mar. Avr 1st, 2025

Par Ecofi

200 % de droits de douane prévus sur le vin et les spiritueux européens ! 50 % sur l’acier et l’aluminium puis 25 % et finalement plus rien (jusqu’à nouvel ordre), 60 % pour les importations chinoises prévues pendant la campagne, qui n’ont finalement pas (encore ?) vu le jour. Un président élu notamment sur la volonté de faire baisser l’inflation, mais dont la politique commerciale risque bien de mener à une augmentation de celle-ci. Une rhétorique agressive vis-à-vis de l’Ukraine, alors qu’une résolution du conflit en 24h était ambitionnée. Étonnement peu de mentions concernant la baisse de l’imposition des entreprises américaines. Aucune échauffourée à déplorer non plus avec la Fed (jusqu’ici). D. Trump est imprévisible, dit tout et son contraire, et n’en finit plus de nous surprendre. Quelle lecture peut-on avoir de l’économie américaine dans ce contexte ?

Plusieurs possibilités s’offrent à nous afin de mesurer l’incertitude en économie. La dispersion des prévisions, l’amplitude des variations des surprises économiques ou encore la volatilité des séries statistiques en elle-même. Depuis plusieurs années, d’autres indicateurs ont vu le jour grâce à la recherche académique et ont enrichi la boîte à outils. Ils se basent principalement sur des algorithmes de traitement du langage naturel. Baker, Bloom & Davis (2016) ont notamment développé un indicateur d’incertitude qui associe spécifiquement des mots avec la notion d’incertitude sur la politique économique. En scannant la presse internationale, les apparitions multiples de certains de ces mots permettent de quantifier le niveau d’incertitude. La sous-catégorie liée à l’incertitude sur la politique commerciale (que nous avions déjà utilisée ici) a aujourd’hui largement dépassé les niveaux enregistrés lors de la première mandature de D. Trump. De manière moins « sophistiquée », mais tout à fait complémentaire, nous analysons également les réponses aux enquêtes conjoncturelles. Ainsi, à la question « quel est le niveau d’inflation anticipé à 5-10 ans ? » posée dans l’enquête de l’Université du Michigan, la différence entre la médiane et la moyenne des réponses n’a jamais été aussi élevée. Autrement dit, les ménages interrogés ont une vision très hétérogène de la dynamique de l’inflation.

Les volte-face de D. Trump ont déjà engendré une baisse du moral des consommateurs américains. Dans les données du mois de janvier, le revenu disponible des ménages a augmenté, tandis que la consommation des ménages s’est contractée, tout particulièrement s’agissant des biens (appareils électroménagers, meubles…). Une situation atypique qui reflète un mélange de thésaurisation et d’inquiétude face aux droits de douane. Si les droits de douane prévus au 1er avril sont réellement appliqués, des pertes de pouvoir d’achat conséquentes sont à prévoir pour les ménages américains et davantage en cas de mesures de rétorsion par les pays touchés. L’inflation pourrait augmenter de l’ordre de ~0,7 % à 1 % en 2025 et la croissance reculer d’environ 1 %. Il n’en fallait pas plus pour que les investisseurs se mettent à douter et à anticiper une possible récession. De notre côté, nous pensons que ces craintes sont exagérées. Rappelons à ce titre, la définition d’une récession aux États-Unis. Elle est déclarée par un comité (le NBER) et repose sur plusieurs critères. La consommation, l’emploi, la production industrielle… Au moment d’écrire ces lignes, les fondamentaux de l’économie américaine demeurent solides et l’évolution à bas bruit des gains de productivité plaide toujours en faveur d’une croissance sous « haute pression ». Toutefois, le 1er trimestre risque d’être quelque peu décevant, sans pour autant qu’il y ait péril en la demeure. La consommation des ménages pourrait ralentir (même avec un rattrapage en février et en mars), et la balance commerciale se dégrader. Les investissements et la variation des inventaires pourraient néanmoins supplanter en partie ces facteurs.

Si la forte incertitude venait à se prolonger sur un temps long, un impact très négatif sur l’activité au cours des trimestres à venir est à anticiper. Une visibilité sur les droits de douane effectivement appliqués est donc requise. Idem pour les baisses de taxes ou toute mesure favorable au tissu entrepreneurial américain. Nous continuons de penser – espérons-le, pas à tort – que D. Trump se trouve toujours dans une démarche de négociation et qu’il n’a aucun intérêt à voir l’économie sombrer. S’agissant de la relation entre l’administration Trump et la banque centrale américaine, nous nous sommes trompés. Nous avions pressenti un « clash monétaire » (voir ici).

Que nenni. D. Trump a semble-t-il changé de boussole. Scott Bessent – secrétaire au Trésor américain – a effectivement indiqué que le taux à 10 ans américain serait le nouveau juge de paix pour le Président. Ni le niveau des taux directeurs, ni les fluctuations du marché actions, mais les taux d’intérêt de marché. Force est de constater que ces derniers ont baissé. Où sont passés ceux que l’on nomme les « vigiles obligataires » ? Ces investisseurs dont le rôle serait de donner le « bon » prix aux obligations souveraines, sanctionnant notamment les États en cas de dérapage budgétaire. Ceux qui, tant redoutés, avaient astreint Bill Clinton à une rigueur budgétaire jamais égalée depuis. Pour le moment, les taux américains semblent surtout refléter les craintes de récession discutées plus haut. La baisse des cours du pétrole n’y est pas étrangère non plus. Si comme nous l’anticipons, l’incertitude concernant les droits de douane s’apaise quelque peu et que le sujet des baisses de taxe ressurgit, le 10 ans américain a plus chance de monter que de continuer à baisser.

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