Par Christophe Jacomin, Avocat associé SCP Herald, Jeremy Martin Shenaj, Avocat SCP Herald
Chapô : Le règlement MiCA marque une avancée décisive dans l’encadrement des crypto-actifs en Europe, renforçant sécurité et transparence. S’il promet un marché harmonisé et compétitif, il impose aussi de nouvelles obligations aux acteurs du secteur, suscitant des inquiétudes quant à leur mise en conformité. En positionnant l’UE en leader de la régulation crypto, MiCA soulève également des questions auxquelles les autorités devront apporter des réponses claires pour garantir une mise en œuvre efficace.
Enjeux du règlement MiCA
Le règlement (UE) 2023/1114 sur les marchés de crypto-actifs, connu sous le nom de « MiCA », a été adopté par les législateurs européens le 31 mai 2023. Cette initiative constitue une avancée significative vers l’établissement d’un cadre réglementaire harmonisé pour les crypto-actifs au sein de l’Union européenne. Face à l’essor des technologies de registres distribués (DLT), ce texte adapte la législation européenne afin de réguler ces nouveaux instruments financiers numériques.
Les crypto-actifs, définis comme des représentations numériques de valeurs ou de droits, présentent des avantages économiques notables, tels qu’une traçabilité renforcée et une transparence accrue. Cependant, ils engendrent également des risques pour les investisseurs, comme l’a révélé la faillite de FTX, la deuxième plateforme d’échange d’actifs numériques au monde, ainsi que de sa société mère, Alameda Research, à l’automne 2022.
MiCA vise à instaurer un cadre cohérent en imposant des standards de sécurité et de transparence uniformisés, favorisant ainsi la protection des investisseurs tout en stimulant la concurrence entre acteurs. Ce cadre permettra à l’Europe de disposer d’un marché des crypto-actifs plus sûr, tout en renforçant sa compétitivité face aux autres grandes zones économiques mondiales. En harmonisant les règles, MiCA confère aux prestataires européens un “passeport” pour opérer librement dans toute l’UE, supprimant les barrières nationales.
Modalités d’agrément des PSCA
L’une des mesures centrales de MiCA est l’introduction d’une procédure d’agrément obligatoire pour tous les Prestataires de Services sur Crypto-Actifs (PSCA). Contrairement au cadre français des prestataire de services sur actifs numériques (PSAN), qui impose un enregistrement obligatoire mais un agrément facultatif, MiCA exige que tous les PSCA obtiennent une licence pour fournir des services. Cette licence garantit aux régulateurs un meilleur encadrement des acteurs du marché et instaure des normes de sécurité uniformisées pour les investisseurs.
En pratique, les entreprises souhaitant offrir l’un des dix services définis, tels que la gestion de portefeuilles de crypto-actifs ou l’exploitation de plateformes de négociation, devront répondre aux exigences de conformité et de sécurité définies par MiCA et mises en place par les trois autorités européennes de supervision (Autorité Européenne des Marchés Financiers, Agence Bancaire Européenne et Autorité Européenne des Assurances et des Pensions Professionnelles). Les banques et autres institutions financières sont également concernées : elles doivent notifier aux autorités leur intention de proposer des services liés aux crypto-actifs et, si besoin, obtenir un agrément complémentaire.
En France, les PSAN existants pourront bénéficier de la période transitoire prévue par MiCA afin de continuer leurs activités jusqu’au 1er juillet 2026. À terme, ce cadre renforcé assure aux investisseurs que tous les prestataires respectent des standards rigoureux de gouvernance et de gestion des risques, consolidant ainsi la confiance dans le marché.
Offre au public et admission à la négociation
MiCA introduit des règles strictes concernant l’offre au public et l’admission à la négociation des crypto-actifs, avec pour objectif principal de garantir une transparence renforcée pour les investisseurs. Les émetteurs de crypto-actifs sont désormais tenus de publier un “livre blanc” décrivant de manière détaillée les caractéristiques des jetons offerts, les risques associés et les droits conférés aux investisseurs. Selon le profil de risque et l’ampleur de l’offre, trois régimes sont prévus : le régime complet, applicable aux offres ouvertes au grand public ; le régime allégé, destiné aux offres de taille modeste ; et le régime exempté, réservé aux offres de moindre envergure ou restreintes. Ce système permet aux investisseurs de disposer d’informations adaptées pour évaluer les opportunités de manière éclairée. Pour les actifs admis sur des plateformes de négociation, MiCA impose des exigences de contrôle et de transparence supplémentaires afin de réduire les risques de manipulation de marché et de garantir l’intégrité des échanges. En encadrant ainsi l’accès aux marchés, MiCA vise à protéger les intérêts des investisseurs tout en créant un environnement réglementé qui inspire confiance aux participants du marché.
