Donald Trump a décidé d’imposer de forts droits de douane sur les produits mexicains et canadiens (25 %), et dans une moindre mesure sur les produits chinois (10%). Cette politique est néfaste aussi bien pour les États-Unis que pour ses partenaires commerciaux que Donald Trump prétend sanctionner en raison de leur excédent commercial avec les États-Unis et pour leur manque apparent de vigueur dans la lutte contre le trafic de drogue.
Ces droits de douane sont d’autant plus incompréhensibles en ce qui concerne le Mexique et le Canada, car Donald Trump renie ainsi un engagement qu’il avait lui-même pris lors de son premier mandat et pénalise les chaînes de valeur nord-américaines.
Précision du périmètre : une analyse centrée sur le Canada, le Mexique et la Chine
La présente note considère que les États-Unis imposeront des droits de douane de 25 % sur toutes les importations de marchandises du Canada et du Mexique et de 10 % sur toutes les importations chinoises. Le périmètre exact des droits de douane semble cependant flou et changeant. Par exemple, le pétrole canadien pourrait n’être taxé qu’à hauteur de 10 %. Des droits de douane pourraient également être annoncés sur les marchandises européennes3. Le caractère imprévisible de Donald Trump implique que la situation peut évoluer rapidement.
Choix des pays : Donald Trump vise les principaux fournisseurs des États-Unis
Donald Trump a délibérément ciblé les pays auprès desquels les États-Unis importent le plus. À eux trois, le Mexique, la Chine et le Canada représentent 43 % des importations américaines de marchandises4. Donald Trump n’a donc pas choisi au hasard les pays envers lesquels il impose des droits de douane, il a choisi de cibler directement ses principaux fournisseurs.
Droits de douane : Pourquoi ils sont néfastes à toutes les parties
La théorie économique est d’ordinaire sceptique envers les droits de douane, car ils se révèlent d’ordinaire aussi pénalisants pour le pays qui les met en place que pour le pays qui est ciblé. Notre propos concerne ici les droits de douane généralisés, des droits de douane ciblés dans des cas spécifiques peuvent éventuellement faire exception à la règle (les droits de douane récemment adoptés par l’Union européenne sur les voitures électriques chinoises peuvent éventuellement faire partie des exceptions). Nous discutons également ici les droits de douane mis en place dans le but de soutenir les entreprises locales ou, ce qui est lié, d’améliorer le solde commercial d’un pays, nous ne nous prononçons pas sur l’utilité des droits de douane comme levier d’action parfois mis en avant par Donald Trump pour lutter contre le trafic de drogue. Les droits de douane ne permettent pas de stimuler l’industrie ni d’améliorer le solde commercial d’un pays car ils pénalisent les exportations du pays qui les met en place autant qu’ils brident les importations des autres pays. Cette relation peut s’expliquer de multiples façons, nous présentons les principales sans prétendre à l’exhaustivité.
– Le théorème de symétrie de Lerner stipule qu’un droit de douane est équivalent à une taxe sur les exportations. Le modèle de Lerner repose certes sur des hypothèses simplistes (notamment un monde limité à deux biens et à deux pays)5 mais ses conclusions sont riches d’enseignement. Si les États-Unis et le Canada échangent par exemple des voitures et des motos et que les États-Unis instaurent un droit de douane sur les importations canadiennes de voitures, celles-ci diminueront. Les États-Unis produiront plus de voitures mais, ce faisant, ils déplaceront de la main-d’œuvre des usines de motos vers des usines de voitures. Donc, ils produiront et exporteront vers le Canada moins de motos (le modèle implique le plein emploi, ce qui est le cas des États-Unis actuellement). Le résultat aurait été identique si les États Unis avaient imposé une taxe sur leurs exportations de motos : moins de ventes de motos américaines au Canada, donc un déplacement de la main-d’œuvre américaine des usines de motos vers les usines de voiture.
– Le solde commercial d’un pays dépend, fondamentalement, de l’écart entre la production et la consommation d’un pays.
