dans les secteurs à faible valeur ajoutée (aides à la personne, tourisme, logistique).
Une des raisons des faibles gains de productivité d’Internet est liée à un problème de mesure. De nombreux services payant sont devenus virtuellement gratuits. L’achat des billets de train ou d’avion est dématérialisé quand, autrefois, il nécessitait le recours à un salarié (guichet de l’entreprise de transport, agence de voyage, etc.). Ce service a disparu du PIB tout comme l’activité liée à la production et à la commercialisation d’encyclopédies. La productivité générée par Wikipédia est difficile à apprécier au niveau de la comptabilité nationale. Il est difficile de distinguer des services de conforts des services réellement productifs.
L’IA permettra-t-elle de la réalisation d’importants gains de productivité en automatisant de nouveaux pans de l’activité économique et en permettant une accélération des processus de décisions ? Les études sont contradictoires sur le sujet. Certaines mettent en avant la capacité de destruction des emplois quand d’autres soulignent la capacité de traiter encore plus rapidement aujourd’hui des données dont le nombre augmente de manière exponentielle. Si les emplois détruits sont remplacés par de nouveaux à faible valeur ajoutée, les gains de productivité risquent de ne pas être au rendez-vous.
Comme pour la précédente révolution digitale, la question de la diffusion de l’IA et de son appropriation par les différents secteurs d’activité est capitale.

 

Par PHILIPPE CREVEL

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