Quelles conséquences pour les épargnants et pour les emprunteurs ?
Analyse de Philippe Crevel, Directeur du Cercle de l’Épargne
Du 27 juillet 2022 au 20 septembre 2023, à dix reprises, la Banque Centrale Européenne a relevé ses taux directeurs, les portant de -0,5/0,75 à 4/4,75 %. Cette hausse a été réalisée afin d’endiguer la vague inflationniste générée par la crise sanitaire et par la guerre en Ukraine. Le taux d’inflation en rythme annuel était passé, en zone euro, de 0,9 %, au mois de janvier 2021, à 10,6 % au mois d’octobre 2022. Au mois de mai, le taux d’inflation était revenu à 2,6 % et l’inflation sous-jacente à 2,9 %. Malgré un léger regain d’inflation au mois de mai, ce dernier ne devrait pas conduire à un report de la décision de la baisse des taux directeurs. La Banque Centrale Européenne devrait, en revanche, procéder à une baisse modérée ses taux (-0,25 à -0,5 point).
Quelles conséquences ?
La baisse des taux directeurs a été largement anticipée par les investisseurs et par les établissements financiers.
Pour les emprunteurs
Les taux des crédits immobiliers sont orientés, depuis plusieurs mois, à la baisse. Les taux des nouveaux crédits à l’habitat pour les ménages sont passés de 4,2 à 3,9 % du mois de janvier à mars (source Banque de France). Le taux moyen du marché des crédits à 10 ans est passé, du 31 décembre 2023 au 31 mai 2024, de 3,9 à 3,65 % (source Empruntis).
Dans les prochains mois, en fonction des annonces du Comité de politique monétaire de la BCE, ce mouvement de baisse devrait se poursuivre. Avec des taux directeurs pouvant revenir dans la fourchette 3,25/4 %, les taux de crédits pourraient revenir autour de 3,2 % (3 % pour les crédits à 10 ans).
Cette baisse des taux de crédits devrait favoriser une reprise du marché immobilier au cours du second semestre, avec une augmentation du nombre de transactions et une stabilisation des prix.
Pour les entreprises, cette baisse des taux est également une bonne nouvelle. Elle pourrait les inciter à accroître leur effort d’investissement.
Pour les épargnants
La baisse des taux d’intérêt n’aura pas de conséquence sur la rémunération du Livret A et du Livret de Développement et Solidaire, bloquée à 3 % jusqu’au 1er février 2025.
Le taux du Livret d’Épargne Populaire (LEP) est, en revanche, amené à baisser, non pas en raison des taux d’intérêt mais de l’inflation. Le taux du LEP est le taux plus élevé entre celui de l’inflation des six derniers mois et celui du Livret A majoré de 0,5 point. Compte tenu de la baisse de l’inflation, c’est ce second taux qui pourrait s’appliquer, sachant que le gouvernement peut en retenir un autre. L’application de la formule pourrait conduire à passer le taux du LEP de 5 à 3,5 %. Le gouvernement pourrait choisir un taux intermédiaire, de 3,75 ou 4 %. Il convient de souligner que le LEP a renoué avec une collecte nette négative en avril (-270 millions d’euros).
Pour les produits d’épargne réagissant directement aux fluctuations des taux des marchés monétaires, comme les contrats à terme ou les SICAV monétaires, leur rémunération s’est stabilisée au cours du premier trimestre 2024. Elle est en baisse légère depuis. Avec la diminution des taux directeurs, le taux des contrats à terme de moins de deux ans devrait passer de 3,8 % à 3 %, entre mars et décembre 2024. La collecte des dépôts à terme est en baisse depuis le début de l’année, après avoir battu des records en 2023. La rémunération des livrets bancaires ordinaires, qui est restée faible depuis deux ans, autour de 0,9 %, ne devrait pas évoluer fortement.
L’assurance vie devrait être le placement gagnant de la baisse des taux directeurs. Les fonds euros de l’assurance vie dépendent davantage des taux longs, ceux pratiqués notamment pour les obligations d’État, que des taux des marchés monétaires. Dans les années 2010, les taux longs avaient baissé, en raison des politiques de rachats d’obligations menées par les banques centrales. Celles-ci n’ayant pas l’intention de procéder à de tels rachats, la hiérarchie des taux devrait être mieux respectée. En outre, les besoins de financement, en particulier ceux des États, étant importants, les taux longs devraient rester soutenus. Avec la baisse de l’inflation, les ménages devraient réorienter une partie de leur épargne de précaution vers des placements de long terme.
Depuis 2020, ils ont privilégié les placements liquides, par crainte de l’avenir. La hausse du taux du Livret A, à partir de 2022, a accentué cette préférence. Depuis le début de l’année 2024, une inflexion est constatée. La collecte de l’assurance vie est en forte hausse. Sur les quatre premiers mois de l’année, la collecte nette dépasse 12,6 milliards d’euros contre 8,3 milliards d’euros pour la même période de 2023.
Dans le même temps, celle du Livet A se normalise (7,5 milliards d’euros de janvier à avril 2024 contre 22 milliards d’euros sur la même période en 2023). Les fonds euros qui étaient en décollecte nette depuis novembre 2021 ont affiché, en mars et avril, une collecte nette positive. Les assureurs, voulant profiter de l’embellie obligataire, proposent des taux bonifiés pour attirer les épargnants. Dans ce contexte, le rendement des fonds euros devrait se situer autour de 3 % en 2024.
Pour les actions, les investisseurs ont largement anticipé la baisse des taux directeurs, ce qui a conduit les indices à battre des records en avril et en mai, aidés, par ailleurs, par la bonne tenue des résultats des entreprises. Le mouvement d’appréciation pourrait se poursuivre dans le cours de l’année, mais à un rythme moins soutenu.
La baisse des taux directeurs constitue une bonne nouvelle pour les emprunteurs et également pour les épargnants qui optent pour les placements longs.