Jean-Marie MERCADAL – Directeur Général Délégué en charge des gestions- OFI AM
« Grand Angle » du mois d’octobre
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ALLOCATION D’ACTIFS
LE SUJET DE LA « GUERRE COMMERCIALE »
Depuis le printemps dernier, la théorie a désormais laissé place
à la pratique. Les menaces de Donald Trump ont été mises en
application, avec des mesures concrètes décidées vis-à-vis de
pratiquement tous les grands partenaires commerciaux des
états-Unis. Il s’agit d’un sujet très important : les conséquences
sont économiques (ralentissement des échanges et donc de
la croissance, hausse potentielle des prix aux états-Unis…) et
sont également psychologiques : baisse possible de la confiance
des investisseurs et des chefs d’entreprise.
Quels sont les objectifs poursuivis par le Président améri-
cain ? Pourquoi prendre le risque de fragiliser l’économie
internationale ? Nous voyons trois hypothèses :
1 – Un objectif purement électoral qui vise les élections de
« Mid Term » de novembre. Donald Trump souhaite naturel-
lement montrer à son électorat qu’il met tout en œuvre pour
respecter ses promesses de campagne. Selon les derniers
sondages, le parti Républicain a 75 % de chances de conserver
la majorité au Sénat, mais seulement 35 % à la Chambre des
Représentants. Une forme de « cohabitation » est un cas de
figure assez courant aux états-Unis, et cela ne bloque pas
réellement le pays. Il en résulterait cependant probablement
une politique budgétaire plus contrainte, au moment où le
débat autour du plafond de la dette redevient d’actualité
alors que le seuil de 100 % de dette/PIB est dépassé et qu’un
programme d’investissements en infrastructures se prépare.
Après les élections, Donald Trump pourrait ainsi s’activer sur
d’autres sujets après avoir trouvé des accords commerciaux
plus favorables aux états-Unis avec ses partenaires. Ce serait
le cas le plus positif pour les marchés.
2 – Un objectif de rééquilibrage du commerce avec la Chine :
le but serait de forcer les autres marchés internationaux à
s’ouvrir, et la Chine serait particulièrement visée dans ce cas.
En effet, depuis l’entrée de la Chine dans l’OMC(1) en 2001, ce
pays a bénéficié de la mondialisation sans vraiment s’être
complètement ouvert en contrepartie. Jusqu’à récemment, il
était impossible de créer une société dans le pays sans action-
nariat local, les investissements sont souvent assortis de trans-
ferts de technologie… Tout cela a permis à la Chine de se créer
un tissu industriel solide. Il est effectivement peut-être temps
de remettre les choses « à plat » et d’exiger une réciprocité plus
grande. Dans ce cas de figure, le sujet de guerre commerciale
n’a pas fini de troubler les marchés, mais cela peut être
constructif à terme et une réponse chinoise est attendue.
3 – Un objectif politique plus large et à plus long terme de
suprématie mondiale, qui impliquerait ainsi un désengage-
ment des états-Unis et de la Chine. Il s’agirait en quelque sorte
de séparer deux systèmes incompatibles, mais actuellement
très imbriqués, donc un mouvement inverse à celui de la
mondialisation. Les implications économiques seraient aussi
très significatives dans ce scénario, notamment sur l’inflation.
Nous estimons que les entreprises américaines ont investi
l’équivalent de 250 Mds$ en capacité de production en Chine.
Un retour serait compliqué et créerait des tensions. Ce scénario
est plausible quand nous écoutons les déclarations actuelles.
La Chine, à travers son plan « Chine 2015 », s’était d’ailleurs déjà
engagée dans cette voie. Ce plan vise en effet explicitement
à se déconnecter de sa dépendance à certains biens occiden-
taux et à se mettre en capacité de pouvoir produire les biens
manufacturés à valeur ajoutée que la Chine importe. Par ailleurs,
le budget militaire de la Chine est en forte progression
avec pour objectif d’avoir une armée compétitive technologi-
quement, le pays souhaitant retrouver sa zone d’influence
« naturelle » en Asie (cf. les mouvements en mer de Chine),
assurer ses débouchés commerciaux et ses approvisionne-
ments (plan route de la soie). Parallèlement, surle plan financier,
le processus d’internationalisation du RMB pour en faire une
monnaie de réserve est engagé.
Difficile de donner des probabilités à ce stade, mais nous
pensons quand même qu’une issue positive sera trouvée
après les élections car les conséquences économiques risquent
d’être trop négatives pour les états-Unis et le Président Trump
est attaché à la croissance. Mais le risque pèse pour le moment
sur les marchés.
