lun. Nov 18th, 2024

L’Europe et la Russie ont choisi, par défaut, d’être mutuellement très dépendantes en matière d’énergies fossiles[1]. Le graphique ci-après montre la répartition en valeur des importations d’énergie par l’Union européenne en provenance de pays non-membres de l’Union. Le pétrole tient, et de loin la première place. Le montant mensuel moyen d’importations, aux prix pratiqués avant la crise actuelle, est d’environ 25 milliards d’euros dont environ le tiers en provenance de la Russie.

Figure 1 – Répartitions européennes des importations non européennes d’énergie en valeur (2020). Source : Eurostat database (Comext) et estimations Eurostat

Si l’Europe dépend de la Russie pour son approvisionnement énergétique, la Russie dépend de l’Europe pour financer son budget via les excédents de sa balance commerciale.

Figure 2 – Balance commerciale russe – Source : Banque centrale de Russie

 

La Russie a misé sur l’appétence européenne pour en faire son premier client. Près des trois quarts du gaz exporté par la Russie va en Europe. Il est vrai que ces toutes dernières années, l’Europe a accru ses importations de gaz naturel en provenance d’autres pays (gaz de schiste américain, et pays du moyen orient), mais près la moitié du gaz importé en Europe vient toujours de Russie. Et la stratégie européenne de décarbonation repose très largement sur un accroissement significatif des importations de gaz russe permettant la sortie progressive du charbon ; la durée de cette « transition » n’est pas très clairement déterminée.

 

 

 

Figure 3 -Destination des exportations russes de combustibles fossiles – Construit à partir de : US-EIA et BP Outlook

C’est en pariant sur l’équilibre qui devait résulter de cette dépendance mutuelle – l’Europe a besoin des hydrocarbures russes ; les Russes ont besoin de vendre leurs hydrocarbures à l’Europe – que celle-ci, plus ou moins consciemment, a accepté cette dépendance. Les traités européens et les plans énergétiques successifs de la Commission ne se fixent aucun objectif d’autonomie énergétique et celle-ci s’est régulièrement dégradée au fil des années. Le seul objectif est celui de la sécurité d’approvisionnement, et il était acquis que la Russie était dépendante et donc fiable, et contribuait à la sécurité d’approvisionnement.

La brutale guerre d’Ukraine – précédée par l’annexion de la Crimée en 2014 qui n’avait pas conduit l’Europe à s’interroger sur sa dépendance énergétique – vient fondamentalement remettre en cause la stratégie européenne, au moins pour les prochaines décennies. Il y a urgence à réagir ; c’est ce que l’Union européenne a commencé à faire lors du sommet de Versailles des 10 et 11 mars 2022[2]. Le Conseil européen débattra à nouveau des propositions de la Commission lors de ses réunions des 24-25 mars et des 23-24 juin 2022.

Au cœur de la réflexion se situe la sortie des hydrocarbures russes, soit parce que les européens souhaitent sanctionner la Russie, soit que la Russie en représailles des sanctions déjà subies décide de réduire fortement voire d’assécher ses livraisons vers l’Europe. Nous ne discutons pas ici des mécanismes complexes de sanctions et contre-sanctions, avec leurs échappatoires éventuelles, et on se limite à la question unique : comment réduire la dépendance européenne aux hydrocarbures russes ?

A long terme, la stratégie européenne prévoit de sortir de tous les hydrocarbures en 2050, dont évidemment des hydrocarbures russes. Et les mesures Fit-for-55 annoncées par la Commission le 14 juillet 2021 visent à réduire les émissions européennes de CO2 de 55% en 2030 par rapport à 1990. Cet objectif est venu abruptement se substituer à un objectif de réduction de 45% déjà très ambitieux et il paraît exclu de l’amplifier. Mais peut-on aller plus vite : que faire à court terme ; comment préparer l’hiver prochain ?  Et la brutalité de la crise actuelle pose-t-elle des questions sur la politique de moyen terme ?

 

L’attaque de l’Ukraine par la Russie le 24 février 2022 a pris l’Europe par surprise. Elle connaissait sa fragilité militaire ; elle a découvert sa fragilité énergétique et donc économique. Les mois qui viennent sont incertains : l’Europe souhaiterait sanctionner la Russie, mais elle ne le peut pas, tellement elle est dépendante de l’énergie russe. La Russie peut sanctionner l’Europe, en lui coupant la route du gaz.

Il y a urgence à réduire la dépendance aux importations d’énergie russe ; les importations de pétrole ont commencé à se réduire par la seule décision des opérateurs, sans décision de la Commission européenne. Diminuer de moitié les importations de gaz d’ici fin 2022 est ambitieux. Les substitutions seront couteuses.

Les politiques publiques pour faire face à la crise actuelle doivent être menées rapidement et fermement dans un environnement européen difficile. Les enjeux  économiques et industriels doivent être le cœur de ces politiques.

Il faut promouvoir les économies d’énergie (agir sur les températures de chauffage, de climatisation, les vitesses, etc. ). La réglementation sera difficile ou inopérante : des campagnes « anti-gaspi » de grande ampleur sont nécessaires, d’autant que les opinions y sont prêtes. Ces indispensables actions de sobriété ne seront pas suffisantes.

L’Europe doit taxer les importations résiduelles de pétrole et gaz russe pour accélérer la baisse des importations ; elle doit également taxer les profits exceptionnels des opérateurs. Ces taxes doivent être redistribuées aux consommateurs pour limiter les impacts des hausses.

C’est l’hiver prochain que la situation sera tendue ; elle se prépare aujourd’hui en remplissant les réservoirs de gaz. Les achats doivent être coordonnés au niveau européen pour éviter les surenchères entre opérateurs. Les différents pays européens disposant de réservoirs doivent payer des prix d’autant plus bas qu’ils ont été clairvoyants dans la recherche de leur indépendance énergétique.

Il faut accepter dans les quelques années prochaines une augmentation des consommations de charbon au détriment des consommations de gaz, et donc reporter la fermeture de centrales au charbon. Il faut aussi reporter la fermeture des centrales nucléaires opérationnelles.

La crise actuelle manifeste de graves insuffisances dans la politique énergétique européenne. Celle-ci doit être complétée par un critère d’autonomie énergétique. Les solutions techniques contribuant à l’autonomie doivent être traitées de façon neutre, alors que certaines restent actuellement pénalisées.

Les investissements envisagés dans la perspective d’accéder à la neutralité Carbone en 2050 doivent être encouragés et accélérés (moyens de production, réseaux de transport, etc.). Les procédures d’autorisation doivent être simplifiées et accélérées. Cette crise comme les précédentes démontre que l’excès d’investissement par rapport à l’optimum économique (terminaux gaziers espagnols, centrales nucléaires françaises) est une assurance contrairement à l’optimisation fine ; l’insuffisance d’investissement est une vulnérabilité porteuse de menaces.

A propos de l’Académie des technologies

L’Académie des technologies est un établissement public placé sous la tutelle du ministre chargé de la recherche. Sa mission est de conduire des réflexions, formuler des propositions et émettre des avis sur les questions relatives aux technologies et à leur interaction avec la société. Depuis janvier 2022, l’Académie des technologies est présidée par Denis Ranque, ancien PDG de Thales et président d’Airbus. Plus d’informations sur : https://www.academie-technologies.fr/

 

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