mar. Nov 12th, 2024

À l’heure où la retraite recule et les carrières s’allongent, les entreprises ont-elles vraiment pris conscience de la valeur de leur « capital seniors » ?

La réforme des retraites de 2023, longuement débattue, a mis en lumière le sujet de la place des seniors en entreprise et de la gestion de leur carrière. Les partenaires sociaux négocient actuellement un accord sur ce sujet qui cristallise plusieurs enjeux économiques et sociaux : vieillissement de la population active, transmission des savoirs, adaptation des compétences dans un monde qui évolue très rapidement, engagement des salariés, coopération intergénérationnelle ou encore santé au travail.

Alors que le taux d’emploi des plus de 60 ans reste nettement en retrait par rapport aux tranches d’âges plus jeunes, les entreprises sont toujours à la recherche de compétences et le seront de plus en plus avec le vieillissement de la population active. Quelles pistes de solutions pour résoudre ce paradoxe ?

Dans leur ouvrage « Le Capital seniors » qui vient de paraître , Florence Bonnevay et Pierre-Emmanuel Médioni de la chaire Futurs de l’industrie et du travail de Mines Paris-PSL montrent qu’il reste beaucoup à faire pour prolonger la vie active des seniors engagés et en bonne santé. Face à une situation souvent grippée, les auteurs nous livrent le fruit de leurs recherches et de leur enquête de terrain dans diverses entreprises qui innovent sur ce sujet. Ils proposent 5 axes essentiels pour créer une dynamique inclusive favorable à tous les salariés.

1/ Lutter contre les discriminations liées à l’âge

Alors que l’expertise des seniors est une chance pour l’entreprise et un atout pour garder le leadership dans des secteurs pointus notamment à haute valeur ajoutée, il faut faire bouger les lignes, en luttant contre les discriminations liées à l’âge, qui restent parmi les plus importantes et les moins conscientisées dans les entreprises. Les chiffres sont éloquents : 45 % des recruteurs et 74 % des DRH ont encore pour consigne de privilégier les jeunes dans leurs recrutements (source étude Grant Alexander 2023), pointe Florence Bonnevay.

2/ Favoriser la transmission des compétences et ouvrir la voie de l’entreprise apprenante

Former demeure essentiel pour soutenir l’employabilité à long terme, car les compétences deviennent plus rapidement obsolètes avec les nouvelles technologies. Or, on constate dans toutes les catégories socio-professionnelles une baisse de la formation après 45 ans. La transmission et la pérennité des compétences et des savoir-faire constitue ainsi un des enjeux majeurs des organisations. Le mentorat et le tutorat des plus jeunes par les seniors contribuent précisément à transmettre à la fois des compétences, les process et les valeurs de l’entreprise, tout en favorisant un dialogue intergénérationnel.

L’entreprise NGE, par exemple, a créé une formation certifiante de tuteurs avec un agréement de la Fédération Nationale des Travaux Publics pour valoriser ses collaborateurs qui s’engagent dans cette voie du tutorat et du mentorat. Par cette nouvelle orientation, l’entreprise incarne une nouvelle vision de la formation, celle de l’entreprise apprenante tout au long de la vie.

3/ Personnaliser l’accompagnement des seniors

C’est la démarche menée par Schneider Electric qui a identifié 4 persona de seniors, chacun avec des objectifs différents de poursuite de carrière : continuer, transmettre, accélérer, préparer son départ, auxquels correspondent différents types d’accompagnement.  Le but est de déconstruire l’idée qu’il n’y aurait qu’un seul type de senior, celui qui attend la retraite. Or les envies et besoins sont multiples. Cette approche personnalisée vise ainsi à faciliter la réflexion des seniors sur leur prochaine étape professionnelle et à mettre en avant les ressources de développement associées.

4/ Réinventer les trajectoires professionnelles et adapter l’organisation du travail

Pour ne pas faire du management la seule voie pour « faire carrière », c’est le modèle unique de gestion des carrières qui est à repenser, insistent les auteurs, en créant par exemple des filières « experts » et « gestion de projets », comme l’ont mis en oeuvre Framatome, Michelin et Schneider Electric. En effet, les carrières ne sont plus linéaires : il faut imaginer plusieurs temps de vie professionnelle et repenser l’organisation du travail dans l’entreprise. Avec l’avancée en âge, il est essentiel d’adapter les postes à l’usure physique professionnelle et de lutter contre la lassitude psychologique. C’est ce que propose Osmaïa, spécialiste de l’aménagement et de la gestion des espaces verts pour les seniors sur des métiers très opérationnels.

5/ Mesurer pour mieux piloter ses ressources humaines et valoriser « le capital seniors »

Enfin, dans le contexte du report de l’âge légal de la retraite, il avait été envisagé de mettre en place un Index Senior. Même si cette option a pour l’instant été abandonnée, il est dans l’intérêt de chaque entreprise de connaitre ses chiffres-clés en matière d’emploi, de formation, de promotion, de recrutement et de gestion de carrière des travailleurs expérimentés. À ce titre, les auteurs signalent l’initiative lancée par la Fédération Seniors Force Plus qui a mis au point le Senior Score. L’enquête de cette association montre que beaucoup de chemin reste à parcourir dans les entreprises du CAC 40 pour mettre en place des politiques adaptées à cet enjeu.

Selon Florence Bonnevay : « Pour que chaque personne puisse trouver sa juste place dans l’entreprise, quel que soit son âge, et mettre à profit ses talents, son expérience et sa singularité, l’adaptation des rythmes de travail, la flexibilisation des organisations et le travail par missions apparaissent essentiels. En ce sens, la culture managériale doit évoluer en associant davantage les collaborateurs. Enfin, la politique de l’inclusion des seniors doit être portée au plus haut niveau de la direction d’entreprise qui doit impulser une véritable politique de l’emploi intergénérationnel. »

 

A propos de Florence Bonnevay

Chargée d’études au sein de la Chaire FIT2 de Mines Paris – PSL au sein de laquelle elle publie l’ouvrage « Le Capital Seniors : enquête sur la gestion créative des carrières et des compétences » avec Pierre-Emmanuel Médioni. Florence Bonnevay, diplômée de l’ENSAE et de Sciences-Po Paris est également conférencière et consultante ; elle accompagne dirigeants et organisations dans leurs projets de transformation, après 30 ans d’expérience managériale dans le secteur financier.

A propos de la Chaire FIT2

La Chaire FIT2 de Mines Paris – PSL  produit, encourage et valorise des études sur les futurs possibles de l’industrie et du travail, et la manière de les accompagner. Elle documente et analyse des pratiques innovantes d’amélioration de la qualité du travail et d’organisation de l’action collective.  www.chairefit2.org

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