par Benjamin Melman, Chief Investment Officer chez Edmond de Rothschild
La France devait faire plus d’efforts budgétaires avant même l’annonce de la dissolution
Avant l’annonce de la dissolution, la France se situait dans un contexte budgétaire extrêmement difficile. Affichant en 2023 le plus lourd déficit public primaire de la zone euro, 3.8% du PIB, le gouvernement français après avoir déjà annulé 10 milliards de dépenses était à la recherche de 20 milliards de nouvelles coupes pour l’année prochaine afin d’éviter la « procédure de déficit excessif » de la Commission Européenne. Pour autant, la France continuait de jouir de la pleine confiance des investisseurs, avec un spread OAT-Bund très stable à 47bp juste avant les élections. Les agences de notation comme les institutions européennes et internationales avaient admis qu’un creusement ponctuel du déficit public était possible lors de réformes structurelles, comme celles que revendiquait M. Macron, car le regain de croissance à en attendre générerait de nouvelles recettes fiscales. Le retard qu’enregistrait la France dans la réduction de son déficit devenait donc inquiétant mais pas insurmontable tant que le Gouvernement continuait à serrer la vis.
Quel que soit le résultat des élections, la réduction du déficit français est moins probable, à moins que…
La dissolution de l’Assemblée nationale rebat les cartes puisque parmi les trois blocs (Nouveau Front Populaire, Ensemble, RN), le seul tenant un discours de raison budgétaire est celui qui vient d’être désavoué électoralement, les deux autres affichant des programmes économiques creusant plus ou moins fortement les déficits publics. Même si le RN a brusquement revu à la baisse les ambitions de son programme et évoque un audit des finances publiques avant de mettre en œuvre son programme, on se doute qu’au mieux, si ce parti devait avoir la majorité, il n’y aurait plus de réduction du déficit public tant son message, comme celui du Front Populaire, est de répondre à des exigences sociales auxquelles le gouvernement serait resté sourd.
A cette heure, en figeant la situation actuelle, deux scénarii probables émergent: une absence de majorité parlementaire conduisant à la nomination d’un gouvernement technique avant de convoquer de nouvelles élections un an plus tard ou bien une majorité pour le RN. Quelle que soit l’issue, la France s’apprête donc à tourner temporairement le dos aux réformes structurelles et à la réduction du déficit, ce qui signifie qu’elle ne devrait pas échapper à la procédure de Bruxelles cet été. Toutefois, rien n’indique que la recomposition de la vie politique en cours à gauche comme à droite sera figée après les élections. Il y a un troisième scénario supposant, dans le cadre d’une absence de majorité, la poursuite de la recomposition politique après les élections, aussi impossible aujourd’hui que possible dans quelques semaines, d’une alliance entre différentes sensibilités dites « de gouvernement » (du centre, de droite, de gauche) permettant de dégager une nouvelle majorité avec un programme plus cohérent sous l’angle économique.
Quelle serait la capacité d’intervention de la BCE en cas de crise ?
L’écartement du spread OAT-Bund depuis l’élection, actuellement d’une trentaine de points de base à l’heure où nous écrivons, reste marginal. Il faudrait un mouvement bien plus substantiel, même s’il n’est précisé par personne, pour que la question d’un éventuel soutien de la BCE dans le cadre du TPI se pose. Le fait que la France puisse être sous procédure européenne serait indéniablement un obstacle pour la BCE, pour autant non rédhibitoire. La BCE ne peut pas non plus être totalement insensible au contexte politique allemand, où la coalition au pouvoir a également réalisé un piètre score et à la rhétorique plus conservatrice d’une droite allemande menacée sur sa droite par l’AFD, dont l’ascension est forte, AFD qui songe organiser un référendum sur le DEXIT s’ils remportent les prochaines élections législatives prévues l’année prochaine. Les marges de manœuvre de la banque centrale existent mais ne sont donc pas à surestimer dans un contexte politique européen plus fragmenté et clivé.
Réduction du risque et retour à la neutralité
Il serait hasardeux de prédire à ce stade une crise financière française et européenne. Une prime de risque européenne est en cours de constitution depuis une semaine. Si le prochain gouvernement français poursuit un programme de relance, ce qui nous semble peu probable mais loin d’être impossible, il connaitra sans doute les mêmes secousses que celui de Liz Truss. S’il met simplement entre parenthèses la réduction des déficits publics, une crise n’est pas certaine mais risque d’entretenir des spreads souverains qui évolueront nerveusement en fonction de la réponse des autorités européennes et des agences de ratings (qui dégraderont la note de la France car elles misaient sur des économies budgétaires). La question en effet serait de savoir si la France sera en mesure de trouver un nouveau deal avec Bruxelles ou si un bras de fer s’amorce. Si en revanche une majorité émerge permettant à la France de poursuivre ses engagements européens, la prime de risque européenne se dégonflera en grande partie.
Au sein de notre allocation d’actifs, nous avons réduit les risques, d’abord sur les actions européennes, suite à l’annonce de la dissolution, puis sur les actions américaines afin de prendre des profits, pour revenir à la neutralité sur les actifs risqués. Nous considérons que la bonne tenue de l’environnement économique et la poursuite, certes un peu chaotique de la désinflation, sont en mesure de permettre aux actifs risqués de délivrer de bonnes performances. A moins que l’imbroglio français se métamorphose en crise européenne. Et modulo le fait que les élections américaines se rapprochent et vont être de plus en plus sensibles aux sondages et à l’éventuel retour de Donald Trump à la Maison Blanche.