mar. Fév 4th, 2025

Avec des intentions de vote proches de 30 % (graphique 1), les partis conservateurs chrétiens-démocrates CDU-CSU sont toujours en tête des sondages avec une marge confortable d’une dizaine de points de plus que le deuxième parti, l’AfD (Alternative für Deutschland). Le Parti socialdémocrate (SPD) arrive en troisième position, avec 16 % de soutien suivi par les Verts à 14 %. À moins d’un mois des élections, les conservateurs paraissent donc solidement installés et devraient, selon nous, diriger le prochain gouvernement. Le scénario le plus plausible est que le CDU-CSU forme un gouvernement avec le SPD ou les Verts. Mais une coalition avec le SPD nous paraît la plus probable pour l’instant, même si elle n’obtiendrait que 46 % des votes. Pour avoir une plus large majorité, le Parti libéral-démocrate (FDP) libéral pourrait être invité à participer aux travaux du gouvernement s’il franchit le seuil de 5% des votes requis pour entrer au Parlement.

Programmes politiques et assouplissement fiscal

Alors que l’économie allemande a enregistré en 2024 sa deuxième année de récession consécutive et qu’elle risque de stagner en 2025, la CDU/CSU et le SPD mettent en avant des programmes pour relancer l’économie allemande. Les conservateurs ont ainsi complété leur programme qui propose un ensemble de réformes qui doivent apporter 2 % de croissance par an au pays. Les conservateurs proposent, notamment, une vaste réforme fiscale destinée à alléger la charge pesant sur les contribuables et les entreprises, couplée à une diminution des dépenses sociales.

C’est sur les questions économiques et sociales que le SPD souhaite se démarquer des conservateurs. Au début du mois de janvier 2025, Olaf Scholz a présenté sa proposition d’un crédit d’impôt pour tous les investissements industriels sur le sol national. Le SPD et les Verts veulent aussi baisser l’impôt sur le revenu pour la plupart des gens, et financer cette baisse par des mesures ciblant les revenus plus élevés (par exemple : taux d’imposition supérieur plus élevé pour les hauts revenus, impôt sur les plus-values et une assiette plus large pour les droits de succession). Pour les entreprises, ils veulent utiliser les crédits d’impôt pour stimuler l’investissement, plutôt que qu’une réduction généralisée de l’impôt sur les sociétés. L’allègement des prix de l’énergie grâce à une baisse des impôts et des prélèvements trouve un large consensus dans l’ensemble de l’échiquier politique, ce qui soutiendrait en particulier les producteurs manufacturiers qui souffrent depuis le début du conflit entre l’Ukraine et la Russie.

Le coût des mesures proposées serait élevé. Selon les estimations de l’Institut économique allemand, une charge budgétaire nette d’environ 30 à 90 milliards d’euros par an serait nécessaire pour l’implémentation des programmes.

Le « frein à la dette »

Les Allemands n’ont pas toujours été de bons élèves en termes de dette. Entre 1970 et 2010, l’endettement allemand était dans la moyenne des pays de l’OCDE et ne différait pas de celui de la France. La crise financière de 2008 a été le catalyseur du consensus politique qui a permis d’ériger le frein à l’endettement au rang constitutionnel en 2009. La nécessité d’instaurer des finances publiques saines et de restaurer la confiance des marchés financiers après la crise de 2008 a renforcé la rigueur budgétaire. En 2009, la Loi Fondamentale a été modifiée pour ajouter les articles 109 et 115, consacrant le frein à l’endettement en tant que principe constitutionnel. À cette époque, l’objectif était de rétablir le contrôle des finances publiques, alors que la dette allemande dépassait 72 % du PIB. Les budgets de l’État fédéral et des seize Länder doivent donc être équilibrés, avec un déficit budgétaire fédéral limité à 0,35 % du PIB, tandis que celui des Länder ne doit pas dépasser 0,5 %. Toute décision contraire à ces principes peut se voir censurée par la Cour constitutionnelle. L’objectif est d’obliger les autorités à gérer les finances publiques de façon vertueuse. Et cela a fonctionné car l’Allemagne fait figure aujourd’hui de bon élève en Europe. Mais, s’il était justifié lors de son introduction, le dispositif a handicapé au fil des années la croissance économique en limitant les investissements dans les infrastructures et dans les services d’Etat.

