Par Sylvain Bersinger, chef économiste chez Asterès.
L’élection présidentielle russe se tiendra du 15 au 17 mars 2024, et sans surprise Vladimir Poutine sera réélu. La résistance de l’économie russe aux sanctions, meilleure qu’attendue malgré des vulnérabilités économiques persistantes, peut être un argument électoral pour le président sortant. Si tant est qu’il en ait besoin, car la démocratie n’est pas un fait en Russie, Poutine a modifié la constitution afin de pouvoir réaliser plus de deux mandats consécutifs comme c’était le cas auparavant. Il valide lui-même les candidatures des prétendants à l’élection selon des critères précis comme le choix de poursuivre les combats en Ukraine.
1) Economie : Une résistante plus forte que prévu pour la Russie
L’économie russe s’est transformée en économie de guerre. L’économie russe a souffert de
la guerre, mais la crise économique attendue ne s’est pas produite. La Russie a terminé
l’année 2023 avec une croissance de 3%, mieux que la croissance de l’UE à 0,5% cette même
année (bien que la croissance russe soit largement due à un effet rebond après la récession de
2022). Le taux de chômage est passé sous les 3 % et les salaires ont augmenté. Cela est en
grande majorité dû à la guerre en Ukraine, l’industrie militaire ayant connu une forte hausse
des commandes. Si les chiffres précis sont difficiles à connaître, il apparaît évident que
l’économie russe a connu une forte modification, avec une explosition de la production
industrielle militaire et une diminution parallèle de la production et des dépenses publiques
dans les autres secteurs (automobile civile, recherche scientifique, éducation par exemple)1.
La Russie a en partie contourné les sanctions commerciales. D’un côté, les exportations
russes en valeur ont augmenté en 2022 du fait de l’envolée du prix du gaz qui a compensé la
baisse des volumes (une tendance qui s’est estompée en 2023 avec la baisse du prix du gaz).
D’un autre côté, la Russie a continué à importer depuis les pays Occidentaux en passant par
des pays tiers. Le commerce entre la France et la Russie illustre ces évolutions : la France
exporte moins vers la Russie, mais les ventes vers des pays frontaliers comme le Kazakhstan
ont augmenté, signalant un probable contournement des sanctions. De plus, la Russie s’est
commercialement rapprochée de la Chine.
Les recettes d’hydrocarbures ne sont pas illimitées.
Les recettes que tire la Russie de ses exportations d’hydrocarbures ont fortement baissé en 2023 par rapport à 20222 (une année particulière du fait de l’envolée du prix du gaz).
D’une part, les sanctions internationales conduisent la Russie à vendre son pétrole (Oural) moins cher que les cours mondiaux (Brent), même si l’écart s’est resserré récemment, indiquant une difficulté à faire appliquer les sanctions. D’autre part, le prix du gaz a retrouvé ses niveaux moyens d’avant la guerre en
Ukraine. La Russie est désormais soumise à deux vulnérabilités : sa dépendance aux exportations d’hydrocarbures vers la Chine qui est devenu de loin son premier client et une vulnérabilité à la variation du prix des hydrocarbures, qui pourrait baisser soit du fait d’un resserrement des sanctions (ce qui ne concernerait que la Russie) soit du fait d’une baisse des= cours mondiaux (ralentissement économique, hausse de la production américaine, à terme hausse des énergies renouvelables qui limiterait la demande d’hydrocarbures).
Les perspectives futures pour l’économie russe sont moroses.
Le pays est certes parvenu à contourner les sanctions commerciales et à soutenir sa croissance par des dépenses militaires, mais son potentiel de croissance futur semble amputé. Des centaines de milliers de Russes (le chiffre exact est difficile à connaître), notamment des jeunes diplômés, ont quitté le pays. Les entreprises occidentales ne sont pas prêtes de retourner dans le pays, même si la guerre venait à se terminer. La Russie, qui n’avait pas réussi à diversifier son économie au-delà des hydrocarbures, ne parviendra pas à le faire sans avoir recours à des technologies et à des savoirs-faire étrangers. Enfin, le soutien de la croissance par la dépense militaire, c’est-à-dire par la dépense publique, ne peut être une stratégie illimitée dans le temps, d’autant plus que le pays est coupé des marchés internationaux de capitaux pour financer son déficit budgétaire. Il est probable que, lorsque les dépenses militaires baisseront, la croissance russe en sera fortement impactée. Cette évolution est fréquente en temps de guerre et s’est vérifiée par exemple dans le cas des Etats-Unis lors de la Seconde Guerre mondiale : les dépenses militaires soutiennent l’activité économique à court terme, mais la croissance plonge ensuite
en même temps que les montants dépensés pour l’armée.