LE SUJET DE L’EUROPE
C’est un sujet très complexe qui est observé avec attention, et
souvent incompréhension, par les investisseurs internationaux.
L’agenda des prochains mois sera très chargé.
En premier lieu, les marchés attendent l’annonce du budget en
Italie qui sera présenté à la Commission européenne en octobre.
Apriori, il sera plus vertueux qu’annoncé initialement parla coalition
au pouvoir, ce qui pourrait calmer les tensions sur le marché de la
detteetpermettreuneréductionduspread(2)detauxavec l’Allemagne.
Se profilent ensuite les élections parlementaires du 23 au 26
mai 2019, dans un continenttrès divisé : financièrement entre les
pays plus vertueux du Nord (autour de l’Allemagne) et ceux du
Sud qui ne respectent pas, et de loin, les critères d’endettement
de Maastricht. De ce point de vue, il y a actuellement beaucoup
de débats et de préconisations d’économistes pour abandonner
ces critères récessifs et,très schématiquement, faire la différence
entre la dette « d’investissement » et celle qui sert à combler un
train de vie trop élevé. En d’autres termes et plus radicalement,
de plus en plus de voix s’élèvent pour expliquer que le modèle
allemand pour toute l’Europe n’est pas viable ! Ensuite, l’Europe
est très fortement divisée entre l’Ouest et l’Est sur la question
des migrants. Le risque est de voir monter un vote massif popu-
liste antieuropéen. Les conséquences seraient potentiellement
négatives sur l’ensemble des spreads des pays perçus comme
« périphériques », surtout que la politique d’achat de titres
obligataires conduite par la BCE s’achèvera à la fin de l’année.
Enfin, 2019 marquera un renouvellement de 3 des 6 membres
du Conseil de la BCE, dont son Président Mario Draghi et deux
autres membres parmi les plus influents et partisans de la poli-
tique accommodante actuelle. Il conviendra d’évaluer si l’équilibre
de la future BCE penchera en faveur de membres plus « faucons »,
partisans d’une gestion plus stricte de la politique monétaire
centrée sur la stabilité des prix et en laissant les forces du
marché décider du « pricing naturel » des risques souverains, sans
intervention. Parmi les pressentis pour succéder à Mario Draghi
figurent J. Wiedmann (faucon) et le français F. Villeroy de Gallau.
Ce dernier s’inscrirait plutôt dans la ligne actuelle de la BCE. La
décision finale devrait être connue au premier semestre 2019,
pour une prise de fonction effective en novembre.
SUR LE PLAN ÉCONOMIQUE
Pas de surprise majeure. Les événements récents sont dans la
continuité des mois précédents : l’économie mondiale marque
un tassement dans son rythme de progression, à l’exception
notable des états-Unis qui ont accéléré. Ceci étant dit, la visibilité
diminue compte tenu de l’incertitude liée à la guerre commerciale
et la croissance est beaucoup moins homogène. Selon l’OCDE,
la croissance mondiale en 2018 et en 2019 estlégèrementrévisée
à la baisse à + 3,7 % alors que le commerce mondial a ralenti,
à + 3,0 % au premier semestre 2018 contre + 5,0 % durant la
période correspondante de 2017. Par ailleurs, les commandes à
l’industrie baissent globalement, de même que les indicateurs
avancés de conjoncture, même s’ils restent en zone d’expansion.
En zone Euro, la croissance devrait revenir autour de + 2,0 %
après + 2,5 % en 2017, ce qui est finalement proche de sa
croissance potentielle. La croissance française est – quant à elle –
révisée à la baisse à + 1,6 % alors que l’Allemagne se situe à + 1,9 %.
Les états-Unis devraient atteindre + 2,9 % cette année et + 2,7 %
en 2019. Les pays émergents les plus endettés et fragiles ont
été touchés par l’appréciation du dollar et la hausse des taux
américains, notamment la Turquie et l’Argentine. La Chine
maintient un taux de croissance autour de + 6,5 % à la faveur de
mesures de stimulation gouvernementales.
Dans ce contexte, les comptes des entreprises restent satisfai-
sants et les résultats financiers supérieurs aux attentes.
Aux états-Unis, la croissance des bénéfices sera de près de
+ 20 % pour les entreprises de l’indice S&P 500, stimulés par
la réforme fiscale et la bonne tenue de l’économie. Les estima-
tions sont de + 11 % en 2019 et paraissent crédibles à ce stade. En
Europe également, les comptes publiés ont été satisfaisants
et la croissance en masse des bénéfices sera de près de + 10 %
cette année, comme l’année prochaine d’après le consensus des
analystes.
