ven. Sep 5th, 2025

Par Christophe Connille, rédacteur en Chef MetaObs Media et rédacteur en chef adjoint IA et Metavers de Croissance Investissement,

La REF 2025 a montré que l’IA générative n’est plus une curiosité, mais un levier de transformation. Les cas d’usage concrets se multiplient, mais les résistances restent fortes, et les paradoxes nombreux. Pour sortir de cette phase d’expérimentation et entrer dans une “saison 2” de l’IA, une IA agentique, les entreprises devront repenser en profondeur leurs processus et leur gouvernance.

Promesses et paradoxes de l’IA générative

La REF 2025 a offert une série de cas d’usages bien identifiés : traduction automatique, optimisation logistique, aide à la décision par l’analyse prédictive. L’IA n’est plus cantonnée à des applications individuelles. Cependant, pour gagner le cœur des équipes, comme le souligne un dirigeant de SMCP : « si le salarié perçoit l’IA comme un gadget, l’adoption échoue ».

Une étude OpinionWay, discutée lors de l’événement, confirme ce constat : la valeur de l’IA dépendra moins de la technologie que de son appropriation par les salariés. Or, plusieurs freins sont identifiés :

  • Manque de formateurs sur le terrain, qui constitue un goulet d’étranglement.
  • Honte d’usage, certains n’osant pas avouer qu’ils utilisent l’IA par peur de dévaloriser leur expertise.
  • Résistances écologiques, liées à la consommation énergétique des modèles.
  • Et surtout, un manque de temps laissé aux collaborateurs pour explorer et approfondir leurs process en temps normal, situation aggravée par la pression des transformations successives.

Les PME apparaissent plus agiles que les grands groupes. Leur taille réduit les inerties et leur permet d’expérimenter plus vite. À l’inverse, les grandes organisations se heurtent à leurs lourdeurs internes. L’échéance de la facturation électronique obligatoire pour les PME pourrait accentuer cet écart : en générant des volumes massifs de données, elle ouvrira un terrain favorable à l’adoption de l’IA en comptabilité, gestion de trésorerie ou stratégie.

Mais derrière ces promesses se cachent des paradoxes puissants :

  • L’inconstance des modèles, pointée par Jean-Paul Muller (CTO IA, OnePoint). Les LLM n’ont pas de notion de vérité, fonctionnent de manière probabiliste et produisent des résultats différents pour une même requête. De plus, leurs conditions générales d’utilisation changent au gré des rachats ou des législations locales, fragilisant la confiance des entreprises.
  • Le paradoxe du consentement : face à l’IA, on se satisfait souvent d’un résultat approximatif faute de mieux, ou on s’épuise quand on a une attente trop précise. Dans les deux cas, la valeur ajoutée individuelle se dilue derrière la machine.
  • Le paradoxe de la gratuité : ce qui était complexe devient simple, ce qui était simple devient automatique, et ce qui était moyen devient gratuit. Or, si la valeur moyenne est absorbée par des outils gratuits, quelle place reste-t-il au travail de beaucoup d’humains qui se maintiennent culturellement loin de la recherche de l’excellence ?

Ces paradoxes dessinent une première limite : l’IA ne transforme pas seulement les processus, elle remet en question la valeur même du travail.

Risques pour le travail et l’expertise

Contrairement à une idée répandue, le travail ne disparaîtra pas. Comme l’a montré l’invention du métier à tisser automatique, les métiers se transforment plus qu’ils ne s’éteignent. Mais l’IA générative introduit des risques nouveaux.

Dépendance et sentiment d’imposture

Une génération de salariés pourrait ne jamais apprendre à travailler sans IA. Les savoir-faire humains risquent de disparaître avec ceux qui les détiennent, remplacés par des outils capables de produire des résultats “moyens”. Cela nourrit un sentiment d’imposture : tout le monde peut générer, mais peu comprennent ou maîtrisent réellement le processus.

Isolement et “human-machine teaming”

Le collectif de travail lui-même se fragilise. Déjà médiatisé par le télétravail, le cloud et les outils collaboratifs, il pourrait entrer dans une nouvelle phase : l’intégration directe d’agents IA dans les équipes. C’est le phénomène de human-machine teaming : des agents deviennent des “collègues” à part entière.

