Alors que le pays est appelé aux urnes, les difficultés économiques et sociales du Salvador ne sont que partiellement résolues par les mesures radicales du président Bukele.
Le pays peine à stimuler une croissance vigoureuse et l’adoption du bitcoin comme seconde monnaie nationale n’a pas eu d’effets notables sur l’activité économique. Les mesures radicales du président Bukele contre la criminalité portent leurs fruits, au prix d’un affaiblissement de l’Etat de droit. Entre rapprochement de la Chine et originalité dans la politique économique menée, l’avenir du pays risque d’être chamboulé.
Economie : Une forte dépendance à l’économie américaine
Le Salvador est un pays pauvre où la croissance structurelle est faible.
D’après le FMI (World Economic Outlook), le PIB par habitant (dollars PPA 2017) du Salvador est comparable à celui du Guatemala, mais plus de deux fois inférieur à celui du Costa Rica et quatre fois plus faible que celui du Panama. Depuis une quarantaine d’années, la progression du PIB par habitant a été poussive (une hausse de 70 % depuis 1980) et inférieure à celle du Costa Rica ou du Panama.
Premier partenaire commercial, premier partenaire financier, les Etats-Unis sont omniprésentes dans l’économie salvadorienne.
43% des exportations sont destinées aux Etats-Unis, 30 % des IDE proviennent des Etats-Unis, et 97,2 % des transferts des migrants proviennent des États-Unis1. Ce ne sont pas moins de 2,5 millions de personnes originaires du Salvador qui vivent aux Etats-Unis ce qui représente 50 % de la population du pays. Les revenus des Salvadoriens vivant aux Etats-Unis représentent environ 20 % du PIB. En plus d’avoir adopté le dollar américain comme monnaie nationale, l’économie du Salvador est
1https://www.tresor.economie.gouv.fr/Articles/2019/05/22/situation-economique-et-financiere-du-salvador mai-2019
fortement contrainte par la conjoncture globale aux Etats-Unis. Lorsque l’économie américaine ralentie, l’économie salvadorienne est directement impactée.
Une économie fragile qui résiste.
Au-delà des contraintes dues aux Etats-Unis, le Salvador rencontre des difficultés en interne. La consommation privée qui s’est repliée en 2020 (-8%) suite à la crise du Covid-19, est repartie à la hausse très rapidement dès 2021 (16%) grâce à la hausse des remesas (les flux de transferts des migrants) mais aussi grâce au crédit privé qui augmente. Les investissements directs étrangers sont faibles. Malgré une économie fragile, le Salvador arrive à maintenir une croissance certes faible mais durable (entre 2,2 % et 2,6 % pour les huit dernières années hormis 2020 et 2021), à contenir le crédit privé et à maintenir un taux d’épargne correct. La baisse de la criminalité devrait soutenir les indicateurs économiques notamment grâce à une hausse de l’investissement et de la consommation liée à la réattribution des coûts liés à la sécurité et aux paiements des extorsions mais aussi la hausse du tourisme grâce à une image extérieure améliorée.
Système monétaire : Une économie bloquée entre le dollar américain et le bitcoin
Dollarisé depuis 2001, le Salvador s’est privé d’un levier monétaire indispensable pour un pays en proie à des turbulences économiques.
Le but de dollariser une économie est, entre autres, de contenir l’inflation. Cependant, cela contraint les marges de manœuvre de la politique monétaire. Par cette dollarisation le Salvador ne peut plus recourir à la dévaluation pour accroître sa compétitivité sur la scène internationale.
Après la dollarisation, le Salvador se tourne vers le bitcoin sans plus de réussite.
Le bitcoin a été autorisé comme monnaie nationale en 2021 à la sortie de la crise sanitaire. Le but pour le président Nayib Bukele est d’enrichir le pays en appâtant de nouveaux investisseurs, friands des conditions fiscales apportées par le bitcoin. Selon lui, cela permettrait aussi de faciliter les transferts des migrants en contournant les frais bancaires classiques. Cependant d’après les données récoltées par différents organismes et notamment la Banque Centrale salvadorienne, l’utilisation par les Salvadoriens habitant au Salvador mais aussi ceux habitant à l’étranger et envoyant de l’argent dans le pays reste très limité : les transferts internationaux en bitcoin ne représenteraient que 0,8 % du total des transferts2. L’impact attendu s’est finalement retrouvé nul pour l’économie. Faute d’avoir réussi à convaincre les Salvadoriens en âge d’utiliser le bitcoin, le président entend faire passer le message aux plus jeunes générations en créant des programmes éducatifs sur ce sujet diffusés dans les écoles ou en créant des écoles formant des développeurs bitcoin.
2ECLAC, https://repositorio.cepal.org/server/api/core/bitstreams/48f2169c-55d5-43cf-a870- da79ae37119a/content
Adopter le bitcoin : pour quoi faire ?
L’intérêt économique d’une adoption du bitcoin par un pays n’est pas évident.
