Par Navidh Mansoor
Au Népal, la tentative du gouvernement de contrôler l’espace numérique a déclenché une crise politique d’une ampleur inédite. En quelques jours, la jeunesse connectée a renversé une décision qui se voulait technique, mais qui s’est révélée existentielle pour toute une génération.
Le 8 septembre, les autorités ont interdit 26 grandes plateformes — dont Facebook, YouTube, Instagram et X — au motif qu’elles n’avaient pas respecté une nouvelle loi imposant la désignation de représentants locaux. Ce blackout numérique, sans précédent dans l’Himalaya, devait marquer une démonstration de souveraineté. Il a surtout agi comme un catalyseur.
Une révolte générationnelle et numérique
Très vite, des milliers d’étudiants, souvent encore en uniforme scolaire, ont investi les rues de Katmandou. Ces manifestations, portées principalement par les 18-25 ans, ont pris une tournure dramatique : bâtiments gouvernementaux incendiés, résidences de responsables attaquées, et des affrontements qui ont fait au moins 19 morts, des dizaines de victimes supplémentaires et plus de 500 blessés.
La colère a dépassé la seule contestation d’une loi. Elle a exprimé une réalité : pour cette jeunesse, l’accès au numérique n’est pas un simple confort, mais un droit, un espace identitaire et un outil de contestation. La coupure a été vécue comme une atteinte directe aux libertés fondamentales.
Un gouvernement en chute libre
Face à la gravité des violences, la pression internationale et la condamnation du Haut-Commissaire de l’ONU aux droits de l’homme, Volker Turk, ont accéléré la crise. Le Premier ministre K.P. Sharma Oli et plusieurs de ses ministres ont démissionné. L’armée a été déployée dans la capitale, avec des couvre-feux imposés dans plusieurs quartiers.
Cette séquence plonge le Népal dans sa plus grave instabilité politique depuis des années. Elle illustre aussi un basculement : dans les économies émergentes, le numérique devient un champ de bataille où se croisent enjeux de souveraineté, pression internationale et aspirations générationnelles.
Leçons pour les marchés émergents
Pour les gouvernements, la tentation de contrôler les plateformes mondiales se heurte désormais à des risques politiques majeurs. Pour les acteurs économiques — startups, créateurs, investisseurs —, un message clair se dégage : la conformité locale aux régulations numériques devient un enjeu stratégique, mais toute mesure coercitive est susceptible de déclencher un effet boomerang social et politique.