2) Géopolitique : La Russie avec un soutien de taille, La Chine
Sur la scène internationale la Russie se trouve de plus en plus isolée. Les dirigeants
américains et européens se sont positionnés contre la Russie dès le premier jour d’attaque
en Ukraine. Depuis deux ans, les sanctions contre la Russie s’accumulent, contrairement
aux aides à l’Ukraine. Les organisations internationales telles que l’ONU ou encore l’OMS,
dénoncent des crimes de guerre.
Les prochaines élections américaines pourraient jouer un rôle crucial dans la
poursuite de la guerre en Ukraine. Joe Biden rencontre des difficultés à faire adopter de
nouvelles aides à l’Ukraine par le Congrès, qui est paralysé par les partisans de Donald
Trump. L’actuel président soutient l’Ukraine et se positionne contre Poutine. De son côté
Trump, en mai dernier, a déclaré dans une interview que s’il est élu président il mettra « fin
à cette guerre en une journée. Ça prendrait 24 heures. Je connais bien Zelensky, je connais
bien Poutine »3. Au-delà du rôle de médiateur qu’il prétend être, le Premier ministre
hongrois Viktor Orban, qui a rencontré Trump début mars affirme que ce dernier lui a
annoncé qu’il ne donnerait pas un centime à l’Ukraine, cependant l’équipe de Donald
Trump n’a pas confirmé ces propos4.
La Russie a un soutien de taille avec la Chine. Plus la guerre avance et plus les
révélations des crimes commis en Ukraine sont nombreuses. Une partie des pays soutenant
l’offensive russe, sont des pays eux-mêmes isolés internationalement comme la Syrie, la
Biélorussie, le Venezuela. Leur soutien est de ce fait peu étonnant et il ne sera pas étonnant
non plus de voir la Russie remercier comme il se doit ces pays en retour. Le plus surprenant
est les déclarations faites par le nouveau ministre de la Défense chinoise en poste depuis
décembre 2023. Ce dernier, lors d’une visioconférence avec le ministre de la Défense russe a affirmé « Nous vous soutiendrons sur le dossier ukrainien même si les États-Unis et
l’Europe continuent de faire pression sur la Chine »5. Les relations entre la Russie et la
Chine sont majoritairement commerciales. La Chine a su profiter des sanctions mises en
place par les Etats-Unis et l’UE en devant notamment un intermédiaire dans les relations
commerciales entre la Russie et le reste du monde.
3) Elections : Un simulacre d’élection pour réélire Poutine
Deux opposants interdits et trois candidats favorables à la guerre en Ukraine
autorisés. Les deux opposants déclarés qui souhaitaient prendre part à l’élection, Ekaterina
Dountsova et Boris Nadejdine, ont été barrés du scrutin. Les trois autres candidats autorisés
face à Vladimir Poutine sont le nationaliste Léonid Sloutski, le communiste Nikolaï
Kharitonov et l’homme d’affaires Vladislav Davankov. Tous soutiennent la guerre en
Ukraine. Les élections sont pour Poutine une excuse pour affirmer qu’il est officiellement
élu par le peuple russe et que la Russie reste une démocratie. Sur la scène internationale, le
reste du monde n’est pas dupe, les élections aussi officielles qu’elles soient non rien à voir
avec de véritables élections loyales.
Le décès du principal opposant, Alexeï Navalny, n’est qu’un grain de sable dans la
chaussure de Poutine. Alexeï Navalny, emprisonné depuis début 2021, continuait,
notamment par le biais de ses avocats, à le combattre. Les opposants de Poutine accusent ce
dernier d’avoir fait tuer Navalny, dans les faits rien ne peut prouver ces accusations.