Au-delà de l’impact médiatique de l’adoption du bitcoin, l’intérêt économique d’une telle démarche semble peu fondé. La forte variabilité des cours rend le bitcoin risqué pour une utilisation au quotidien. De plus, l’utilisation du bitcoin nécessiterait, pour les consommateurs comme pour les commerçants, de jongler avec deux trésoreries (une en bitcoins et une en dollars, puisque le pays est dollarisé) et de se prémunir contre les variations de cours. Il s’agit donc d’une innovation qui, plutôt que de simplifier le quotidien des agents économiques, le complexifie. Il n’est donc pas surprenant que son adoption par la population reste faible.
Corruption et climat social : des améliorations fragiles
Le Salvador est l’un des pays les plus violent et corrompu au monde, hors pays en guerre.
Transparency International France, dans son indice de perception de la corruption, classe le Salvador 126ème sur 180 pays en 2022, en 1 an, il a perdu 10 places. Les maras (les gangs armés) sont présents dans tout le pays et notamment dans les régions les plus pauvres. La criminalité et l’insécurité sont omniprésentes dans le pays. Cependant depuis l’arrivée du président Nayib Bukele à la tête du pays, le nombre d’homicides a fortement chuté3 (contrairement au nombre de disparitions qui ne cesse d’augmenter). Pour arriver à ces résultats, la politique du président a été intensive avec un nombre record d’arrestations. Cette politique se confronte aux droits de l’homme, les arrestations seraient arbitraires et les jugements réalisés rapidement selon Amnesty International. Ces chiffres se confrontent aussi aux manipulations du gouvernement qui sous couvert de ne pas perturber la population interdit à quiconque sous peine d’emprisonnement4(et notamment les journalistes5) de diffuser des données et des messages sur les gangs armés.
La population salvadorienne est certes plus en sécurité mais reste toujours pauvre.
Le président concentre ses efforts sur la sécurité du pays et la chasse aux gangs au détriment de l’économie du pays. La politique de Nayib Bukele est de se concentrer sur la réduction de la criminalité et de la corruption afin d’améliorer l’image du pays et de faire venir de nouveaux investisseurs et de nouveaux touristes. Cependant au-delà une meilleure qualité de vie, les Salvadoriens ne ressentent pas directement les effets de la politique dans leurs finances pour le moment.
3 Banque mondiale
4 Loi « baîllon »
5Interview dans Le Monde du vice-président, Felix Ulloa, admettant que la loi « baîllon » visait avant tout les journalistes. https://www.lemonde.fr/international/article/2022/08/12/felix-ulloa-vice-president-du-salvador dans-toute-guerre-il-y-a-des-victimes-innocentes_6137876_3210.
Géopolitique : Des Elections toujours sous le signe de la lutte contre la corruption
Une élection présidentielle adossée à des élections législatives.
Entre 2019 et 2021, Nayib Bukele a dû composer avec un parlement dominé par le parti de droite (ARENA). Nayib Bukele s’étant fait élire sous la bannière de GANA (parti conservateur se réclamant de droite mais défendant certaines idées de gauche) puisque son propre parti, Nuevas Ideas (rejetant les étiquettes des partis classiques, Bukele décrit le parti comme étant la 3ème voie), n’avait pas eu le temps d’être légalement enregistré pour les élections présidentielles. En 2021, des élections législatives ont lieu, le nouveau parti du président Bukele a remporté plus de la moitié des sièges. Cette victoire lui a permis d’appliquer sa politique sécuritaire plus rapidement et plus drastiquement. En 2024, ce sont donc les élections présidentielles et les élections législatives qui se tiennent en même temps.
Un second mandat en vue pour le nouveau parti.
Le président actuel, Nayib Bukele, élu en 2019, brigue un nouveau mandat malgré une contestation de ses opposants reposant sur un article de la constitution interdisant un second mandat d’affilé pour un président. Nayib Bukele a été élu notamment grâce à ses promesses pour lutter contre la corruption et les gangs armés. Sa deuxième campagne présidentielle regroupe les mêmes sujets, à savoir continuer sa lutte contre la corruption et améliorer la sécurité du pays. Ses opposants, dirigeants des partis historiques, restent démunis face à la popularité du président actuel.
S’éloigner des Etats-Unis pour mieux se rapprocher de la Chine.
La volonté du président Nayib Bukele est de réduire la dépendance de son économie aux Etats-Unis en se rapprochant notamment de la Chine. Longtemps allié de Taïwan, le Salvador reconnait désormais la Chine populaire comme Chine unique et a rompu ses relations avec Taïwan. Au moment où le Salvador a rencontré des difficultés à rembourser sa dette publique, la Chine a proposé d’en racheter une grande partie. La Chine couvre le Salvador de cadeaux puisqu’après avoir offert une bibliothèque de six étages c’est maintenant un stade qui se construit aux portes de San Salvador. La Chine s’immisce donc autant dans le domaine financier que dans les infrastructures quotidiennes des Salvadoriens.
Sylvain BERSINGER, chef économiste chez Asterès