Synthèse
Les Etats-Unis ont mis en place le Inflation Reduction Act, un vaste plan de subventions et de dépenses publiques qui vise principalement à accélérer la transition énergétique. Ce plan suscite des inquiétudes en Europe, qui craint une concurrence faussée avec l’industrie américaine. Ces inquiétudes semblent exagérées et l’Europe peut avoir plus a gagner qu’à perdre de la politique américaine.
Un plan d’une taille limitée comparée à l’économie américaine
Les dépenses de l’Inflation Reduction Act ne représentent que 0,13 % du PIB annuel des Etats-Unis. Les chiffres annoncés, 391 milliards de dollars, semblent élevés et ont amené certains commentateurs à comparer cette politique à celle du New Deal de Roosevelt dans les années 19301. Cependant, les dépenses totales seront étalées sur 10 ans et doivent être comparées à la somme totale du PIB américain de 300 000 milliards de dollars sur cette période2. Ainsi, 391 milliards de dollars dépensés sur les dix prochaines années représentent environ 0,13 % du PIB américain annuel, soit un montant environ 50 fois inférieur à celui du New Deal qui représentait 6,6 % du PIB annuel.
Un plan qui peut aussi profiter à l’Europe
Les Etats-Unis s’engagent dans la lutte contre le réchauffement climatique. L’Inflation Reduction Act vise avant tout à décarbonner l’économie américaine en mettant l’accent sur les aides et subventions publiques à destination des énergies renouvelables. Après le mandat de Donald Trump, marqué par le retrait de l’accord de Paris, il est encourageant de voir les Etats-Unis engager des efforts vers la réduction des émissions de carbone.
La prospérité de l’industrie américaine n’est pas nécessairement néfaste à l’industrie européenne. Les Etats-Unis cherchent à subventionner leur industrie et la production d’énergie renouvelable. Il en résultera probablement une hausse de la production industrielle américaine qui ne se fera pas nécessairement au détriment de l’industrie européenne. Une croissance américaine plus soutenue implique une hausse de la demande, donc des exportations européennes. Le solde commercial d’un pays résultant de l’écart entre l’épargne et l’investissement, et non du niveau de production industrielle, rien n’indique qu’un renforcement de l’industrie américaine conduirait à une réduction de l’excédent commercial que la zone euro dégage avec les Etats-Unis4. De plus, les investissements et l’innovation déployés par les Etats Unis peuvent générer des effets d’apprentissage qui pourraient servir à l’Europe dans sa propre transition énergétique, un peu comme la forte croissance des Trente Glorieuses avait été notamment tirée par l’adoption en Europe de processus de production et de technologies qui avaient fait leur preuves aux Etats-Unis.
Un protectionniste auquel il serait contre productif de surréagir
Les dispositions protectionnistes de la stratégie américaine sont inamicaux, mais peuvent être tout autant préjudiciables pour les Etats-Unis que pour l’Europe. Le plan déployé par Joe Biden présente un volet protectionniste, par exemple les aides à l’achat de voitures électriques ne pourront bénéficier qu’aux voitures fabriquées aux Etats-Unis5. Cette mesure, clairement protectionniste, risque de nuire à la production europénne de voitures électriques. Mais elle n’entrainera pas nécessairement d’amélioration du solde commercial américain vis-à-vis de l’Europe car, toutes choses égales par ailleurs, elle s’accompagnera d’une appréciation du dollar et donc d’une perte de compétitivité de l’ensemble de l’industrie américaine.
Le protectionnisme des Etats-Unis n’est pas récent. Même des présidents réputés libéraux tels que Ronald Reagan ou George Bush ont mis en place diverses mesures visant à défendre l’industrie américaine6, qui n’ont empêché ni son déclin relatif ni le creusement du déficit commercial. De plus, des mesures protectionnistes peuvent nuire au pays qui les prend, notamment car elles entraînent une hausse des prix par rapport à une situation d’ouverture commerciale. Cette hausse des prix conduit, toutes choses égales par ailleurs, à une perte de pouvoir d’achat ou à une hausse des salaires (donc à une perte de compétitivité) de manière à préserver le pouvoir d’achat de la population.
L’Europe ne doit pas réagir par le protectionnisme aux mesures américaines. Au XIXème sicèle déjà, Frédéric Bastiat disait : « Ce n’est pas parce que les étrangers ont des côtes rocheuses que nous devons mettre des rochers dans nos ports ». En d’autres termes, le protectionnisme de nos partenaires commerciaux n’implique pas de prendre en retour des mesures protectionnistes, qui risquent surtout d’être nuisibles aux économies européennes. L’industrie européenne a avant tout besoin d’innovation, d’investissements dans la formation et dans la production d’énergie ou de simplification administrative, plus que de s’engager dans d’éventuelles mesures de rétorsions commerciales qui risquent surtout d’augmenter les prix, dans un contexte déjà fortement inflationniste. Le futur de l’industrie européenne est avant tout déterminé par les politiques menées en Europe, plus que par celles décidées à Washington.
1 Le Monde, « Pour accélérer la transition énergétique, l’Europe devra acheter chinois et compromettre sa renaissance industrielle dans ces secteurs », 2 décembre 2022
2 Paul Krugman, The New York Times « What Biden Has — and Hasn’t — Done », 18 août 2022
3 Estimations Asterès d’après Federa Reserve of Saint-Louis, « How Recent Fiscal Interventions Compare with the New Deal », 13 juillet 2021
4 https://ec.europa.eu/eurostat/documents/2995521/15131943/6-14102022-AP-EN.pdf/78ee90dc-3572-bb89-94b1- 7d66da287a5d