Sanction des abus de marchés
Le volet disciplinaire de MiCA introduit des sanctions strictes pour prévenir et réprimer les abus de marché, s’inspirant en grande partie des dispositions de la directive 2014/65/UE concernant les marchés d’instruments financiers dit « MiFID II. ». Les prestataires et émetteurs de crypto-actifs sont soumis à des obligations de transparence et de professionnalisme dans leurs pratiques, incluant la véracité des informations fournies dans les livres blancs et le respect des règles de conduite. Toute violation des normes, notamment en cas de publication d’informations trompeuses ou de manipulation de marché, peut entraîner des sanctions financières importantes, voire l’interdiction temporaire ou définitive d’exercer sur le marché européen. Les régulateurs, tels que l’Autorité des Marchés en France, disposent de moyens d’action renforcés pour superviser et appliquer ces sanctions, protégeant ainsi les investisseurs et assurant la stabilité du marché. En introduisant des règles de conduite stricte, MiCA vise à décourager les pratiques frauduleuses, renforcer la confiance des investisseurs et instaurer un marché des crypto-actifs plus équitable et transparent au sein de l’UE.
Application technique du règlement
La mise en application technique du règlement MiCA repose en grande partie sur des normes spécifiques et des règles de conduite édictées par les autorités européennes de supervision. L’Autorité européenne des marchés financiers a notamment publié en juillet dernier son deuxième rapport final couvrant huit projets de normes techniques visant à offrir plus de transparence aux investisseurs particuliers, des éclaircissements aux fournisseurs sur les aspects techniques des exigences de divulgation et de tenue de registres, et des normes de données pour faciliter la supervision par les autorités nationales compétentes.
Les projets de normes établissent notamment des exigences techniques pour les acteurs du marché, afin d’assurer la lisibilité, tant pour les humains que pour les machines, des livres blancs relatifs aux crypto-actifs. Ils proposent également des modèles et formats pour l’enregistrement des ordres et des transactions dans le cadre des plateformes de services d’actifs crypto. Les règles précisent de quelle manière les plateformes de négociation doivent rendre publiques les données nécessaires à la transparence, tant avant qu’après les transactions. Une fois mises en œuvre, ces normes garantiront que les autorités nationales compétentes disposeront des informations requises pour une supervision efficace du marché des crypto-actifs au sein de l’UE.
De plus, le rapport aborde les divulgations publiques, facilitant la compréhension pour les investisseurs de l’impact climatique et environnemental des mécanismes de consensus sous-jacents aux crypto-actifs qu’ils détiennent. Il fournit également des recommandations sur la manière dont les émetteurs devraient divulguer des informations sensibles aux prix au public, afin d’éviter les abus de marché tels que le délit d’initié.
Conclusion :
Le règlement MiCA marque un tournant structurant et ambitieux pour le marché des crypto-actifs en Europe, offrant un cadre de régulation unique qui favorise à la fois la transparence, la sécurité et la conformité. En créant un environnement propice à l’innovation tout en assurant la protection des investisseurs, MiCA positionne l’UE comme un leader mondial dans la régulation des crypto-actifs, et établit un modèle de marché intégré et sécurisé qui privilégie les acteurs conformes et éthiques.
Cependant, certains aspects de MiCA, en particulier concernant les jetons de monnaie électronique ou « stablecoins » qui sont des crypto-actifs conçus pour maintenir une valeur stable en se référant à une monnaie, suscitent des inquiétudes parmi les acteurs de l’industrie. Paolo Ardoino, directeur général de Tether, l’émetteur de l’USDT, a notamment mis en garde contre les effets potentiellement néfastes de cette régulation sur les émetteurs de stablecoins, signalant une complexité accrue et des vulnérabilités potentielles pour les stablecoins régulés en Europe. Les nouvelles obligations de licence pour les émetteurs de stablecoins et les plafonds stricts imposés sur les volumes de trading, bien inférieurs aux volumes actuels du marché, posent un défi pour une majorité de stablecoins. Cette situation risque de créer des tensions sur la liquidité et de limiter l’accès aux opportunités d’investissement, potentiellement dissuadant certains acteurs de poursuivre leurs activités dans l’UE, et ralentissant ainsi l’innovation et l’accès des consommateurs aux services crypto.
Certaines entreprises, toutefois, ont transformé cette dynamique de conformité en un avantage compétitif. Circle, par exemple, est devenu le premier émetteur de stablecoins à obtenir une licence d’établissement de monnaie électronique de l’Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution (ACPR) en France, alignant ses activités avec les exigences strictes du règlement MiCA. Grâce à cette licence, Circle émet désormais ses stablecoins USDC et EURC dans l’UE, en conformité avec MiCA.
En somme, MiCA représente une avancée majeure pour la standardisation et la sécurité des crypto-actifs en Europe, tout en posant des défis de mise en conformité et d’interprétation réglementaire. Une fois ces obstacles surmontés, MiCA pourrait stimuler une adoption plus large des crypto-actifs, renforçant la demande tout en offrant un cadre solide pour un développement durable et sûr du marché européen.