Entre stagnation du PIB, crise énergétique et excès de bureaucratie, la locomotive européenne semble à bout de souffle.
Une stagnation qui s’installe durablement
Depuis 2018, le produit intérieur brut allemand n’a pratiquement plus progressé. Le pays, longtemps modèle de stabilité industrielle, s’enlise dans une stagnation économique inédite depuis le début des années 2000. Les moteurs traditionnels — industrie manufacturière, exportations et innovation — s’essoufflent face à une concurrence mondiale exacerbée et à un environnement géopolitique instable. L’ifo Institute, grand centre de recherche économique basé à Munich, tire la sonnette d’alarme : l’Allemagne serait désormais à la veille d’un basculement vers des « conditions italiennes », synonymes de faiblesse chronique, de croissance molle et d’inefficacité structurelle. Le président de l’institut, Clemens Fuest, estime que la situation est devenue « dramatique » et qu’elle pourrait s’enliser sur plusieurs décennies sans réforme majeure.
Un modèle social sous tension
Dans le même temps, les dépenses publiques ont bondi de 25 % depuis 2015. L’État allemand, cherchant à préserver son modèle social, investit massivement dans les retraites, l’éducation et les infrastructures. Mais cette hausse des dépenses ne s’accompagne pas d’une création de richesse équivalente. L’équilibre budgétaire allemand, longtemps exemplaire, se fragilise, tandis que le poids de la fiscalité freine les initiatives privées. Les investissements des entreprises, notamment dans les machines et usines, ont chuté en dessous de leur niveau de 2015 — un signe clair du désengagement du secteur productif. L’absence de réformes structurelles profondes dans les retraites, la fiscalité et la formation accentue le sentiment d’un modèle social coûteux et difficilement soutenable.
Bureaucratie, énergie et perte de compétitivité
La bureaucratie allemande, jadis symbole d’ordre et de rigueur, est devenue un frein à la croissance. Les petites et moyennes entreprises, pilier du tissu économique national, dénoncent la multiplication des règles et obligations : rapports sur les émissions de CO₂, conformité des chaînes d’approvisionnement, réglementation du salaire minimum, etc. Selon les estimations de l’ifo, alléger ces contraintes pourrait générer jusqu’à 146 milliards d’euros de gains économiques annuels. À cette lourdeur administrative s’ajoute une crise énergétique majeure. Depuis la perte du gaz russe bon marché, conséquence des sanctions liées à la guerre en Ukraine, les coûts de production ont explosé. L’industrie chimique, l’automobile et la métallurgie — piliers de l’économie allemande — peinent désormais à rester compétitifs face aux États-Unis et à la Chine, où l’énergie et l’innovation coûtent moins cher.
Un déclin du niveau de vie et de la productivité
Cette dégradation macroéconomique se traduit dans le quotidien des citoyens. Des millions d’Allemands voient leur niveau de vie reculer, miné par la hausse des prix de l’énergie et la stagnation salariale. L’économie allemande, qui reposait sur un haut niveau de productivité, perd de sa capacité à innover. Le manque d’investissement dans la numérisation, la robotisation et la formation continue freine la montée en compétences du pays. Résultat : la productivité plafonne, les exportations se contractent, et la croissance reste proche de zéro. Pour Clemens Fuest, si rien n’est fait, l’Allemagne pourrait s’enfoncer dans un déclin économique de vingt à vingt-cinq ans — un scénario impensable il y a encore dix ans pour la première puissance européenne.
Conscients du danger, les économistes appellent à un vaste plan de réforme dans les six prochains mois. Le chancelier Friedrich Merz lui-même a reconnu en août que le pays traversait une « crise structurelle », avec des secteurs entiers « qui ne sont plus véritablement compétitifs ». Pour inverser la tendance, plusieurs leviers sont évoqués : simplification administrative, allègement fiscal pour les PME, relance de l’investissement industriel, réforme du système énergétique et adaptation du modèle social à la réalité économique actuelle. Reste à savoir si le gouvernement allemand aura la capacité politique d’engager ces transformations, ou si la « locomotive de l’Europe » continuera à perdre de la vitesse dans un paysage économique mondial en pleine mutation.
Par Navidh Mansoor, directeur de rédaction de Croissance Investissement
