Escalader le mur d’inquiétudes
La semaine dernière a été relativement calme pour clôturer le mois de juin et le premier semestre 2023. Toutefois, les obligations d’État ont fait exception ; elles ont sous-performé les autres classes d’actifs car les rendements ont continué à augmenter. Le catalyseur a été l’habituelle combinaison toxique d’une rhétorique hawkish des banques centrales et de données économiques robustes.
Aux États-Unis, le président de la Réserve fédérale, Jerome Powell, a déclaré que “si vous regardez les données du dernier trimestre, vous voyez une croissance plus forte que prévu, des marchés du travail davantage sous pression que prévu et une inflation plus élevée que prévu¹ “. Les données économiques de la semaine dernière ont confirmé son point de vue ; la confiance des consommateurs a atteint un pic sur les 17 derniers mois, s’établissant à 109,7 par rapport aux 104 attendus. La croissance du premier trimestre, initialement estimée à 1,1 %, a été révisée à la hausse, passant de 1,4 % à 2 %, en raison de la vigueur des dépenses de consommation et des exportations nettes. Les demandes hebdomadaires d’allocations chômage sont repassées sous la barre des 240 000.
Le point clé en Europe était l’indice d’inflation de base de la zone euro, en particulier après que Christine Lagarde, présidente de la BCE (Banque centrale européenne), ait déclaré “nous ne voyons pas suffisamment de preuves que l’inflation de base diminue² “. L’indice a confirmé les inquiétudes de la présidente de la BCE, montrant une réaccélération en juin à 5,4 % en raison de la hausse du coût des services. Dans le même temps, le taux de chômage dans la région est resté à un niveau historiquement bas de 6,5 %.
Le premier semestre de l’année peut être décrit comme une lente escalade du “mur d’inquiétudes”. Les banques centrales ont continué à relever leurs taux directeurs, déterminées à ramener l’inflation en ligne avec les objectifs à long terme. Les investisseurs obligataires craignaient que cet objectif ne soit atteint qu’au prix d’une récession, ce qui s’est répercuté sur les courbes des emprunts d’État. Les obligations à 2 ans ont affiché des performances nettement inférieures à celles des obligations à 10 ans et au-delà sur la partie longue de la courbe des taux. En fait, les rendements des obligations d’État américaines et allemandes à 10 ans sont plus bas qu’au début de l’année, à -3 points de base (pb) et -12 pb respectivement, tandis que les rendements à 2 ans sont plus élevés de +45 pb et +50 pb. Cette inversion des courbes de taux est considérée par de nombreux investisseurs comme un indicateur fiable d’une récession (voir le graphique de la semaine.
Les actifs risqués ont escaladé le mur, et les solides bénéfices et données d’activité, ainsi que l’épargne accumulée, ont contribué à faire progresser l’économie. L’incertitude à court terme s’est estompée, comme le montre notre mesure privilégiée de la volatilité, l’indice VIX, qui s’est normalisé pour revenir à ses niveaux d’avant le conflit ukrainien. Les spreads de crédit des entreprises se sont resserrés, les États-Unis surperformant sur le high yield et les marchés émergents surperformant sur l’investment grade. Les performances des actions sont élevés dans la plupart des régions du monde, le secteur de la technologie étant en tête grâce à la perspective de l’intelligence artificielle. Contrairement au consensus, le dollar américain clôture le premier semestre 2023 inchangé si l’on prend l’indice DXY comme référence. Le lien commun entre les devises sous-performantes est la poursuite d’une politique peu orthodoxe, comme en Turquie et en Argentine (dans les pays émergents) et au Japon (dans les pays du G10). Dans le même temps, les devises d’Amérique latine ont surperformé, récompensées pour avoir adopté une approche fondée sur les marchés pour lutter contre les déséquilibres inflationnistes et économiques. Enfin, dans le secteur des matières premières, la baisse des prix de l’énergie a été une bonne nouvelle.
