Par Nadège Dufossé, Global Head of Asset Allocation chez Candriam |
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Loin de toucher à sa fin, le cycle économique mondial est en pleine reconfiguration. Après un premier trimestre volatil et une escalade des droits de douane début avril, l’actualité du mois de mai 2025 est marquée par une désescalade des tensions commerciales. L’inflation ne recule plus aux États-Unis, où sa persistance pose problème, tandis qu’elle se rapproche de l’objectif de la BCE en zone euro, accordant une certaine marge de manœuvre à la banque centrale. La croissance mondiale s’essouffle, mais l’« atterrissage brutal » tant redouté a été différé, il ne s’est pas concrétisé.
Dans ce contexte, les marchés continuent d’osciller entre optimisme – les droits de douane américains pourraient avoir atteint leur pic le 2 avril – et crainte que le niveau de taxation final des importations américaines soit plusieurs fois supérieur au taux moyen de 2,5 % enregistré fin 2024. Compte tenu de la phase de désescalade engagée par l’administration américaine, notre approche d’investissement reste agile et nous avons renforcé notre allocation aux actifs risqués. Si la croissance européenne est incontestablement fragile, la volonté de mettre fin à l’austérité budgétaire a été clairement affirmée. De son côté, l’économie américaine résiste, mais elle subit des pressions. Enfin, le rebond économique chinois ne semble pas encore structurel, ce qui incite les autorités à négocier avec les États-Unis. Globalement, nous ne sommes pas confrontés à un ralentissement synchronisé et il faudra attendre que l’incertitude record qui prévaut actuellement se dissipe pour adopter une position plus constructive.
Désinflation incomplète, mais assouplissement des conditions financières
La trajectoire de l’inflation diverge selon les régions. Aux États-Unis, la désinflation marque le pas, en particulier dans le secteur des biens, où la production subit de nouvelles pressions sur les prix. À l’inverse, l’inflation globale en zone euro se rapproche de l’objectif de la BCE, grâce aux effets de base liés à l’énergie et au ralentissement des prix des biens de consommation. De son côté, le Japon traverse une phase de transition délicate entre déflation et inflation modérée. Enfin, les forces déflationnistes continueront d’exercer une forte emprise sur l’économie chinoise tant que les autorités ne parviendront pas à restaurer de manière pérenne la confiance des consommateurs. Ces tendances divergentes compliquent la coordination des actions des banques centrales, renforcent la dispersion des marchés obligataires et pourraient, à terme, influencer l’évolution des devises. La Banque centrale européenne semble en mesure d’exploiter la marge de manœuvre offerte par le recul de l’inflation pour atténuer l’impact négatif des tensions commerciales sur la croissance.
Contrairement au mois dernier, les conditions financières se sont sensiblement assouplies, ce qui a soutenu le redressement des marchés. Au vu des données récentes, les spreads de crédit se resserrent, les valorisations des actions progressent et il y a un retour de la liquidité vers les actifs risqués, grâce à la hausse des flux des investisseurs particuliers et au renforcement des expositions des hedge funds. Ce retournement introduit le retour d’une dynamique de reflation, mais limite la capacité de la Réserve fédérale à assouplir résolument sa politique monétaire. Il convient de noter que les conditions financières se sont détendues alors que le communiqué du FOMC de mai évoquait des risques à la hausse pour l’inflation et le chômage. On peut dès lors se demander si l’optimisme des marchés est prématuré ou annonciateur d’inflexions macroéconomiques. En résumé : la prudence de la Fed s’explique par l’incertitude politique et les effets différés des décisions de politique monétaire, tandis que les marchés semblent hésitants quant au calendrier des anticipations, tablant sur trois, puis quatre, et finalement seulement deux baisses des taux en 2025.
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Quatre forces reflationnistes à l’œuvre
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Ensemble, ces quatre forces possèdent un potentiel de reflation significatif. Mais si elles soutiennent les prix des actifs à court terme, elles risquent d’instaurer une confusion entre l’espoir d’un atterrissage en douceur et un enthousiasme prématuré. Il faudra probablement faire preuve de patience jusqu’à ce que l’incertitude – aujourd’hui extrême – recule et que nous puissions investir avec conviction.
Bénéfices à la peine dans toutes les régionsL’incertitude économique a fini par entraîner des révisions à la baisse des bénéfices des entreprises. Si les marchés actions se sont vivement redressés après le plongeon consécutif au « Jour de la libération », la croissance des bénéfices recule. Les prévisions de bénéfices par action (BPA) dépendent fortement de l’évolution de la guerre commerciale et pourraient encore être modifiées : à ce stade, nos projections pour le PIB américain nous amènent à tabler sur une croissance des BPA de +5 % pour l’année 2025 et de +2 % pour l’année 2026, des chiffres nettement inférieurs à ceux du consensus (+9,5 % et +14,2 %). De fait, les indicateurs avancés tels que l’indice ISM des nouvelles commandes, laissent entrevoir un ralentissement des BPA. |
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En Europe, les révisions des bénéfices prévisionnels sont également devenues négatives. Après des révisions sévères, la croissance estimée des BPA de la zone euro s’établit à +4 % pour 2025, mais l’estimation pour 2026 (+11,5 %) semble encore élevée. Les valorisations sont toutefois conformes aux moyennes historiques. |
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Patiente et diversifiée géographiquement, notre stratégie privilégie la visibilité. Le cycle économique n’est pas terminé, mais ses contours ont changé et de nouvelles forces sont actuellement à l’œuvre. Cela nécessite une approche agile et un positionnement axé non pas sur la dynamique, mais sur la transition.
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