Etats-Unis
Depuis la mi-février, l’administration américaine durcit le ton. Parallèlement à la doctrine de désengagement de l’Ukraine qui revêt d’importantes conséquences pour la défense européenne, les droits de douane potentiels sont revus à la hausse : 20% sur les produits importés depuis la Chine et jusqu’à 25% (en-dehors de l’énergie) depuis le Canada, le Mexique et potentiellement l’Europe. Au total, le taux moyen de droit de douane sur les biens importés aux Etats-Unis pourrait dépasser 10%, du jamais vu depuis les années 1940. Outre le risque inflationniste, cette hausse, si elle s’accompagne de ripostes, pourrait ouvrir la porte à un jeu à somme négative pour l’économie mondiale et américaine. Cette dernière pourrait pâtir d’un choc de 1,3% sur sa croissance et d’un rebond +0,8% de l’inflation (PCE « cœur »), si l’on extrapole une série de travaux de la Fed en 2018. Les progrès sur le front de l’inflation restent d’ailleurs limités : cet indice PCE « cœur », très suivi par la Fed, continue de progresser au rythme annuel de +2,6%.
L’inflation dans les services hors santé et logement reste élevée. Plusieurs sociétés exposées au consommateur préviennent déjà de hausses de prix à venir. Cela préoccupe les ménages, en attestent la dégradation des indices de confiance en janvier (sentiment de l’Université du Michigan, confiance du consommateur du Conference Board). Au cours du premier mois de l’année, la consommation américaine (-0,2% par rapport à l’excellent mois de décembre) confirme ainsi le coup d’arrêt des ventes au détail. Les sondés admettent, outre l’inflation, être moins optimistes à l’égard du marché de l’emploi. Les créations de postes restent correctes, mais le taux de chômage remonte un peu et une mesure élargie (U6), qui intègre les travailleurs sous-employés et découragés, progresse nettement en février (à 8%), semblant traduire une forme accrue de précarité. Parallèlement, les plus modestes sont de plus en plus nombreux à cumuler plusieurs emplois pour subvenir à leurs besoins. Dans ce contexte de prudence, malgré la hausse de leurs revenus, les ménages augmentent leur taux d’épargne (4,6% en janvier), à défaut d’investir massivement dans l’immobilier.
Le secteur, toujours contraint par les taux d’emprunts hypothécaires élevés (légèrement sous les 7%) ne montre pas de signe d’amélioration notable, à l’approche de la fin d’un hiver particulièrement rude. En février, les compromis de vente baissent de 4,6% et l’indice NAHB de confiance des promoteurs se dégrade. Dans les services, l’incertitude politique (coupes de dépenses fédérales, droits de douane, politique migratoire) pèse sur le sentiment : le PMI flash de février s’aventure en zone de contraction à 49,7. Les données sont plus contradictoires dans l’industrie : la bonne tenue du PMI manufacturier (en zone d’expansion depuis deux mois) est nuancée par l’ISM de février, moins dynamique. La question du stockage en amont des droits de douane se pose… L’économie américaine est parvenue à surprendre les attentes en 2024 grâce à la bonne tenue de la consommation et à la dépense publique. Néanmoins, en ce début d’année, la fébrilité du consommateur, le ralentissement de la croissance bénéficiaire des 7 Magnifiques et les perspectives de réduction de la dépense publique, couplées aux effets domestiques défavorables que peuvent engendrer les droits de douane, pourraient réduire l’écart de performance économique des Etats-Unis vis-à-vis du reste du monde.
Europe
S’il est une bataille que l’Europe semble avoir remportée, c’est celle de l’emploi : en décembre et janvier, le chômage reste faible, à 6,2%. En contrepartie de cette bonne performance, l’inflation dans les services, très sensible à la hausse des salaires, a été forte en 2024. Elle cède du terrain en début d’année au gré de la normalisation des salaires, mais demeure élevée (+3,7% sur un an en février). Des progrès sont donc visibles sur le front de l’inflation, mais la victoire n’est pas encore acquise pour la BCE qui considère que les taux directeurs, ramenés à 2,5% depuis le 6 mars, s’éloignent désormais de leur zone restrictive. Sur le front de la croissance, ce sont la faiblesse de l’investissement privé et le risque de repli des exportations, auquel la politique commerciale américaine n’est pas étrangère (menace de nouveaux droits de douane de 25%) qui semblent préoccuper le plus la Banque centrale. Malgré le redressement de la croissance du crédit et la révision à la hausse de la croissance du PIB au T4 (+0,2%), les prévisions de la BCE ont été revues en baisse à +0,9% en 2025 et +1,2% en 2026.