T A u x D ’ i N T é R ê T
Des zones techniques très importantes
sont testées…
Les niveaux de 0,5 % sur le Bund allemand et de 3 % sur
le T-Notes 10 ans américain sont actuellement sérieusement
challengés. En zone Euro, à la faveur d’une remontée constatée
de l’inflation et d’une détente vis-à-vis du risque italien, le rende-
ment à 10 ans des obligations gouvernementales allemandes
s’est tendu de près de 20 pb à près de 0,5 %. Il s’agit d’un point
technique très important. Un franchissement net donnerait un
objectif à court terme autour de 0,70 %. Nous nous orienterions
ainsi progressivement vers l’objectif de 0,75 %/1,00 % qui nous
semble cohérent pour les prochains mois. Pour ce qui est de la
politique monétaire, la stratégie de taux d’intérêt de la BCE paraît
assez claire. Les taux ne seront pas remontés au cours des 6/12
prochains mois. La politique d’achat d’obligations est prévue pour
s’achever à la fin de l’année. Pour donner un ordre de grandeur,
au premier semestre, la BCE a acheté 32 Mds€ de dette
allemande sur un montant émis de 75 Mds€, et 25 Mds€ de
dette française sur un montant émis de…133 Mds€ ! Ceci illustre
ainsi très concrètement la différence entre un pays en excédent
budgétaire de près de + 3 % du PIB alors que l’autre affiche un
déficit de près de – 3 %.
Aux états-Unis, c’est donc la zone de 3,0 % sur les taux 10 ans
qui est testée, point technique également très important. S’il est
nettement franchi, le premier objectif technique est 3,2 %, puis
3,5 %. Nous ne pensons pas, en l’état actuel de la situation, que
les taux longs iront bien plus haut si ces points sont atteints.
La politique monétaire conduite par Jerome Powell nous semble
lisible. Il s’emploie à relever progressivement les taux directeurs
de façon pragmatique, en accompagnement d’une croissance
solide et avec un taux de chômage proche des plus bas histo-
riques, et sans trop de tension sur l’inflation jusqu’à présent –
même si le rythme actuel de 2,5 % est supérieur à son objectif
de 2,0 %. La question du « taux neutre » à long terme se pose
et fait débat, mais le plan de route est posé : il y aura encore
deux relèvements des Fed Funds d’ici la fin de l’année, ce qui
les portera dans une fourchette 2,25 %/2,50 %. Pour l’année
prochaine, deux hausses de 25 pb nous semblent probables. Ceci
aboutirait à des Fed Funds autour de 3,00 % à la fin de ce cycle.
Historiquement depuis 20 ans, il convient de remarquer que le
niveau des taux à 10 ans avoisine celui des Fed Funds à la fin
du cycle de resserrement. Ceci corrobore notre hypothèse d’une
tension modérée des taux longs.
Concernant les obligations crédit « Investment Grade », les
spreads se sont resserrés de 10 pb au cours du mouvement
récent de tension des taux « core ». Les niveaux atteints ne nous
semblent pas encore foncièrement attractifs mais la remontée
récente du taux de rendement moyen justifie notre vue légère-
ment moins négative.
Les obligations « High Yield » sontredevenues attractives compte
tenu de la remontée de près de 100 pb des rendements observée
depuis un an, justifiant notre conseil d’investissement pour
profiter d’un portage intéressant. Un écartement supplémentaire
de 30 à 50 pb, s’il se produit ponctuellement, constituerait à notre
avis un point de renforcement très attractif.
Les obligations émergentes sont actuellementtrès controversées,
mais nous notons que de plus en plus de stratèges les recom-
mandent aux cours actuels alors que les flux sont encore négatifs.
Elles ontfortement corrigé, et quelquefois de façon très importante
sur certaines devises. Nous considérons qu’aux cours actuels, on
est « payé pour le risque » ! Le rendement est élevé à près de
8,5 % sur un panier équilibré de dettes gouvernementales de près
de 5 ans de maturité.
Les obligations convertibles nous semblent encore intéressantes
pour leur convexité plus que pour les rendements offerts. Par
ailleurs, la volatilité implicite, autour de 28 en Europe, se situe
plutôt dans des bas de fourchette depuis quelques années, et
s’explique parles flux qui sont sortis cette année de la classe d’actifs.