Par Asteres
Donald Trump veut réduire le déficit commercial des Etats-Unis, mais sa politique pourrait en réalité le creuser. Donald Trump soutient que la hausse des droits de douane qu’il envisage réduirait le déficit commercial, mais c’est peu probable du fait de l’ajustement du taux de change. De plus, sa politique de forte baisse d’impôts devrait, toutes choses égales par ailleurs, creuser le déficit commercial américain, et donc accroître l’excédent commercial des autres pays (Europe comprise) vis-à-vis des Etats-Unis.
1) S-I = X-M : L’équation fondamentale du commerce international
Commençons par un peu de théorie économique en rappelant que le solde commercial d’un pays
est, fondamentalement, l’écart entre le niveau d’épargne et d’investissement de ce pays. Par soucis
de simplicité, nous parlerons de manière équivalente de solde commercial et de solde de la balance
courante (qui inclut également les échanges de services et de revenus) dans le reste de la note.
Commençons par l’équation représentant le PIB considéré sous l’angle de la demande finale :
PIB = C + I + X – M
C correspond à la consommation, I à l’investissement, X aux exportations et M aux importations. Nous
considérons ici l’ensemble de l’économie, à la fois les acteurs publics et privés (consommation et
investissement des ménages, des entreprises et de l’Etat) de façon à ne pas alourdir la présentation.
Nous pouvons réécrire l’équation en « passant à gauche » la consommation :
PIB – C = I + X – M
Comme l’épargne (S, pour « saving ») correspond à l’écart entre le PIB (c’est-à-dire les revenus) et la
consommation (S = PIB- C), on peut réécrire :
S = I + X – M
Puis, en soustrayant l’investissement des deux côté de l’équation on obtient :
S – I = X – M
Cette équation est une égalité de comptabilité nationale, pas une théorie relevant d’un courant de
pensée spécifique, elle est donc constamment vérifiée. Il est utile, lorsqu’on se questionne sur
l’évolution du solde commercial d’un pays, de garder cette équation en tête. Dans le fond, la formulation
S-I = X-M, qui peut paraître assez abstraite, est tout à fait logique : si un pays épargne plus qu’il n’investit,
il prête cette épargne au reste du monde, ce qui implique qu’il ait un excédent commercial (plus
précisément un excédent courant). Autrement-dit, ce pays a plus produit que son niveau de demande
interne (consommation et investissement), cet excès de production étant vendu à l’étranger et apparaissant
sous forme d’excédent commercial. A l’inverse, un pays qui investit plus qu’il n’épargne doit attirer de
l’épargne étrangère, donc présenter un déficit commercial puisque sa demande interne est supérieure à
son niveau de production.
2) Droits de douane : Pas d’impact attendus sur le solde commercial
Les droits de douane que Trump envisage d’appliquer ne devraient pas impacter sensiblement le
solde commercial américain. En conséquence, il est peu probable que le solde commercial des autres
pays, Europe comprise, avec les Etats-Unis évolue sensiblement du fait des droits de douane. Ce constat
peut être tiré de deux façons différentes mais qui aboutissent au même résultat, la première en analysant
l’impact des droits de douane sur le taux de change, la seconde en se basant sur l’équation S-I = X-M.
– Une hausse des droits de douane conduirait à une appréciation du dollar qui annulerait le gain de
compétitivité sensé procuré par les droits de douane. L’idée de Donald Trump semble évidente : en
taxant les importations il donne un avantage à l’industrie américaine ce qui permettrait, via une baisse
des importations, de combler le déficit commercial au profit d’usines américaines. Pourtant, les droits
de douane pousseraient le dollar à la hausse pour deux raisons principales : la baisse des importations (à
court terme) diminuerait la demande de devises étrangères de la part des Etats-Unis, donc pousserait le
reste des devises à la baisse par rapport au dollar1. De plus, la hausse des droits de douane entraînerait
une hausse des prix à la consommation (achats de produits importés plus cher ou de produits fabriqués
dans le pays à un prix plus élevé que les importations) qui conduirait la Fed à augmenter ses taux, donc
à rendre les placements en dollar plus attractifs. Cette appréciation du dollar rendrait l’économie
américaine moins compétitive, annulant l’effet positif attendu des droits de douane. Cela s’est observé
début 2018 lorsque Donald Trump avait instauré des droits de douane (qui ont globalement été maintenus
par Joe Biden), surtout sur la Chine. Si l’analyse du commerce bilatéral Chine-Etats-Unis est peu
instructive puisqu’une partie du commerce transite vraisemblablement via des pays tiers (Mexique,
Vietnam)2, on constate d’une part que le dollar s’est apprécié par rapport au yuan pour un montant qui a
globalement compensé l’impact des droits de douane3 et d’autre part que le déficit commercial américain
s’est creusé alors même que les droits de douane avaient augmenté.
– Les droits de douane n’influent pas directement sur le niveau d’épargne et d’investissement d’un
pays. L’équation S-I = X-M nous enseigne qu’une variation du solde commercial doit s’accompagner
d’une modification du niveau d’épargne et/ou d’investissement global d’un pays. Or, les droits de douane
n’ont pas d’impact direct sur aucune de ces variables, il est donc peu probable qu’ils aient un effet
notable sur le solde commercial. Les droits de douane peuvent certes renchérir les importations et donc
en diminuer le montant mais, d’une part, cet effet de compétitivité est érodé par l’appréciant la monnaie
et cette appréciation pénalise les exportations. Ainsi, les droits de douane peuvent conduire à une baisse
respective des importations et des exportations, mais pas modifier sensiblement le solde.
3) Hausse du déficit public : Une hausse mécanique du déficit commercial
La politique économique de Donald Trump conduirait à un creusement du déficit public donc,
toutes choses égales par ailleurs, à un creusement du déficit commercial. Le programme de Donald
Trump devrait accroître la dette publique d’environ 8 000 milliards de dollars en dix ans4. Si le chiffre
exact est difficile à connaître du fait de l’imprécision des mesures annoncées, il semble évident que le
programme de Trump creuserait le déficit public, les baisses d’impôts ne compensant pas les baisses de
dépenses et les recettes des droits de douane. Il en résulterait mécaniquement un creusement du déficit
commercial américain, donc une hausse du solde commercial des autres pays y compris l’Europe vis-à-
vis des Etats-Unis.
– Une hausse du déficit public signifie une hausse de la demande, donc des importations. D’après la
théorie des déficits jumeaux, une hausse du déficit public se traduit par une hausse du déficit commercial.
En effet, les baisses d’impôts de Donald Trump stimuleraient à la fois la demande des ménages et les
dépenses des entreprises. Une partie de cette demande supplémentaire serait destinée à des biens
importés, ce qui creuserait le déficit commercial. De plus, la stimulation de la demande dynamiserait le
marché de l’emploi, ce qui ferait augmenter les salaires, donc accroîtrait la demande des ménages et
réduirait la compétitivité-coût des entreprises américaines.
– Le creusement du déficit public a un impact direct sur le niveau total d’épargne nette d’un pays.
Dans l’équation S-I = X-M une hausse du déficit public implique une baisse de S, qui correspond à
l’épargne nette de l’ensemble du pays, c’est-à-dire l’épargne pondérée des dettes. Cette baisse de
l’épargne nette serait associée à une hausse des importations (M), l’égalité serait ainsi respectée et
s’établirait à un niveau de déficit commercial plus élevé.