“Quand Donald Trump a remporté une victoire inattendue lors de l’élection présidentielle de 2016, cette nouvelle a déclenché une forte hausse du marché boursier américain qui a perduré jusqu’au début février 2018. Durant cette période de 15 mois, les indices S&P 500 et Nasdaq Composite ont enregistré des gains de plus de 30 %. La presse de l’époque affirmait que les mesures de Trump favorisant la croissance, notamment les réductions d’impôts et la dérégulation, avaient libéré un véritable « esprit animal » chez les investisseurs [en référence à la théorie de Keynes sur les « esprits animaux »].
Suite à sa victoire lors de l’élection présidentielle de 2024, un phénomène similaire semblait se reproduire, avec des hausses marquées du marché boursier en novembre et décembre. Toutefois, cette progression s’est essoufflée depuis le début de l’année, laissant les investisseurs dans l’incertitude.
Ce coup d’arrêt est attribué à une hausse de plus d’un point de pourcentage des rendements des obligations du Trésor américain depuis que la Réserve fédérale a commencé à assouplir sa politique monétaire en septembre. Certains observateurs estiment que le rendement des obligations à 10 ans pourrait atteindre 5 %, un niveau inédit depuis 2007.
Dans ce contexte, la courbe des rendements obligataires présente pour la première fois depuis 2022 une pente positive. Par ailleurs, la « prime de terme » — qui correspond à la rémunération demandée par les investisseurs pour compenser le risque lié à l’évolution des taux d’intérêt pendant la durée de vie d’une obligation — est également redevenue positive. Cela reflète l’incertitude des investisseurs face aux risques d’inflation, exacerbée par les importants déficits budgétaires fédéraux et la perspective de nouvelles hausses de droits de douane.
Un article du Wall Street Journal note que les hausses brutales des rendements à long terme après une inversion de la courbe des taux sont rares. Elles rappellent surtout les périodes de stagflation des années 1970 et du début des années 1980.
Pourquoi les marchés financiers connaissent-ils ces récents bouleversements ?
L’explication la plus couramment avancée est que les investisseurs révisent à la baisse leurs attentes de réductions des taux directeurs de la Fed, en raison de résultats économiques meilleurs que prévu. Fin septembre, le marché obligataire envisageait des réductions de taux de plus d’un point de pourcentage en 2025. Aujourd’hui, les attentes portent seulement sur une ou deux baisses de 0,25 %, notamment après le solide rapport sur l’emploi de décembre. Certains doutent même qu’il y ait des baisses du tout.
Par ailleurs, les investisseurs semblent percevoir différemment la situation économique actuelle par rapport à celle du premier mandat de Trump.
À l’époque, l’économie américaine peinait à se relever pleinement de la crise financière de 2008, l’inflation était inexistante, et les rendements des obligations à 10 ans oscillaient autour de 2 %. Trump avait alors fait de la réforme fiscale, avec l’adoption du Tax Cuts and Jobs Act, sa priorité, ce qui avait contribué à alimenter la hausse post-électorale des actions.
Aujourd’hui, Trump hérite d’une économie beaucoup plus dynamique, avec une croissance estimée à 2,8 % l’an dernier et un taux de chômage clôturant l’année à 4,1 %. L’économie tournant proche de son potentiel à long terme, les investisseurs s’inquiètent d’un déficit budgétaire fédéral supérieur à 6 % du PIB, jugé excessif.
Scott Bessent, nommé secrétaire au Trésor par Trump, ambitionne de réduire ce déficit de moitié. Toutefois, cette tâche s’annonce complexe, car Trump souhaite prolonger pour dix ans supplémentaires les baisses d’impôts prévues par la réforme fiscale, alors que les programmes de dépenses obligatoires représentent environ 70 % des dépenses fédérales. Par conséquent, les détenteurs d’obligations exigent une rémunération accrue pour les risques encourus.
La principale source d’incertitude pour les marchés financiers reste cependant la politique commerciale de Trump.
Lors de son premier mandat, il avait attendu jusqu’en 2018 pour s’attaquer aux déséquilibres commerciaux, augmentant les droits de douane sur certaines importations en provenance des partenaires commerciaux des États-Unis, puis prenant des mesures plus sévères à l’encontre de la Chine. Cette politique avait entraîné une forte volatilité du marché boursier, avec une chute d’environ 15 % avant qu’une trêve commerciale ne soit conclue à la mi-2019.
Depuis lors, le déficit du compte courant américain a doublé, passant de 2 % à 4 % du PIB. Il devrait continuer à se creuser, l’économie américaine surpassant celles de l’Europe et du Japon, tandis que la Chine continue d’exporter massivement. Le dollar américain, par ailleurs, s’est considérablement renforcé au cours des deux dernières années, se rapprochant de son record historique des années 1980, ce qui complique la compétitivité des entreprises américaines à l’international.
Face à cette situation, Trump semble déterminé à agir rapidement pour inciter les partenaires commerciaux à réduire leurs excédents avec les États-Unis. Toutefois, une grande incertitude plane quant à la méthode qu’il adoptera.
Le Washington Post rapporte que ses conseillers envisagent des tarifs universels appliqués à l’ensemble des pays, mais limités aux importations stratégiques. Une telle mesure, si elle était mise en place, atténuerait la portée des promesses de campagne de Trump, tout en ayant des répercussions importantes pour l’économie américaine et les consommateurs. Elle s’ajouterait aux mesures déjà prévues contre la Chine, le Mexique et le Canada.
De son côté, Bloomberg indique que les conseillers de Trump étudient une approche progressive avec des hausses mensuelles de 5 à 25 % des tarifs, plutôt qu’une augmentation unique et importante. Cette stratégie viserait à exercer une pression sur les pays tout en limitant les effets économiques négatifs.
Dans ce contexte, la grande inconnue demeure la détermination de Trump à mener une guerre commerciale, au risque de brider « l’esprit animal » des investisseurs”.