Point statistique
Aux Etats-Unis : des signes d’un revirement positif sur le marché immobilier compliquent la tâche de la Fed
Dans la Zone euro : la déprime industrielle s’aggravant, la pression sur les prix des biens devrait refluer
En Chine : la pression inflationniste reste faible, la reprise ralentit encore
Prévisions comparées
Croissance du PIB 2023 |
Croissance du PIB 2024 |
Inflation 2023 |
Inflation 2024 |
|||||
Swiss Life AM |
Consensus |
Swiss Life AM |
Consensus |
Swiss Life AM |
Consensus |
Swiss Life AM |
Consensus |
|
Etats-Unis |
0,9% |
1,3% 🡩 |
0,6% |
0,5% 🡫 |
4,1% 🡫 |
4,1% 🡫 |
2,5% |
2,6% |
Zone euro |
0,4% 🡫 |
0,6% 🡫 |
0,8% |
0,9% |
5,5% |
5,4% 🡫 |
2,4% |
2,4% |
Allemagne |
-0,2% |
-0,2% 🡫 |
0,6% |
1,1% |
6,0% |
6,0% 🡫 |
2,3% |
2,5% 🡫 |
France |
0,6% |
0,6% |
0,9% |
0,9% |
4,8% |
5,3% 🡫 |
2,1% |
2,7% 🡩 |
Italie |
1,1% |
1,0% 🡩 |
0,6% |
0,8% 🡫 |
6,1% |
6,1% |
2,1% |
2,5% 🡩 |
Espagne |
1,8% |
1,8% 🡩 |
1,2% |
1,5% 🡫 |
3,9% |
3,7% 🡫 |
2,5% |
2,9% 🡩 |
Royaume-Uni |
0,0% |
0,1% 🡩 |
0,4% |
0,8% |
7,4% |
7,3% 🡩 |
2,8% |
3,2% 🡩 |
Suisse |
0,7% |
0,7% |
1,5% |
1,4% |
2,1% |
2,4% 🡫 |
1,6% |
1,4% 🡫 |
Japon |
1,2% 🡩 |
1,1% 🡩 |
0,7% |
1,0% 🡫 |
2,7% |
2,8% 🡩 |
1,2% 🡩 |
1,5% 🡩 |
Chine |
5,8% |
5,7% 🡫 |
5,2% |
4,9% |
1,2% 🡫 |
1,3% 🡫 |
2,0% 🡫 |
2,3% 🡫 |
Les modifications par rapport au mois précédent sont indiquées par des flèches. Source : Consensus Economics Inc., Londres, 12 juin 2023
Le choc d’approvisionnement est maîtrisé dans les secteurs des biens et du transport. Sur les marchés des matières premières, de nouveaux équilibres de prix sont apparus après l’incertitude de 2022. La pression des prix côté fabricants a ainsi reflué. Actuellement, la Chine exporte à nouveau de la désinflation. En Suisse, l’évolution des prix à la production précède d’environ quatre mois celle des prix à la consommation. Les ménages peuvent donc s’attendre à un nouveau repli de l’inflation. Toutefois, son ampleur reste tributaire du pouvoir de fixation des prix des entreprises et de l’évolution des tarifs dans le tertiaire.
Sources : Bloomberg, Macrobond, Swiss Life Asset Managers
Etats-Unis Zone euro Des signaux brouillés Déprime industrielle
Croissance du PIB
Swiss Life Asset Managers 2023 : 0,9%
2024 : 0,6%
Consensus 2023 : 1,3% 2024 : 0,5%
Les données économiques américaines présentent un tableau contrasté. D’une part, la production indus trielle s’essouffle et confirme ainsi la dynamique mon diale négative des enquêtes du secteur. Le PMI S&P américain enregistre à nouveau des valeurs proches des plus bas de décembre 2022 pour les composants pro duction et nouvelles commandes. D’autre part, en quêtes comme chiffres d’activité font état d’un secteur tertiaire en forme, et le rebond du marché immobilier se poursuit après un creux. Selon l’enquête NAHB, le moral des courtiers s’améliore, les mises en chantier sont reparties de plus belle en mai et après sept mois de baisse, les prix remontent. S’il s’avère que les acteurs de l’immobilier ont digéré le choc des taux de 2022 et restent confiants, cela serait, ironie du sort, un signal problématique pour l’économie américaine.
En effet, il pourrait conduire la Fed à relever encore ses taux, frei nant davantage les investissements des entreprises et le marché des immeubles commerciaux qui, contraire ment au résidentiel, fait face à un taux de vacance élevé. Nous maintenons notre prévision d’une faible réces sion aux Etats-Unis, mais en raison des données con tradictoires, il reste difficile de prévoir quand elle se produira. Notre hypothèse actuelle est celle d’un ralen tissement dès le 2e semestre 2023.
En mai, la production industrielle en zone euro a livré une bonne surprise, mais qui s’explique uniquement par une hausse volatile de 21% en Irlande. En France et en Allemagne, la production industrielle progresse certes légèrement, mais reste nettement en deçà du ni
veau pré-covid, et évolue latéralement depuis janvier. Le secteur s’est mieux remis de la pandémie en Italie et en Espagne, il enregistre toutefois une forte baisse, sur prenante, en avril. Malgré la détente des prix de l’éner gie, les branches gourmandes en énergie de l’UEM comme la chimie ou la métallurgie n’ont pas énormé ment augmenté leur production cette année. De plus, la production automobile est atone depuis le début de l’année, bien que les plans de production restent très positifs en Allemagne. Une réalité se dessine dans ce secteur : après sa réouverture, la Chine ne va pas don ner de stimuli de croissance, mais va plutôt être une sérieuse concurrente qui va aggraver les problèmes structurels du secteur secondaire européen. En avril, les exportations de voitures chinoises ont atteint de nouveaux sommets. Le PMI de juin confirme la dé prime industrielle en zone euro par un nouveau repli de la production et des commandes et – une première depuis la pandémie – un recul de l’emploi industriel.
Inflation Américaine
Swiss Life Asset Managers 2023 : 4,1%
2024 : 2,5%
Consensus 2023 : 4,1% 2024 : 2,6%
L’inflation globale américaine recule conformément à nos prévisions et s’établit en mai à 4,0%. Les prix de l’énergie et des services (hors logement) y ont contribué un peu plus que prévu, alors que l’inflation liée au lo
gement et celle des biens de consommation ont été étonnamment tenaces. L’inflation sous-jacente est éga lement en baisse, mais reste à un niveau (5,3%) qui n’exclut pas de nouvelles hausses de taux.
