Par Philippe Crevel
Dans un rapport rendu public lundi 2 décembre, la Banque centrale européenne (BCE) a établi un point sur l’avancée de ses travaux concernant la mise en œuvre de la monnaie numérique de banque centrale de la zone euro. Ce rapport aborde les questions relatives à l’élaboration d’un règlement de l’e-monnaie, de la sélection des potentiels fournisseurs de la plateforme et de l’infrastructure technique.
L’euro numérique est un projet porté par la BCE dans le contexte de la transformation numérique de l’économie. Il s’inscrit dans une réflexion globale sur l’émergence des monnaies numériques de banque centrale (MNBC) et répond à des objectifs multiples, notamment en matière de souveraineté monétaire, d’efficacité des paiements et d’inclusion financière. Les autres banques centrales dont celle de Chine sont engagées sur des projets de monnaies numériques. Ces projets visent également à contrecarrer l’essor des cryptoactifs comme le bitcoin.
L’euro numérique serait une monnaie gérée par blockchain et émise directement par la BCE, conçue comme un complément, et non un substitut, aux espèces. Contrairement aux cryptomonnaies décentralisées comme le Bitcoin, l’actif serait entièrement adossé à la BCE, garantissant sa stabilité et son acceptation universelle. L’euro numérique serait aussi sûr que les billets en euros car il bénéficierait de la garantie de la banque centrale. Il serait accessible aussi bien aux particuliers qu’aux entreprises. Il pourrait être utilisé dans toute la zone euro. L’euro numérique pourrait offrir des paiements instantanés, à faible coût et accessibles en permanence, même dans les zones mal desservies par les infrastructures bancaires classiques.
Depuis 2021, la BCE mène une phase exploratoire pour évaluer la faisabilité technique et les implications pratiques de l’euro numérique. En octobre 2023, la BCE avait décidé de lancer la phase de préparation du projet qui doit durer jusqu’en octobre 2025. Au terme de ce processus, elle décidera ou non de lancer l’euro numérique qui ne devrait devenir accessible réellement qu’à compter de 2028.
Ces derniers mois, la Banque centrale a réalisé des appels d’offres pour les marchés techniques (informatique essentiellement). Ses offres sont à présent à l’étude au siège de la BCE à Francfort. La mise en place du recueil de règles est en cours pour étudier comment pourrait en pratique fonctionner un euro numérique avec les consommateurs, les commerçants et les banques. La question de la détention de l’e-euro fait l’objet d’une attention toute particulière. Les établissements de crédit sont inquiets de l’éventuelle remise en cause des dépôts des agents économiques qui leur permettent d’accord des crédits. Les banques commerciales souhaitent que la BCE fixe un plafond assez bas de détention de monnaie numérique pour le particuliers. Elles plaident pour un montant correspondant à celui des dépenses payées en numéraire par les ménages actuellement. A contrario, les représentants du secteur de la consommation ont souligné que, si la limite de détention était trop basse, elle pourrait décourager les consommateurs de s’en servir. Ces derniers estiment que la monnaie digitale incitera les banques à mieux rémunérer les dépôts.
La BCE travaille sur les moyens d’intégration de l’euro numérique au sein de l’univers des moyens de paiement européen déjà riche avec la carte bancaire, les portefeuilles électroniques comme ApplePay ou Wero qui a succédé à Paylib. Ce mode de paiement a été récemment lancé en France, en Belgique et en Allemagne. Il serait imaginable d’intégrer à Wero, l’euro numérique. Le rapport de la BCE souligne également que les frais pour les transactions en e-monnaie seraient faibles. Le rendu de monnaie pourrait être effectué en e-euro, ce qui en faciliterait la diffusion. Sur le sujet du respect de la vie privée, les rapporteurs indiquent que l’euro numérique devra ressembler autant que possible au numéraire.
Les enjeux pour les banques commerciales sont immenses. La e-monnaie pourrait modifier toutes les règles bancaires en obligeant les banques commerciales à se battre pour obtenir des dépôts. Elles seraient également amenés à se positionner avant tout comme conseillères et moins comme centres d’intermédiation.