Il est vrai qu’en janvier, les ventes au détail se détériorent en zone euro (-0,3% en mensuel). Cela coïncide avec le repli continu des indicateurs PMI dans les services (de 51,3 à 50,6) depuis le début de l’année, notamment en France (de 48,2 à 45,3). Dans le secteur secondaire, la baisse des commandes industrielles en Allemagne en janvier (-2,7% sur le mois) rappelle que les PMI manufacturiers demeurent en territoire de contraction, malgré l’amélioration résolue de leur trajectoire (ils progressent de 46,6 à 47,6 en zone euro). Outre-Rhin, les indices IFO et ZEW suggèrent que les conditions dans les affaires sont mal orientées, mais les sondés sont plus optimistes à long terme. Les élections législatives allemandes leur ont peut-être donné raison. Elles pourraient permettre à la coalition CDU/CSU et au SPD de créer une forme « d’union nationale » en réponse au danger existentiel que pose le désengagement américain du front ukrainien et de l’Europe.
La concrétisation de cette prise de conscience sécuritaire, qui doit aboutir à créer « quoiqu’il en coûte » une capacité de défense autonome nationale et supranationale, se manifeste par un plan allemand ambitieux et historique de relance dans la défense et dans les infrastructures. Pour la troisième fois après l’intervention de la BCE pendant la crise de l’euro (2012) et la réponse à la pandémie (2020), l’Europe pourrait mettre en place un plan de soutien d’importance, sous l’impulsion de l’Allemagne cette fois-ci. Le pays pourrait donc s’engager dans l’accroissement de son endettement, par recours à l’augmentation du plafond d’endettement des Länder (0,35% du PIB d’émission de dette par an à l’échelle locale) et de l’Etat fédéral à même proportion, d’exonérer de l’assiette de l’endettement les dépenses de défense supérieures à 1% du PIB et de créer un fonds spécial de modernisation des infrastructures de 500 milliards. La dépense publique pourrait ainsi s’accroître de 2 à 3% du PIB par an ramenant le déficit budgétaire allemand à plus de 5%, un niveau datant des années 1990. Si ces propositions sont acceptées par les chambres à une majorité aux deux tiers, l’Allemagne pourrait donc s’avancer vers le plan le plus ambitieux des 40 dernières années, à un moment où elle en a particulièrement besoin. Le pays deviendrait à nouveau un contributeur de poids à la croissance de la zone euro.
Japon
Il y a une dizaine d’années, il aurait été encore inenvisageable d’imaginer les emprunts d’État à 30 ans japonais livrer un rendement facial supérieur à leurs homologues chinois. L’écart positif atteint près de 55 points de base le 7 mars 2025. Il illustre un changement de paradigme économique pour l’archipel nippon : la sortie de la déflation, dans laquelle, au contraire, la Chine semble s’aventurer. Le retour de l’inflation peut magnifier le levier opérationnel des entreprises et profiter à l’ensemble de l’économie, à condition qu’il reste modéré. Il aura fallu un concours de circonstances exceptionnel pour réancrer dans la psychologie des décideurs d’entreprises et des ménages que la baisse ou la stagnation des prix n’était plus une fatalité : choc d’inflation de 2021-2022, rebond de la croissance japonaise post-Covid, leg de la politique éponyme de Shinzo Abe (Abenomics). À la fin de l’année dernière, la croissance japonaise poursuit sa bonne lancée, elle surprend les attentes en s’élançant au rythme d’un solide +2,2% annualisé au quatrième trimestre, grâce au rebond des exportations nettes, un contributeur important dans l’économie du pays. La demande domestique, positive depuis trois trimestres, aura été un peu moins forte en fin d’année. Malgré cela, les ventes au détail restent dynamiques en janvier, en hausse de 0,5% par rapport à décembre, soit une hausse annuelle de près de 4%. On notera d’ailleurs le fort rebond des importations en janvier (+16,7%), à tel point que la balance commerciale s’en trouve significativement détériorée par rapport à décembre. L’industrie envoie des signaux contrastés : les commandes de machines-outils restent bien orientées (+4,7% en janvier en glissement annuel), mais la production industrielle ralentit par rapport à décembre (-1,1%). En février, les tendances divergent du côté des enquêtes réalisées auprès des directeurs d’achats. Les PMI services (53,7) et composite (52) progressent, toujours installés en zone d’expansion, reflétant l’optimisme domestique. Le PMI manufacturier en revanche campe sous les 50. Le marché de l’emploi reste vigoureux : en décembre, le taux de chômage remontant légèrement à 2,5%.
Dans ce contexte dynamique, l’inflation progresse ainsi davantage au Japon qu’en Europe ou aux États-Unis en janvier (+4% en glissement annuel) tirée par les produits alimentaires frais et l’énergie. L’indice des prix à la production progresse en janvier, au rythme annuel de 4,2%. La Banque centrale se veut vigilante : elle se préoccupe des prix alimentaires, comme le riz (+6,6% en variation mensuelle en janvier, +72% au cours de l’an dernier). Elle a ainsi décidé de porter ses taux à 0,5% (+25 points de base), ce qui permet au yen de se revaloriser sous les 150 pour un dollar après un dernier trimestre erratique en raison des tergiversations de la BOJ. Elle devra rechercher l’équilibre dans sa politique monétaire pour maîtriser l’inflation, qui devient un sujet de préoccupation inédit pour les dernières générations de Japonais sans les confronter à un choc de taux.