Après la quasi-disparition de la pénurie d’offres, la de mande industrielle faiblissante devrait être le principal moteur des prix des biens. En zone euro, les prix à la production baissent depuis quatre mois ; leur inflation annuelle en avril a surpris en glissant sous 2% (à 1,0%) pour la première fois depuis février 2021. Les direc teurs d’achat de l’industrie font eux aussi état de baisse des prix d’achat et de vente, depuis respectivement quatre et deux mois. La pression des prix reste en re vanche élevée dans le tertiaire.
Allemagne, France: Pénurie de main-d’oeuvre
Croissance du PIB de l’Allemagne
Swiss Life Asset Managers 2023 : -0,2%
2024 : 0,6%
Consensus 2023 : -0,2% 2024 : 1,1%
Croissance du PIB de la France
Swiss Life Asset Managers 2023 : 0,6%
2024 : 0,9%
Consensus 2023 : 0,6% 2024 : 0,9%
Tant les données d’enquête que d’activité en Allemagne sont décevantes pour le mois dernier. En avril, les ventes au détail et la production industrielle ont moins augmenté que prévu, le PMI du secondaire a plongé en juin un peu plus sous les 50 points, et celui du tertiaire, bien qu’à un niveau toujours élevé, n’est pas là où nous l’attendions. Les affaires en cours sont ainsi en repli pour la première fois depuis janvier. Néanmoins, l’em ploi continue de progresser. La pénurie de main
d’oeuvre est le facteur limitant la production, tant dans le secteur industriel que dans celui des services, invo quée par de plus en plus d’entreprises par rapport à la période avant la pandémie. Cette pénurie va préoccu per l’économie allemande pendant un long moment. D’ici 2035, la population active pourrait baisser de 8% et l’agence fédérale de l’emploi estime qu’il va manquer quelque 400 000 emplois qualifiés par an. A 70%, la participation au marché du travail en Allemagne est re lativement élevée, et le potentiel de hausse est donc li mité. Il ne reste donc que l’immigration comme solu tion, qui était sur une tendance baissière depuis 2015 avant la forte hausse due à la guerre en Ukraine. Face à cette réalité, l’exécutif vient de faire voter une nouvelle loi censée faciliter l’arrivée de travailleurs étrangers.
A la veille du départ du prestigieux Tour de France, la conjoncture française ne semble pas suivre le même rythme. Les stimuli venus de Chine espérés en début d’année n’ont pas été à la hauteur. Par ailleurs, le res
serrement continu de la politique monétaire de la BCE pèse de manière sensible sur le commerce. La compo sante «commandes reçues» du PMI industriel a atteint en juin sa valeur la plus faible de 2023, de mauvais au gure pour le second semestre. En matière de prévision conjoncturelle, il est quasiment impossible de détermi ner l’instant exact d’un revirement conjoncturel, même en analysant correctement les évolutions fondamen tales. Les données disponibles, dont certaines à haute fréquence, permettent de dater le ralentissement éco nomique à la mi-mai. D’après la plateforme d’offres d’emploi en ligne Indeed, le volume d’annonces pu bliées depuis cette période a baissé, tous secteurs con fondus. De plus, les chiffres d’enquêtes scrutées de près interrogeant les entreprises ont continué de se dégra der. Outre la période de faiblesse persistante dans l’in dustrie manufacturière, le PMI du secteur tertiaire a également baissé en juin, glissant sous le seuil de crois sance des 50 points.
La pénurie de main-d’oeuvre va maintenir structurelle ment élevée la pression salariale et donc des prix, no tamment dans le secteur tertiaire. En termes cycliques, la détente se profile toujours pour les prix des biens. Les prix à la production en mai ont reculé davantage que prévu et les entreprises industrielles ont baissé leurs prix de vente pour la première fois depuis 2020, selon le PMI. Nous prévoyons donc un repli progressif de l’inflation à 2% vers la fin 2024, mais sans revenir au taux moyen pré-covid de 1,2%.
En France également, le taux de variation annuel des prix à la production est en repli. Toutefois, les données disponibles ne vont que jusqu’au mois d’avril inclus. Selon l’enquête parmi les directeurs d’achat citée plus haut, la majorité des entreprises interrogées de l’industrie manufacturière interrogées ont depuis baissé leurs prix de vente. En réponse à la pression politique, la grande distribution s’est engagée à faire profiter la clientèle des prix d’achat moins élevés. Ces considérations expliquent notre prévision de taux d’inflation comparativement faible.
Royaume-Uni, Chine: Stagflation ? Pression des prix en repli
Croissance du PIB du Royaume-Uni
Swiss Life Asset Managers 2023 : 0,0%
2024 : 0,4%
Consensus 2023 : 0,1% 2024 : 0,8%
Croissance du PIB de la Chine
Swiss Life Asset Managers 2023 : 5,8%
2024 : 5,2%
Consensus 2023 : 5,7% 2024 : 4,9%