Les États-Unis présentent un fort déficit commercial car ils consomment beaucoup, pour des montants supérieurs à leur production domestique (ce qui n’est pas un problème en tant que tel). Si les habitants d’un pays veulent manger 11 pommes et qu’ils n’en produisent que 10, il y a forcément 1 pomme de déficit commercial. Les droits de douane ne changent rien à cette situation. Car, par exemple, des droits de douane sur les pommes importées pourraient favoriser la production locale de pommes. Mais, ce faisant, des facteurs de production supplémentaires (notamment des travailleurs) devraient s’orienter vers les vergers de pommes au détriment, par exemple, des vergers d poires. Les États-Unis réduiraient certes leur déficit commercial sur les pommes mais l’augmenteraient d’autant sur les poires (si les États-Unis n’étaient pas au plein emploi, l’argument serait moins valable car des chômeurs pourraient venir travailler dans les vergers).
– Les autres pays peuvent prendre des mesures de rétorsion. Nous n’abordons pas ici la question complexe de savoir si des mesures de rétorsion face à une hausse des droits de douane sont la meilleure réponse possible. Le fait est que, pour des raisons souvent politiques, les pays qui subissent des droits de douane tendent à riposter par des mesures analogues. Il en résulte une situation dans laquelle les deux parties sont perdantes, chacun voyant ses exportations baisser vers son partenaire commercial.
– La variation du taux de change annule le gain de compétitivité attendu des droits de douane. Les droits de douane américains tirent le dollar à la hausse pour deux raisons principales : la baisse des importations (à court terme) diminue la demande de devises étrangères de la part des États-Unis, donc pousse les autres monnaies à la baisse par rapport au dollar7. De plus, la hausse des droits de douane entraîne une hausse des prix à la consommation (achats de produits importés plus chers ou de produits fabriqués dans le pays à un prix plus élevé que les importations) qui conduit la Fed à augmenter ses taux, donc à rendre les placements en dollar plus attractifs. Cette appréciation du dollar rend l’économie américaine moins compétitive, annulant l’effet positif attendu des droits de douane sur le solde commercial. D’ailleurs, depuis l’élection de Donald Trump, du fait de la menace des droits de douane, le dollar américain s’est apprécié par rapport au dollar canadien, au peso mexicain et au yuan. Avec la mise en place effective des droits de douane, cette tendance va probablement s’accentuer.
Droits de douane sur les produits mexicains et canadiens : doublement absurdes
Les droits de douane sur les produits mexicains et canadiens sont encore plus pénalisants, du point de vue des États-Unis, que ceux sur la Chine. D’une part, Donald Trump renie un engagement qu’il avait pris par le passé, mettant à mal sa crédibilité. D’autre part, l’industrie américaine est fortement intégrée avec celle de ses voisins.
– Donald Trump s’était engagé par le passé à ne pas imposer unilatéralement de droits de douane sur le Mexique et le Canada. L’accord de libre-échange nord-américain (ALENA) signé en 1994 avait été renégocié par Donald Trump lui-même lors de son premier mandat et baptisé l’Accord Canada– États-Unis–Mexique8. Dans les grandes lignes, ce nouvel accord n’était pas sensiblement différent de l’ALENA et visait justement à préserver la fluidité du commerce entre les trois pays. En imposant unilatéralement des droits de douane de 25 % sur ses deux voisins, Donald Trump renie sa parole passée et sape la crédibilité des États-Unis. Les autres pays ne le croiront plus lorsqu’il promettra de négocier des « deals » et les entreprises risquent de ne pas croire ses promesses lorsqu’il tente de les convaincre d’investir aux États-Unis.
– Le commerce est très fortement intégré à l’échelle régionale. Les pays continuent de commercer majoritairement avec leurs voisins immédiats pour des raisons évidentes de coût et de commodité. Ainsi, une voiture assemblée aux États-Unis, au Mexique ou au Canada incorpore une multitude de composants provenant des pays voisins. Les chaînes de valeur s’étaient organisées au sein de zones de libre-échange (ou que l’on croyait telles) comme le marché unique européen ou, justement, l’accord nord-américain. En conséquence, une perturbation des flux frontaliers avec le Mexique et le Canada aura un impact direct sur les coûts de production de l’industrie américaine.