Or, face au choix entre collaborer avec une IA efficace ou avec un collègue imposé, la tentation sera grande de privilégier la machine. Les relations de travail risquent ainsi de s’appauvrir, accentuant l’isolement des individus au sein des organisations.

La génération des experts de demain

Un autre enjeu, plus profond, est celui de l’expertise. Normalement, on devient expert en pratiquant, en apprenant de ses erreurs, ou en s’appropriant l’expérience d’autrui. Mais si les tâches sont directement confiées à l’IA, ce cycle d’apprentissage s’interrompt.

Le paradoxe est frappant : déléguer à une personne moins efficace peut sembler une perte de temps, mais c’est cette accumulation d’expériences qui forme les experts. Sans ce processus, on risque de connaître des “décennies sans experts”.

La question devient alors existentielle : peut-on devenir expert sans jamais faire les choses soi-même ? La réponse est claire : non.

Gouvernance et saison 2 de l’IA

La REF 2025 a aussi montré que la véritable révolution à venir n’est pas seulement technologique, mais organisationnelle.

Saison 1 vs Saison 2

La saison 1 de l’IA a consisté à utiliser la technologie pour son information produite immédiate : traductions, résumés, textes automatisés.
La saison 2, celle des agents IA, ne pourra réussir que si les entreprises prennent l’initiative d’une transformation profonde, car il faut penser l’autonomie confiée à ces agents. L’IA ne délivre pas ex nihilo. Elle exige de réexaminer les processus internes et de repenser l’ergonomie du travail.

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Exemple de l’ergonomie numérique et de l’AI-to-AI

L’histoire récente du numérique illustre ce point : au lieu d’inventer de nouveaux usages, on a longtemps calqué les carnets papier sur des écrans puis à leur tour sur des tablettes, avec des ergonomies mal pensées. Ce n’est qu’en repensant entièrement l’expérience utilisateur que de vraies innovations ont émergé.

Dans la commande publique, une logique similaire se dessine : bientôt, des agents IA échangeront directement pour répondre à des appels d’offres (AI-to-AI). Mais ce scénario est absurde sans une refonte de l’acte d’évaluation. Automatiser les échanges n’a de sens que si l’on redéfinit ce que l’on mesure et comment.

Gouvernance et futur désirable

Pour éviter ces dérives, une gouvernance solide est indispensable. Trois intentions doivent guider les entreprises :

  • Border les usages : définir des règles claires, une doctrine et un cadre de convenabilité.
  • Équilibrer l’intérêt individuel et collectif : ne pas sacrifier la transmission et la construction d’expertise à l’efficacité immédiate.
  • Gérer l’incertitude : projeter les impacts, anticiper les préjudices, définir les assurances nécessaires.

Un futur désirable suppose de maintenir la transparence des usages, de préserver les promesses du travail – dignité matérielle, capacité à bien vivre de son métier – et de donner à chacun les moyens de se réaliser. Cela passera par de nouveaux dispositifs : plans de reskilling, adaptation du recrutement, et peut-être la création de bureaux IA chargés d’encadrer et d’accompagner les usages.

Le rôle du manager évoluera lui aussi : il devra devenir le garant de la doctrine, capable de ramener les usages dans un périmètre équilibré, entre innovation et responsabilité.

La REF 2025 a mis en évidence le double visage de l’IA générative. D’un côté, des promesses d’efficacité spectaculaires et des cas d’usage concrets ; de l’autre, des freins humains, des paradoxes techniques et le risque d’un isolement accru au travail.

La clé de l’avenir ne résidera pas dans la seule puissance des modèles, mais dans la capacité des entreprises à repenser leurs organisations, préserver la transmission des savoirs et construire une gouvernance solide.

Sans cela, l’IA restera une opportunité inconstante. Avec une “saison 2” assumée – celle des agents IA, de la refonte des processus et d’une gouvernance responsable – elle pourra devenir l’outil d’une nouvelle génération d’entreprises, plus agiles, plus transparentes et plus respectueuses du travail humain.

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