ven. Août 1st, 2025

Depuis la semaine dernière, plusieurs éléments laissent penser que l’administration Trump pourrait envisager le renvoi du président de la Fed, Jerome Powell, avant la fin de son mandat (mai 2026). Une remise en cause directe de l’autonomie de la Fed pourrait avoir un impact significatif, tant sur les rendements obligataires que sur le dollar. Quelle est la probabilité d’un tel scénario ?

 

Il existe un consensus selon lequel une banque centrale peut mieux contribuer à la bonne performance économique et à la stabilité des prix, à condition de pouvoir rester indépendante des influences politiques. Cette conviction s’est forgée au fil de décennies d’expérience.

 

La conception initiale du Federal Reserve System, lors de sa création en 1913, visait à perpétuer l’esprit du système du Trésor indépendant qui existait avant la Fed. Ce système supposait que le Trésor américain conserve son or et ses actifs dans ses propres coffres afin d’éviter d’influencer les marchés du crédit et de la monnaie. Pourtant, pendant la majeure partie des quatre premières décennies de son existence, le manque d’indépendance a été une caractéristique marquante de la Réserve fédérale. La main de l’exécutif américain était omniprésente lorsque la Fed a commencé ses activités en novembre 1914. La loi de 1913 qui a créé la Fed faisait du secrétaire au Trésor et du contrôleur de la monnaie des membres de droit du Conseil. En réalité, à cette époque, c’est le secrétaire au Trésor qui présidait toutes les réunions. Le Conseil ne disposait pas de son propre bâtiment : les réunions se tenaient donc dans les locaux du Trésor. Ainsi, l’évolution de la politique monétaire ne peut être comprise sans prendre en compte les changements et les personnalités qui ont marqué l’histoire de la Fed en tant qu’institution. Depuis la création de la Fed en 1913, la relation entre le gouvernement fédéral et la Réserve fédérale a connu trois tournants majeurs.

En 1935, le Congrès adopte le Banking Act, qui sépare les fonctions de président de la Fed et de secrétaire au Trésor, retire le secrétaire au Trésor du conseil d’administration de la Fed, et attribue à la Fed et à son personnel leur propre bâtiment. Ce texte marque une première étape vers une plus grande indépendance institutionnelle.

 

En 1951, la signature de l’accord Treasury-Fed ( Treasury-Fed Accord ) libère la politique monétaire de la Fed des impératifs de financement de la dette du Trésor. Le président de la Fed, Thomas McCabe, inquiet de la montée de l’inflation, cherche à mettre fin à cette dépendance, mais se heurte à une forte opposition du président Harry Truman. Les tensions deviennent telles qu’un compromis est finalement trouvé : en échange de l’aide de la Fed pour organiser un retrait ordonné des opérations de financement du Trésor, l’administration Truman accepte que la politique monétaire soit désormais menée dans l’intérêt de la stabilité de l’économie dans son ensemble, et non plus seulement pour répondre aux besoins du Trésor.

 

En 1979, l’arrivée de Paul Volcker à la tête de la Fed montre la valeur économique d’un président de la Fed capable de résister aux pressions du pouvoir exécutif. Les années 1970 avaient été marquées par la soumission du président de la Fed, Arthur Burns, aux injonctions du président Richard Nixon pour maintenir des taux bas, ce qui a contribué à une période de stagflation assez longue (régime économique caractérisé par une faible croissance et inflation élevée). À l’inverse, Volcker n’hésite pas à affronter les critiques du président Ronald Reagan et relève les taux jusqu’à ce que l’inflation soit maîtrisée. Lorsque Volcker a quitté ses fonctions en août 1987, l’inflation était retombée à 3,4 %, contre un pic de 14,8 % en 1980. La forte hausse des taux d’intérêt, exercée par Volcker avait entraîné l’économie américaine en récession entre 1980 et 1982.

 

Pour certains aspects, la période de Volcker peut être comparée à celle que nous connaissons aujourd’hui. Grâce à une politique monétaire bien menée, Jerome Powell a réussi à faire revenir l’inflation aux États-Unis à 2,6 % (Fig.1) sans conduire l’économie américaine en récession.

 

L’indépendance de la Fed est-elle menacée ? Bien que le président ait le pouvoir de révoquer le président de la Fed par une simple lettre invoquant un motif valable, tel que la fraude ou une faute grave, cette éviction enclencherait probablement une contestation juridique importante et prolongée de la part de Powell lui-même. Nous pensons qu’il existe une forte probabilité que les tribunaux fédéraux prononcent une injonction, avec des recours susceptibles d’aller jusqu’à la Cour suprême des États-Unis.

 

Alors que le président Trump a exprimé son insatisfaction quant au rythme des baisses de taux de la Fed et a évoqué la possibilité de remplacer Jerome Powell à la présidence, nous estimons qu’il est peu probable que Jerome Powell soit révoqué, pour les raisons suivantes :

 

1. Le président Trump serait sans doute conscient qu’une telle décision entraînerait une réaction négative des marchés, notamment une hausse des coûts de financement de l’État.

 

2. La politique monétaire de la Fed étant décidée collégialement par un comité de 12 membres votants, le remplacement de Powell par un président plus accommodant ne suffirait pas, à lui seul, à provoquer l’assouplissement rapide souhaité par Trump.

 

3. Enfin, toute tentative de révocation de Powell aurait, selon nous, de fortes chances d’être rejetée par les tribunaux. Comme la procédure judiciaire concernant Powell pourrait durer plusieurs mois avant qu’une décision définitive ne soit rendue (notamment en cas d’appel), il est possible que son mandat de président de la Fed arrive à expiration (mai 2026) avant la résolution de l’affaire. Si les tribunaux ne réintégraient pas Powell pendant la durée du contentieux, il pourrait ainsi être écarté de ses fonctions pour le reste de son mandat à la tête de la Fed.

 

Que se passerait-il si Jerome Powell était révoqué ? La menace pesant sur l’indépendance de la Fed a entraîné un redressement rapide de la courbe des taux, avec une hausse des taux longs et un élargissement des anticipations d’inflation, ce qui donne une indication claire de la trajectoire possible en cas de révocation de Jerome Powell. Le dollar pourrait se déprécier davantage.

 

Tant que les décisions de la Fed continueront d’être guidées par les données économiques, et non par des pressions politiques, nous anticipons une baisse des taux de 100 points de base d’ici juin 2026. Cette évolution érodera davantage la valeur des dépôts en liquidités, renforçant ainsi l’attrait des obligations de qualité, y compris les bons du Trésor américain (d’une maturité de cinq ans), qui, selon nous, devraient conserver leur rôle central dans le système financier mondial.

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