PICTET AM
Conférence du 04 juillet 2025
Intervenant: Christopher Dembik – Conseiller en stratégie d’investissement
Retour sur les indices : concentration et fragilités
La période écoulée a été marquée par une concentration remarquable de la performance boursière, tant aux États-Unis qu’en Europe. Outre-Atlantique, l’essentiel de la croissance des indices s’est appuyé sur un nombre restreint de géants technologiques, incitant nombre d’investisseurs à réduire leur exposition à ces valeurs devenues surpondérées et chèrement valorisées. Cette dynamique n’est d’ailleurs pas propre au marché américain : en Europe, le DAX allemand illustre également cette concentration, avec quatre à cinq entreprises pesant de manière importante sur l’indice et affichant des ratios cours/bénéfice parfois supérieurs à ceux des géants technologiques américains – et ce, sans bénéficier du même potentiel de croissance. Ce phénomène appelle à la prudence : une consolidation vers les 23 500 – 23 000 points sur le DAX ne surprendrait pas dans les prochaines semaines-mois, d’autant que l’engouement européen semble peu à peu s’essouffler.
Risque géopolitique : mesurer l’imprévisible
La montée des tensions géopolitiques demeure un facteur de préoccupation central pour les marchés. Mais comment en appréhender l’impact réel ? Deux approches coexistent.
L’approche académique s’appuie sur l’indicateur GPR (Geopolitical Risk Index), fondé sur l’analyse de la presse anglo-saxonne depuis plus d’un siècle. Si cet outil permet des comparaisons historiques, il s’avère peu prédictif pour les marchés : lors de la grande crise financière, le GPR est resté étonnamment stable alors que la volatilité (VIX) explosait.
L’approche de marché privilégie justement le VIX, qui demeure l’indicateur le plus suivi pour évaluer la nervosité boursière. À court terme, les épisodes de tensions géopolitiques provoquent des achats massifs d’options, des flux vers les valeurs refuge (yen, dollar, or), voire des envolées du pétrole ou des valeurs de la défense. Mais sur le moyen et long terme, l’impact s’atténue nettement. Selon une étude de référence (Guidolin & La Ferrara, 2010), l’influence des risques géopolitiques sur les marchés actions est globalement nulle au-delà de l’immédiateté.
Quelques exceptions subsistent, notamment sur les marchés peu liquides et concentrés, comme celui du gaz en Europe. L’épisode de la guerre en Ukraine l’a démontré : dans ces contextes restreints, le risque géopolitique peut provoquer des appels de marge et des tensions de liquidité majeures.
En revanche, sur les grandes classes d’actifs, il convient de relativiser. Même lors de la récente escalade israélo-iranienne, l’impact sur le pétrole est resté contenu grâce à la diversification des routes d’acheminement. Seule la filière de l’urée, engrais azoté dépendant du détroit d’Ormuz, a véritablement suscité des inquiétudes.
Technologie américaine : leadership confirmé et retour des flux
Notre conviction de début d’année en faveur des valeurs technologiques américaines se confirme, malgré quelques épisodes de volatilité liés aux flux des fonds spéculatifs. Après une phase de prises de bénéfices, ces derniers sont revenus massivement sur les grandes capitalisations technologiques, établissant même des records d’achats nets à la mi-juin. Les raisons de cet engouement sont multiples : valorisations redevenues attractives, résultats trimestriels solides, abondance de liquidités dans les bilans, et capacité à générer du cash pour financer rachats d’actions et opérations de croissance externe. Même la guerre commerciale sino-américaine, qui impacte directement des acteurs comme Nvidia (limitation des exportations de puces vers la Chine), n’entame pas la dynamique du secteur, les entreprises parvenant à compenser par l’innovation et la diversification de leurs marchés.
Liquidité mondiale et résilience des marchés
L’environnement financier reste marqué par une abondance de liquidités, soutenue par une vague sans précédent de baisses de taux directeurs à l’échelle mondiale – 64 depuis le début de l’année, un record depuis la pandémie, alors même que la Fed n’a pas encore bougé. Cette détente monétaire, couplée à la résilience de l’économie américaine, explique la bonne tenue des marchés et nourrit notre optimisme pour le second semestre. Toutefois, la dynamique des flux, très favorable à l’Europe au premier trimestre, s’essouffle. La hausse de l’euro s’explique avant tout par ces flux, sans traduire un réel engouement structurel pour la monnaie européenne, d’autant que les banques centrales privilégient désormais l’or au détriment de l’euro, à l’exception notable de la Chine et de la Russie.
Europe : entre rebond tactique et fragilité structurelle
L’Europe a bénéficié d’un rebond significatif des small caps, notamment grâce à des opérations financières et à une certaine immunité face aux tensions commerciales. Cependant, il serait prématuré d’y voir le signe d’une renaissance durable. La production industrielle reste en forte baisse et l’épargne demeure élevée. Tant que la croissance ne repart pas, la prudence reste de mise.
Par ailleurs, la question de la dette devient préoccupante : la nationalisation croissante des marchés obligataires souverains, faute de croissance ou de rigueur budgétaire, place les banques centrales dans une position délicate. La Fed détient désormais près de 30 % de la dette américaine (directement ou via des agences), tandis que l’Europe peine à trouver une solution pérenne à la hausse de ses déficits.
Chine : une reprise sous contrainte
En Chine, la relance de la consommation s’inscrit dans le temps long. Le gouvernement concentre désormais ses efforts sur le marché de l’emploi, afin de stimuler les salaires et, à terme, la demande intérieure. Toutefois, la dynamique immobilière reste problématique, et la polarisation sectorielle s’accentue : si certains pans de l’industrie innovante (comme l’IA) résistent, d’autres voient leurs marges s’effondrer, à l’image des semi-conducteurs. La reprise de la consommation ne devrait se matérialiser que d’ici deux à trois ans.
Perspectives et recommandations
À l’issue de ces quatre années, le monde financier apparaît plus fragmenté, plus incertain, mais aussi plus résilient. Les grandes entreprises américaines demeurent les locomotives de l’innovation mondiale, tandis que la renaissance européenne tarde à se concrétiser et que la Chine s’engage dans une transformation profonde de son modèle de croissance.
Dans ce contexte, plusieurs axes d’investissement se dégagent :
· Les valeurs technologiques américaines restent incontournables, portées par le retour des institutionnels et des fonds spéculatifs.
· Le crédit à haut rendement européen affiche une performance supérieure à celle des actions, tout en offrant une diversification bienvenue.
· Les obligations émergentes en devise locale profitent de la baisse du dollar et présentent une volatilité moindre que l’obligataire des pays développés.
· Les stratégies long/short demeurent les plus adaptées pour aborder le marché chinois, toujours soumis à une forte volatilité et à l’interventionnisme étatique.
· Enfin, une gestion tactique du risque de change s’impose, le coût de couverture contre la dépréciation du dollar restant modéré.
Conclusion
Plus que jamais, l’environnement actuel appelle à la prudence et à la sélectivité. La montée du bruit géopolitique, la nationalisation rampante des marchés obligataires, la mutation de l’exceptionnalisme américain et le tempo ralenti de la reprise européenne imposent une lecture fine des tendances et une réactivité accrue dans l’allocation des portefeuilles. Si le leadership américain n’est pas remis en cause, il évolue ; l’Europe, quant à elle, doit encore transformer l’essai pour espérer retrouver une dynamique pérenne. Les investisseurs avisés sauront tirer parti de cette nouvelle donne, en privilégiant la qualité, la liquidité et la diversification.