Aujourd’hui, le SPD et les Verts souhaitent relâcher le frein à la dette mais l’union CDU/CSU milite pour maintenir le dispositif en place. Même le président de la Banque fédérale d’Allemagne, Joachim Nagel, s’est montré favorable à une réforme de la règle constitutionnelle qui régit le déficit du pays. C’est une position surprenante de la part de la Deutsche Bundesbank, traditionnellement rigoriste en matière de politique monétaire et fiscale.

Vulnérabilité face à Trump 2.0

En Allemagne, le coût de production n’a cessé d’augmenter depuis 2022, posant un problème de compétitivité majeur pour un pays spécialisé dans les secteurs à forte intensité énergétique. Cette situation est aggravée par le retard accumulé en matière d’investissements, notamment dans le secteur manufacturier. Les excédents bilatéraux allemands par produits n’ont fait que se renforcer, ce qui place le pays en mauvaise position face à un relèvement des tarifs douaniers américains. Les principaux secteurs de l’industrie allemande sont en première ligne, soit parce qu’ils pourraient être visés directement (l’automobile), soit parce qu’il s’agit d’intrants de ces secteurs (métallurgie, chimie, plastiques-caoutchouc). Des secteurs qui auraient peu de capacité à absorber un tel choc car étant déjà touchés par une sous-utilisation notable des capacités de production.

Perspectives pour l’industrie

Lorsqu’on discute des fortunes économiques de l’Allemagne, une question qui revient souvent est celle de son secteur industriel. Il est clair que, dans la mesure où le prochain gouvernement parvient à améliorer l’environnement commercial global, les entreprises industrielles en bénéficieront également. Cela s’applique particulièrement aux questions telles que les charges administratives liées à la réglementation, les prix élevés de l’énergie et la facilité d’attirer des travailleurs qualifiés. De même, un élan en matière de dépenses d’investissement pourrait soutenir les fabricants d’équipements. Les programmes électoraux du SPD et des Verts contiennent également des mesures destinées à des industries spécifiques, telles que le soutien à l’acier vert ou des incitations financières pour l’achat de véhicules électriques. Ces impulsions potentielles seraient-elles suffisamment importantes pour inverser le déclin continu de la production et de l’emploi dans le secteur manufacturier ? Des pressions telles que la concurrence croissante de la Chine, le vieillissement de la population et les coûts de production élevés prendront du temps à être résolues. Par conséquent, le secteur industriel pourrait avoir du mal à retrouver sa force dans un avenir proche. Cependant, sur le long terme, cela ne doit pas nécessairement être négatif pour l’économie : s’il y a une leçon à tirer du rapport Draghi, c’est que, plutôt que de se concentrer uniquement sur les industries existantes, il serait tout aussi important pour le prochain gouvernement de créer les conditions nécessaires à l’établissement de nouveaux secteurs en Allemagne, s’il souhaite améliorer les perspectives économiques à long terme.

Quel impact sur les marchés ?

Nous considérons qu’un passage à un agenda politique plus favorable à la croissance devrait être positif pour les actions européennes et allemandes. Le potentiel de réduction des impôts sur les sociétés, des prix de l’énergie plus bas, des politiques plus favorables aux entreprises et un certain assouplissement fiscal devraient tous soutenir les actions et pourraient améliorer le sentiment dans une région qui a été alourdie par des défis cycliques et structurels. Cependant, seulement 20 % des revenus de l’indice des grandes capitalisations allemandes (DAX) sont générés au niveau national. Par conséquent, l’impact pour les grandes capitalisations en Allemagne et en Europe est limité. Les entreprises familiales allemandes seront très probablement les principales bénéficiaires de l’élection car elles sont plus susceptibles de ressentir les bienfaits d’un changement de politique favorable à la croissance en raison de leur exposition domestique plus élevée. Les petites et moyennes entreprises cotées ont sous-performé par rapport aux grandes entreprises et se négocient à une profonde décote de valorisation par rapport à l’histoire. L’indice MDAX de l’Allemagne a sous-performé l’indice DAX des grandes capitalisations de près de 60 % depuis le début de 2022, lorsque les préoccupations cycliques ont commencé à monter en raison de la hausse des taux d’intérêt et de la guerre Russie/Ukraine. Par conséquent, nous voyons un potentiel de réappréciation des petites et moyennes capitalisations dans la zone euro.

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